Nous le savons depuis que nous le lisons : Mathieu Slama n’est pas lui non plus un « moderne ». Il le confirme en conclusion de cet article [Figarovox, 23.07] où il définit Greta Thunberg comme un pur produit des mondes capitaliste et médiatique, évidemment étroitement imbriqués, dont le symbole est Davos. Si la cause écologique a sa légitimité de fond, elle la perd lorsqu’elle est idéologiquement, médiatiquement, financièrement et politiquement construite pour détourner l’opinion, les jeunes en particulier, de tout autre souci, tout autre engagement, toute autre colère, politiquement incorrects. Le souci climatique transmué en obsession enfantine, un vague idéal de planète bleue propre, d’universalisme consumériste et permissif : de cette mouvance-là, encouragée voire suscitée par l’oligarchie financière mondialisée, Greta Thunbrtg est sans-doute le produit. Un produit étrange et inquiétant, aux couleurs de fausse enfance. Le calcul du monde capitaliste est évident. Cela ne signifie pas, selon nous, que l’idéologie en soit absente. JSF
Par Mathieu Slama
Il y a des signes qui ne trompent pas. En janvier dernier, la jeune et sympathique Greta Thunberg tient un discours alarmiste, plein de bon sens quoique vague et peu engageant, devant un parterre de dirigeants de multinationales… au Forum économique de Davos, la grande messe du capitalisme et de la mondialisation. L’endroit où tous les grands dirigeants de multinationales se réunissent et discutent des grands sujets qui concernent le monde tout en profitant de l’occasion pour soigner leur communication.
On imagine mal les grands contestataires de l’ordre capitaliste mondial s’exprimer sur la scène de cet événement dont le but est de préserver un système où la préservation de l’environnement se transforme en «développement durable» et en autres actions de « greenwashing ». Donc forcément, l’association Greta Thunberg / Davos nous interpelle. Elle nous interpelle d’autant plus que le compte Twitter officiel de Davos ainsi que son site internet relaie son appel pour le climat. Il y a là une bienveillance pour le moins suspecte.
Fin 2018, elle était également sur scène lors d’une conférence «Ted X», ces grandes messes où l’on retrouve à chaque fois milliardaires « philantropistes », artistes « engagés », anciens présidents reconvertis en conférenciers et autres représentants d’un discours humanitaire creux et totalement dépolitisé.
Un journaliste d’investigation suédois, relayé en France par l’ancienne députée Isabelle Attard dans un article pour le site Reporterre, avait révélé le rôle, dans l’émergence de la jeune activiste, d’un jeune entrepreneur partisan du capitalisme vert, Ingmar Rentzhog, financé par une famille de financiers milliardaires.
D’autres signes ne trompent pas.
En décembre 2018, la jeune conférencière publiait fièrement une photo d’elle et d’Al Gore sur Twitter, qualifiant ce dernier de « pionnier » dans la lutte climatique. Le même Al Gore qui investit dans de nombreuses entreprises et fonds « verts » et qui prône un « capitalisme soutenable »… En mai dernier, on retrouvait Greta Thunberg aux côtés d’Arnold Schwarzenegger lors d’une conférence à Vienne organisée par l’acteur et ancien gouverneur de Californie, devant un parterre d’experts, décideurs et investisseurs… À Davos, elle est applaudie par Leonardo di Caprio et rencontre Christine Lagarde qui lui aurait dit, selon Paris Match : « Je te soutiens et je t’admire. Je suis de ton côté ».
Les personnes travaillant dans la communication et l’évènementiel pour des grandes entreprises et institutions le savent : pour chaque grand événement organisé, il faut tenter d’inviter Greta Thunberg. Il faut bénéficier de son discours engagé, de sa jeunesse, de ses talents d’ « influenceuse ». Une telle bienveillance de la part du monde capitaliste interroge.
Et puis il y a cet emballement médiatique incroyable. Greta Thunberg est, sans forcément le savoir, un pur produit du monde capitaliste et médiatique. Son discours comme son action (des grèves lycéennes hebdomadaires et des sit-in éphémères devant des grandes institutions) sont totalement dépolitisés. Et elle devient, à son corps défendant, le visage de la dépolitisation de la cause écologique, déjà bien atteinte par tout le discours lénifiant sur le « développement durable », la « tech for good » (la technologie au service du climat), la « responsabilité environnementale des entreprises » etc. tout comme par les pétitions et autres appels des célébrités en manque de causes à défendre. Elle fait partie de ce même monde qui entretient le système capitaliste tout en l’adaptant à la marge.
Peut-être que son discours encouragera la jeunesse à s’opposer au monde dans lequel on vit. Il faut alors s’en réjouir. Mais on peut douter de son impact dans la remise en cause des fondements de nos maux que sont le capitalisme dérégulé, la mondialisation et le libre-échange. Et c’est bien là le principal. ■