26 mars 1927
Q. Aurelius Anicius Symmachus, patricien romain, vivait à la fin du IVe siècle de notre ère. Il fut un grand personnage dans la ville. Il y remplit de hauts emplois. Il était orateur, cultivait les lettres, et ses contemporains l’égalaient à Cicéron.
Symmaque a jeté un suprême éclat sur la civilisation romaine. Et il avait vécu avec une sécurité parfaite sur l’idée que cette civilisation ne pouvait pas périr. Jamais il ne lui vint à l’esprit que la société telle qu’il la connaissait fût près de la fin. Aucun doute sur la solidité du monde antique ne l’effleurait. Il mourut dans cette confiance en l’an 409, quelques mois avant la dévastation de Rome par Alaric.
Sa correspondance, qui nous a été conservée montre que ses contemporains étaient aussi tranquilles que lui. La vie mondaine continuait. On se rendait des visites, on donnait des dîners, on allait à la chasse ou aux bains de Baies. Symmaque, était riche; dépensa 2 millions de sesterces quand il devint prêteur, pour offrir au peuple des jeux plus magnifiques qu’on n’en avait jamais vu.
Et l’on agissait en toutes choses comme si le lendemain et les siècles futurs eussent été assurés. Gaston Boissier qui a étudié Symmaque, écrit : « Il nous semble que les gens de cette génération qui fut la dernière de l’empire devaient avoir quelque sentiment des périls qui les menaçaient et qu’il est impossible qu’en prêtant un peu l’oreille on n’entendît pas les craquements de cette machine qui était si près de se détraquer. Les lettres de Symmaque nous montrent que nous nous trompons. Nous y voyons que les gens les plus distingués, les hommes d’État, les politiques, ne se doutaient guère que la fin approchât. A la veille de la catastrophe, tout allait comme à l’ordinaire, on achetait, on vendait, on réparait les monuments et l’on bâtissait des maisons pour l’éternité. » Et plus loin : « Symmaque était une de ces âmes candides qui regardent comme des vérités incontestables que la civilisation a toujours raison de la barbarie, que les peuples les plus instruits sont inévitablement les plus honnêtes et les plus forts, etc… »
Q. Aurelius Anicius Symmachus, patricien, propriétaire et lettré, a rendu cette âme candide sans avoir compris les signes ni même les présages, quoiqu’il fût pontife païen. Et s’il avait encore vécu lorsque Alaric approcha de Rome, il eût imité les gens de son monde qui se réfugièrent à Carthage, où ils allaient au théâtre, convaincus que cet accident était sans portée, que la vie romaine ne tarderait pas à reprendre et qu’on se retrouverait à Baïes, l’an d’après.
Combien y a-t-il de Symmaques autour de nous ? •
Jacques Bainville
Journal – 1927-1935 – Plon, 1949
Sans vouloir contester l’opinion de Bainville, il faut remarquer que Symmaque ne doit pas être jugé sur sa correspondance car il était considéré comme de mauvais goût de parler de choses importantes dans les échanges épistolaires. Ses lettres sont futiles parce qu’elles ne pouvaient être autre chose. En revanche, Symmaque joua un rôle politique important ; alors qu’il était apparenté avec les principaux chefs du christianisme, il lutta fermement pour la conservation de la religion romaine, et consacra à cette oeuvre toute son éloquence oratoire. En 384, il écrit à Valentinien II pour le conjurer, afin d’assurer la survie de Rome, de maintenir le polythéisme: « l’ensemble des divers cultes comme les différentes manifestations d’un même principe divin trop élevé pour être facilement accessible au commun des mortels »…..« Nous contemplons tous les mêmes astres, le ciel nous est commun à tous, le même univers nous entoure : qu’importe la philosophie par laquelle chacun cherche la vérité ? Un seul chemin ne suffit pas pour accéder à un si grand mystère ». Il avait d’ailleurs pris de gros risques dans son engagement politique, puisqu’il s’était engagé, en 387, aux cotés de Maxime contre Valentinien II et Théodose. Il échappa à la mort, mais ne put empêcher l’Edit de Thessalonique (380) qui interdisait les cultes païens sous peine de mort, de s’appliquer à Rome. Pourtant, il avait demandé au Sénat de maintenir le temple de la Victoire, symbole hautement significatif, que les évêques voulaient détruire. Il protesta contre la ruine des temples et des oeuvres d’art qu’ils contenaient, ainsi que, selon certains, contre le lynchage et le démembrement de la philosophe néoplatonicienne Hypatie, suivis d’un gigantesque incendie que Théodose aurait ordonnés. Il faut lire le remarquable livre de l’écrivain contre-révolutionnaire Thomas Molnar « Moi, Symmaque », Symmaque n’était ni un sot, comme le prétendait Ferdinand Lot, ni un aveugle, ni un lâche, ni même une âme candide comme l’affirme inconsidérément Gaston Boissier.