On nous demande ce que nous pensons du Service Civique, si nous sommes « pour », ou « contre », et pour quelles raisons. Allons-y….
La vérité est que nous y sommes franchement opposés, surtout lorsqu’on se rappelle dans quelles circonstances historiques la conscription s’est généralisée en France. Et pourtant, on pourrait être plutôt favorable à une certaine forme de Service civique si….
Tout cela peut paraître surprenant, et un peu obscur, formulé ainsi : tâchons donc, pour ne pas faire trop long, de répondre en quatre temps, quatre réflexions….
I : En effet, nous sommes totalement opposés à un retour du Service Militaire, fût-il déguisé, ce que ne manquerait pas d’être ce Service Civique dont plusieurs ténors politiques, à droite comme à gauche, vantent les mérites.
Il faut être sérieux: on se couvrirait de ridicule en re-créant, le Service Militaire, finalement appelé Service National, qui se maintenait tant bien que mal -plus mal que bien, d’ailleurs, on va le voir… – lorsque Jacques Chirac a décidé sa suppression. Ce serait une démarche erratique, absurde et inefficace. Ne dit-on pas : ordre puis contre ordre égale désordre….
N’oublions pas, en premier lieu, que ce Service était devenu notoirement injuste, et qu’environ un bon tiers des jeunes y échappaient, ce qui ne manquait pas de créer de nombreuses tensions, aussi regrettables que malsaines…
Il était de plus extrêmement coûteux, si l’on ramenait le faible service réel qu’il rendait, à sa lourdeur et à sa pesanteur, pas toujours justifiées (et c’est un euphémisme !…): en cas de vraie crise, on sait bien qu’il n’était, de fait, qu’une illusion. L’armée ainsi constituée était, de fait, une « armée » de papier et sur le papier et, soyons réalistes, en cas de vraie guerre c’est vers de vraies troupes aguerries qu’il aurait fallu se tourner (telles que la Légion, par exemple….).
Enfin, tel qu’il était pratiqué, ce Service National se révélait démoralisateur et nocif pour l’esprit public, dans la mesure où il nourrissait et entretenait un anti militarisme de mauvais aloi : la Nation doit être défendue, et il n’est pas sain que son Armée soit objet permanent de critiques et de suspicions, contraires à l’unité nationale nécessaire face au danger éventuel…
Voilà, rapidement listées, les principales raisons pour lesquelles nous sommes hostiles à la réapparition du Service Militaire obligatoire, même si on le rebaptise Service Civique…..
II : Mais, surtout, il n’est pas inutile, à ce stade initial de notre réflexion, de faire un petit rappel historique – on va voir que c’est même absolument indispensable – afin de bien comprendre d’où vient, dans notre société, l’importance du fait militaire tel qu’on l’a connu jusqu’à tout récemment. Et de rappeler les origines idéologiques de la conscription.
La « levée en masse de 300.000 hommes » fut une invention de la Révolution et de la République naissante, le système utilisé sous les Rois étant fort différent, donc non comparable : les Rois de France – on ne craignait pas « l’étranger », « l’autre » sous la Royauté… – faisaient massivement appel aux étrangers pour l’armée et, par exemple, en 1672, l’armée de Louis XIV comptait 45.000 fantassins étrangers pour 80.000 français; et la moitié de la cavalerie était également étrangère…; les « français » étant pour la plupart des isolés, recrutés par racolage.
C’est avec la Révolution que tout change : à partir de la levée en masse, on s’engage dans une logique qui amènera peu à peu à ce que l’on fasse appel de plus en plus appel aux citoyens français, par la conscription, qui aura forcément tendance à se généraliser, et à se traduire finalement par… le Service militaire obligatoire.
Autre point qui mérite d’être noté : le faible coût humain des guerres de l’Ancien Régime, comparé aux effroyables hécatombes dont l’Europe est redevable à cette Révolution qui, en décrétant justement cette folle levée en masse dont nous venons de parler, a, en quelque sorte, contraint tous les autres peuples du continent à en faire autant. Là où s’opposaient des troupes en nombre limitées, « avant », ce seront, à partir et à cause de la Révolution, des masses gigantesques qui vont saigner à blanc tout le continent.
Ces effroyables boucheries, qui devaient culminer dans l’horreur indicible de 14-18, devaient casser net la vitalité démographique de la France, qui était, avant la Révolution, la Chine de l’Europe. 800.000 morts pour la Révolution, 1.500.000 dûs aux guerres napoléoniennes, encore 1.500.000 en 14/18, 600.000 en 39/45, auxquels il faut rajouter les peut-être 500.000 habitants perdus en 1814 et 1815 : près de cinq millions d’habitants perdus en 150 ans ! Quelle démographie pourrait résister à cela ?…..
Écoutons un historien sérieux et honnête, Michel Mourre :
« …Les guerres de Louis XIV seront en effet avant tout des guerres de siège, partant, limitées et relativement peu meurtrières…. »
Ce caractère d’économie des vies humaines, si étranger aux guerres populaires inaugurées par la Révolution Française, a été bien souligné par un autre observateur, le général de Gaulle dans La France et son Armée:
« Le but assigné par la politique, la nature des moyens commandent la stratégie. Pour celle de l’Ancien Régime, il ne s’agit point de choc gigantesque, de destruction de l’ennemi, d’invasion à grande envergure, de résistance nationale désespérée. L’effort guerrier consiste à enlever ou à défendre les places qui maîtrisent une province, à écarter aux moindres frais l’armée de campagne de l’adversaire, à pénétrer sur son territoire dans la mesure nécessaire pour l’amener à composition, à empêcher les coalisés de se joindre, à conduire des renforts à un allié, à faire pression sur un neutre, à ravager un État malveillant. »
Cette prudence permit à Louis XIV et à Louis XV d’agrandir la France du Roussillon, de l’Artois, de la Flandre, de l’Alsace, de la Franche-Comté, de la Lorraine, de la Corse, tout en évitant les grandes invasions du territoire national, lesquelles, après la chute de la monarchie, se succéderont en 1792, 1814, 1815, 1870, 1914, 1940. »….
C’est donc la période révolutionnaire, et ses prolongements, qui – en ouvrant la boite de Pandore – ont joué aux apprentis sorciers; et ont liberé des forces, et des logiques, terrifiantes, qu’elles ont été, évidemment, bien incapables de maîtriser ensuite; et qui ont donc, de cette façon, amené à une massification, sur une grand échelle, des effectifs militaires. Pour le plus grand mal de la France, de toute l’Europe et, disons-le, de la Civilisation. Camus n’exprimait-il pas son écoeurement et sa révulsion devant la monstruosité des hécatombes guerrières des deux?….
Maintenant que ces temps de folie semblent derrière nous, et que l’on est revenu à une armée de métier, il conviendrait cependant de ne pas oublier tout ceci. Si l’on assiste à la fin d’un cycle, à l’extinction de cette logique suicidaire et destructrice, inaugurée par la Révolution, et qui a conduit à l’augmentation terrifiante du nombre de personnes engagées dans les guerres, qui s’en plaindrait ? Et qui la regretterait, souhaitant poursuivre – ad vitam eternam ?… – dans la même direction ?…
III : Revenons-en, maintenant, à ces hommes politiques et personnalités diverses qui découvrent les vertus du Service Militaire maintenant qu’il n’existe plus.
Les uns pensent sottement, que l’Armée pourrait – mais, est-ce son rôle ? et en a-t-elle, vraiment, la possibilité ? … – apporter à des enfants non éduqués ou mal eduqués l’éducation qui leur fait défaut et les valeurs qui leur manquent ! Ils s’imaginent que l’Armée pourrait redresser ce qui pousse tordu depuis l’enfance !….
Les autres oublient que quand le Service militaire existait le flot de critiques ne cessait de s’étendre, d’enfler et de se durcir. Ils se prévalent, disent-ils, de certains sondages qui montreraient qu’une majorité de français serait favorable au rétablissement du service militaire ou à l’instauration d’un service civil. Si cela était vrai, si effectivement une majorité de sondés disait cela, encore faudrait-il s’assurer qu’il s’agit exclusivement de gens concernés par ce rétablissement de la conscription.
En effet, si l’on pose la question à des gens d’âge mûr, cela n’a aucun sens. On le sait bien, l’âge embellit tout, même ce qui à l’époque n’était pas forcément vécu comme authentiquement gratifiant; et si des personnes de 50 ans ou plus regrettent leur jeunesse et leurs « années de régiment », c’est leur affaire. De toutes façons, elles ne sont plus concernées et ne repartiront plus au dit régiment, pour ce « bon vieux temps » dont il y a du reste fort à parier, dans la plupart des cas, qu’il est bien meilleur dans leur souvenir, qui embellit tout, que lorsqu’elles le tiraient pour de bon…
Non, il ne faut poser la question qu’à des jeunes directement concernés, c’est à dire qui partiraient pour un an, ou plus; des jeunes entre 18 et 22/23 ans et qui accepteraient – ou à qui l’on imposerait – cette coupure d’un an, ou plus, dans leurs études, leur formation, leurs projets. Et là, il y a fort à parier que les résultats du sondage réserveraient de grandes surprises, et ne seraient certainement pas ce qu’on a claironné ici ou là; il y a fort à parier que les mêmes reproches que l’on faisait naguère réapparaîtraient aussitôt, et presque dans les mêmes termes, peut-être même plus virulents encore, maintenant que l’on a goûté au monde sans conscription….
IV : Maintenant que ces différentes observations, réticences et critiques ont été formulées, on peut dire pourquoi il est possible d’être plutôt favorables à un certain Service Civique, pour peu qu’il repose exclusivement sur la liberté de chacun, qu’il ne soit en rien imposé, qu’il naisse du désir véritable, authentique et non contraint de servir son pays pendant une année, ou un peu plus.
Les besoins ne manquent pas, soit dans ce que l’on appelait hier la coopération, soit dans le militaire proprement dit. Chacun y trouverait son compte, et il serait beau et utile – ce n’est pas forcément toujours contradictoire… – de concilier dévouement, efficacité et intérêts réciproques bien compris.
L’armée, par exemple, trouverait très probablement chaque année des milliers de jeunes – garçons ou filles – qui se mettraient gratuitement à sa disposition, comme c’était le cas auparavant, avec le service militaire soi-disant obligatoire….
Et ceci lui permettrait de surmonter en grande partie, voire totalement, les problèmes de recrutement qu’elle rencontre: car, ne nous leurrons pas, aucune solution n’étant jamais satisfaisante à 100%, l’armée professionnalisée d’aujourd’hui peine un peu, parfois, à couvrir l’ensemble de ses besoins. Du moins, à les couvrir correctement, avec du personnel vraiment qualifié et valable…
On pourrait, par diverses mesures techniques, rendre très attractif ce temps de Service pour les jeunes, dans ce qui serait une sorte de donnant-donnant intelligent, mais surtout gagnant-gagnant. D’abord, bien sûr, et comme cela se faisait avant, comptabiliser ce temps de Service dans la vie active (et pourquoi pas avec un petit bonus ? par exemple, selon le temps effectué…?). Ensuite, et comme cela se faisait aussi auparavant – mais on pourrait le systématiser – assurer des formations diverses : permis de conduire (de tous types : poids-lourd, transport en commun…); formation sérieuse et poussée à l’Informatique, ainsi qu’une formation et des diplômes (reconnus dans le civil) dans tout ce qui touche le Sport et l’encadrement des groupes (jeunes ou moins jeunes); enfin, l’Armée proposant une très large gamme de métiers, une ou des approches pratiques de ces métiers, sanctionnée par un diplôme, fournirait au jeune un début d’expérience professionnelle, appréciable sur un CV…
On le voit, un séjour à l’Armée, très utile pour la Défense, pourrait se révéler aussi très attractif pour un jeune, sous réserve et à la condition expresse qu’il ne soit pas forcé, et repose sur le volontariat….
Cording1 sur Ce crime impuni, contre l’honneur paysan
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