Le parti islamiste AKP, de Recep Tahir Erdogan, vient de remporter largement les élections législatives en Turquie. Sans nous immiscer dans ce qu’elles ont de strictement interne à la Turquie, nous pouvons faire deux observations sur ces élections:
1°) la première sera pour nous étonner de ce que plusieurs personnes persistent à présenter le parti d’Erdogan comme « islamiste modéré »: c’est une mystification et une supercherie, et nous pensons que cela cache quelque chose…Supercherie car, si l’on est « islamiste » –et encore plus dans le cas de la Turquie, pays voulu laïque par Mustapha Kémal…- cela veut dire que l’on veut soumettre son pays à la Charia. Et la Charia, c’est un peu comme un Code Pénal: cela ne se divise pas; on la prend en entier, ou on ne la prend pas…Imagine-t-on qu’on pourrait installer le marxisme dans un pays, ou le nazisme, mais « rien qu’un peu »? Et qu’on serait, alors, « marxiste modéré » ou « nazi modéré »? L’absurdité du propos saute aux yeux: c’est la même chose pour l’Islamisme -mutatis mutandis…-: si un pays, quel qu’il soit, instaure la Charia, qui se veut et qui est un « système » global, prétendant régir tous les aspects de la vie quotidienne des personnes et de la société, c’est une supercherie que de présenter les gens qui veulent l’imposer comme des modérés: le système s’appliquera dans toute sa logique, point. Et la « modération » n’a pas cours dans ce cas de figure, elle n’a pas sa place…
2°) et nous en arrivons à notre deuxième observation: il est difficile d’admettre une telle naïveté un tel aveuglement, un tel éloignement du sens des mots chez ces commentateurs (hommes politiques, journalistes…) qui parlent à tout bout de champ d' »islamistes modérés »: veulent-ils nous endormir? nous tromper? Disons-le tout net: ceci nous parait suspect, et même carrément louche. Si « certains » ont parti liée avec les islamistes, qu’ils le disent franchement, qu’ils prennent parti franchement, qu’ils annoncent la couleur franchement: ce sera tout aussi faux, pour nous, mais on peut en débattre….; par contre ce sera beaucoup plus digne et plus honnête…On sait très bien que les USA veulent torpiller « l’Europe puissance » en y faisant entrer la Turquie, ce qui serait le meilleur moyen de détruire à jamais la possibilité pour l’Europe d’être vraiment ce futur géant politique qui inquiète tant l’Oncle Sam (que font les Anglais, en relayant cette politique, lorsqu’ils agissent pour une Europe simple zone de libre échange…?). On sait très bien ensuite que la Maison Blanche (voir le Kosovo…) mise justement sur ces fameux « islamistes modérés », qui n’ont jamais existé ailleurs que dans son esprit embrumé: on lui rappellera que c’est elle qui a mis en selle, par exemple, Ben Laden…pour lutter contre l’influence de l’URSS! Ah, les erreurs et les folies de la Maison Blanche! Qui les recensera un jour?….)
Je suis un peu gêné de répondre à notre honorable correspondant : va –t-il m’accuser à mon tour d’ « avoir partie liée avec les islamistes » ? Pourtant je vais oser. Je dirais que son raisonnement est défectueux quelque part. En effet, s’il est absurde en bonne logique de parler d’islamiste modérés , il ne le serait pas moins de parler de chrétiens modérés. Le Christ n’a-t-il pas dit : « je déteste les tièdes » ? Il ne manquera pas de me répondre que « ce n’est pas pareil » car le christianisme connaît la différence entre le temporel et le spirituel. Cependant, est-ce aussi vrai qu’on le dit ? Le christianisme traditionnel, précisément celui que défend notre correspondant, exige au contraire que le pouvoir respecte ses principes. A l’époque vénérée entre toutes par nous (notre correspondant et moi-même), le XIII° siècle, il aurait été impensable de protéger la contraception, l’avortement et l’homosexualité comme le fait la société occidentale.De plus, le pouvoir temporel des papes a été défendu jusqu’à Paul VI, qui l’abandonna et que nous ne portons pas dans notre cœur. Bien plus, à ladite époque du XIII° siècle, le grand pape Innocent III entendit (et n’y parvint pas) faire du souverain pontife un super souverain doté du pouvoir de faire et défaire les rois, exactement comme les titulaires du califat. La doctrine de la séparation du temporel et du spirituel n’est donc en réalité qu’une position de repli pour l’Eglise.
En résumé, est-il cohérent de reprocher à l’Islam de refuser de se plier à des contraintes (la religion comme une affaire purement privée) qui nous ont été imposées de force par un pouvoir illégitime. Est-il cohérent d’utiliser les arguments « républicains » que nous refusons à l’égard du catholicisme pour combattre l’Islam ? Autant je considère logique de considérer l’Islam comme une fausse religion, autant j’estime que l’on ne peut attendre de cette religion qu’elle effectue l’« aggiornamento » que nous réprouvons pour la nôtre.
Il faut tout de même reconnaître que le christianisme, et en particulier le catholicisme en ses plus traditionnalistes représentants, a bien évolué… disons depuis un millénaire… ce qui n’est pas le cas des représentants « durs » de l’islam, qui me semblent au contraire régresser.