Si l’on veut être honnête, il faut rendre justice à tous ceux qui le méritent, et pas seulement à une partie d’entre eux, choisis sur on ne sait trop quel (s) critère (s)….
Nicolas Sarkozy, à peine élu, a voulu donner à la jeunesse un exemple à suivre: aussi a-t-il décidé qu’on lirait dans les écoles, le 22 octobre de chaque année, le court texte de la lettre de Guy Môcquet à ses parents, écrite juste avant que les Allemands ne le fusillent…..L’idée de « piocher » ainsi, dans notre Histoire, des modèles et des références n’est bien sûr pas condamnable en soi; déjà Jean-Paul II avait expliqué, en son temps, que l’on devait « purifier » et pacifier la Mémoire, et qu’il ne fallait pas hésiter pour ce faire à regarder en face, et lucidement, toutes les facettes du passé, les glorieuses et celles qui l’étaient moins…..
Le Président veut donc que la France n’oublie pas, et qu’elle se livre à un vaste travail de justice et de réconciliation? Tout à fait d’accords; cela ne nous choque en rien, et nous y sommes même extremement favorables. Sauf qu’il ne faut pas, dans ce cas, limiter cela à une seule personne: il faut au contraire, hardiment, « faire bouger les lignes » -dans ce domaine comme dans tant d’autres….- et, puisqu’on parle de courage et de lucidité pour affronter les zones d’ombre et les pans de notre Histoire qui ne sont pas très glorieux, le faire à fond et jusqu’au bout….; privilégier un seul cas est une attitude forcément réductrice et forcément injuste: peut-on mesurer ou peser les douleurs, et choisir de se souvenir de celle-ci au détriment de celles-la? pourquoi ne pas réserver plutôt une journée à la réhabilitation de toutes les victimes, à la réparation de toutes les injustices, à l’apaisement de toutes les blessures?…
Ce n’est donc pas parce que Guy Môcquet était communiste que j’aurais des réticences à lire sa lettre à mes élèves. C’est parce qu’il n’y a aucune raison que l’on ne fasse pas mention -si l’on tient absolument a accomplir un « devoir de mémoire »…- d’autres souffrances tout aussi respectables dans notre Histoire, et qu’il est tout aussi urgent de réparer: par exemple, pourquoi ne pas reconnaître enfin (212 ans après, ne serait-il pas plus que temps?…) l’épouvantable martyre du petit Louis-Charles, duc de Normandie (1). Lui n’a même pas pu atteindre l’âge de l’adolescence (il est mort à dix ans…); et il n’a même pas pu écrire à ses parents: ils étaient déjà morts, assassinés, depuis deux ans et plus!
On l’a laissé seul, des nuits entières, hurlant de peur, en proie à ses terreurs enfantines, sans que personne ne vienne jamais le réconforter. « L’enfant emmuré, « tel un cadavre au sépulcre », tenu dans un total isolement affectif et social, rongé par la vermine, ses articulations déformées et semées de tumeurs, passa seul sa dernière nuit en ce monde….. » Voilà un passage que je lirais à mes élèves, parallèlement à la lettre de Guy Môcquet, si je devais lire celle-ci. Ce passage est extrait d’un article d’une personne qui n’est pourtant pas « de chez nous », puisqu’il s’agit d’Edmonde Charles-Roux (veuve de Gaston Deferre), qui rend compte du livre écrit par son frère, prêtre, « Lousi XVII: la mère et l’enfant martyr ».
Que l’on ne se méprenne pas sur ce que nous souhaitons: bien loin de demander vengeance, réparation ou « repentance », nous demandons simplement la réintégration dans l’Histoire nationale de celles et ceux qui sont des victimes « occultées »; nous demandons simplement que les célébrations ne soient plus toujours « à sens unique » et réservées aux personnes d’un seul bord (toujours le même…), mais que l’on rende justice à toutes les victimes, et que l’on rétablisse la vérité pour toutes les victimes, sans privilégier telle ou telle…; et ceci afin de sortir du « mémoricide » qui entoure, pour des raisons de pur sectarisme, tant et tant de personnes qui méritent, autant voire plus que Guy Môcquet, que l’on « fasse mémoire » d’elles….En somme, nous demandons seulement à Nicolas Sarkozy qu’il fasse « vraiment », pleinement et à fond, ce qu’il dit vouloir faire…..
Voilà pourquoi je lirai la « Lettre de Guy Môcquet » si, et seulement si, il m’est donné de lire, en parallèle, un petit texte de même longueur sur le martyre du petit Roi Louis XVII. Et si je ne le peux pas, quelle qu’en soit la raison, je ne la lirai pas…..
F.D., Professeur…
(1): voir la note « De Guy Môquet à…..Louis XVII » dans la Catégorie « Totalitarisme et révolution ».
Répétons-le encore et encore, les communistes ne sont devenus résistants qu’en 1941, lorsqu’Hitler a rompu le pacte Germano-Sovietique. Avant, il faisait placarder dans les rues de Paris « Bienvenue aux envahisseurs ».