Pour celles et ceux qui penseraient -peut être….- que nous parlons trop souvent des problèmes d’insécurité; ou que nous exagérons quand nous critiquons la politique que mène la république, quand nous disons qu’elle conduit à la banalisation et à l’institutionnalisation de la violence et de la délinquance ordinaire (la pire, donc…); voici -sans autres commentaires- l’article de Luc Bronner dans Le Monde du 4 juin, sous le titre: « Enquête: Dans les bus, c’est le tarif coup de poing »…..
Du mépris. Des insultes. Des crachats. Et parfois des agressions physiques. Les chauffeurs des bus, qui roulent dans les quartiers sensibles de l’Essonne, n’en peuvent plus de la violence ordinaire dans les transports en commun. « Quand on « ose » demander les tickets, on nous dit : « Ferme ta gueule et conduis ! » s’émeut Jean Lucas, 52 ans, dont trente à conduire des bus dans l’Essonne, également délégué syndical au sein de la société de transport par autocars (STA), une filiale de Keolis qui couvre Corbeil-Essonnes et Mennecy.
Au dépôt des bus de la STA, autour de la machine à café, les conducteurs ne parlent que des tensions quotidiennes dans leurs tournées. « Il va bien, Miguel ? », s’inquiète un chauffeur. « Il a eu cinq jours d’ITT (incapacité totale de travail), mais ça va », répond son voisin devant l’affichette expliquant que le chauffeur remercie ses collègues pour le soutien reçu après son agression. « J’ai été très sensible à toutes vos marques de sympathie », a fait écrire le conducteur blessé. Une histoire des plus banale :
vendredi 23 mai, le chauffeur a demandé à un client de valider son ticket. « Ça ne lui a pas plu. Il l’a insulté pendant tout le trajet. Et lorsqu’il est arrivé à la gare, il l’a frappé », raconte Jean Lucas.
Les quelque 80 chauffeurs de la société ont alors décidé de se mettre en grève et de réclamer la gratuité des transports. « Si nous n’avons plus à gérer le contrôle des titres de transport, 90 % des problèmes seront résolus », affirme Daniel Bastos, 29 ans, neuf ans d’expérience, délégué syndical de la CGT. « La gratuité, c’est aussi une façon de sortir de l’hypocrisie dans laquelle on est aujourd’hui : les gens honnêtes paient pour les autres », note Jean Lucas.
Dans les faits, une partie des chauffeurs – plus des trois quarts, selon les syndicalistes – ont en effet cessé depuis longtemps de contrôler les titres de transport. En particulier sur les lignes qui traversent les quartiers sensibles. Dans la salle de repos des chauffeurs, Daniel Bastos montre des piles de « fiches de fin de service », les tickets qui résument l’activité de chaque bus, notamment les ventes de tickets à l’unité et les validations des cartes d’abonnement (Navigo, Cartes orange, cartes scolaires, etc.) : « Pour celui-là, il y a zéro euro de recette pour trois heures de fonctionnement. Ici, c’est 1,5 euro. » Il fouille et trouve une recette plus importante : « 25 euros, mais c’est un dimanche, avec les vieux qui vont au marché et qui continuent de payer. »
Comme les autres conducteurs, il a bénéficié d’une formation professionnelle de deux journées pour savoir comment réclamer les tickets. « On nous a appris à parler aux clients, à sourire, à formuler les phrases », ironise-t-il. Un voeu pieux dans le climat parfois tendu des cités : sa dernière fiche personnelle indique quatre heures de service dans les rues de Corbeil avec aucun ticket vendu et seulement 19 validations. Le tout pour un bus plein en heure de pointe. « Je ne demande plus aux clients de valider. Même ceux qui sont en règle ne le font plus. »
Une façon de gérer le risque partagée par Ahmed Hedjane, 32 ans, 1 500 euros par mois « avec les heures supplémentaires ». Ce chauffeur refuse d’être insulté ou bousculé pour récupérer le prix d’un ticket ou vérifier les abonnements. Il laisse donc faire. « Sinon on s’embrouille toutes les cinq minutes. »Son collègue, Eric Emidof, 35 ans, neuf ans d’expérience, met en avant le principe de précaution. « Certains jeunes n’attendent que ça. Ils veulent créer des problèmes ». Lui a déjà été caillassé et insulté. « Trois jeunes s’amusaient à appuyer sur les boutons d’arrêt. Je leur ai dit d’arrêter. Ils m’ont traité d' »enculé » et m’ont dit « nique ta race. » »
Pour ces travailleurs de l’ombre, la question des moyens humains est décisive. Sur les lignes de la STA, où circulent plusieurs dizaines de bus, un seul contrôleur assermenté, aidé par une poignée d’agents de médiation, doit surveiller le réseau. Hervé Reviret, 35 ans, qui a travaillé six ans aux Ulis et exerce depuis huit ans à Corbeil-Essonnes, tente ainsi de sillonner les lignes où la fraude est la plus fréquente.
Mais en l’absence d’équipes de soutien, comme celles dont dispose la RATP, il n’insiste pas : « Quand il y a un conflit, j’essaie de discuter. Mais pour 1,5 euro, c’est pas la peine de prendre des risques. Les patrons nous disent de faire ce qu’on peut. » Lui aussi a déjà été insulté, « des petits Blacks et des Maghrébins qui m’ont traité de « sale Noir » ».
Les conducteurs expriment le sentiment d’être abandonnés. André Mariel, 57 ans, a été agressé en 2007. La première fois en vingt années de carrière. Des faits graves – « Un coup de manchette dans la gorge » – qui l’incitent à changer d’attitude : « Je n’ai pas peur. Mais, la prochaine fois, je me défendrai. On peut pas laisser passer sans réagir. » Un collègue acquiesce : le risque existe de voir des chauffeurs être tentés de se défendre par leurs propres moyens. « On sait que les policiers sont eux-mêmes débordés. Comment ils pourraient venir nous aider quand il n’y a qu’une seule patrouille disponible pour toute une ville ? » interroge Daniel Bastos.
L’entreprise et les pouvoirs publics ont rejeté la revendication syndicale. Pour des motifs budgétaires, de principe, mais aussi d’efficacité. « La gratuité remettrait en question le système de financement des transports en Ile-de-France. Cela poserait un problème d’égalité des citoyens devant la loi », relève Jean-François Bayle, adjoint au maire (UMP) de Corbeil-Essonnes. Lui défend l’augmentation du nombre d’agents de médiation et l’installation systématique de caméras embarquées.
« La gratuité n’est pas une solution, ajoute Carlos Gutierrez, responsable du site STA. Lorsque cela a été expérimenté, on a constaté une augmentation des dégradations. » La société relativise l’importance des incidents et insiste plutôt sur les opérations de communication lancées pour inciter les passagers à valider leurs titres de transport. « On s’efforce d’éduquer les clients », ajoute M. Gutierrez.
Pour l’entreprise, les conséquences de l’absence actuelle de contrôles restent limitées. Car l’essentiel du financement provient des sommes versées par les pouvoirs publics pour les abonnements. Des subventions calculées en fonction de « comptages » réalisés tous les deux ans pour mesurer le nombre de passagers. Dans ces périodes, selon les témoignages des conducteurs, la société mobilise alors un maximum de personnel afin de réduire la fraude. Le reste du temps, « ne paient que ceux qui le veulent bien », conclut Eric Emidof.
Noël Stassinet sur On attend une vigoureuse réaction du…
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