Cette histoire est en train de devenir un mauvais feuilleton. Il serait grotesque et risible, abracadabrantesque comme dirait Chirac citant Dumas, s’il ne nous renvoyait en fait à quelque chose de beaucoup plus profond et, pour le coup, de beaucoup moins drôle; mais aussi, si l’on prend la peine d’y réfléchir quelques instants, très instructif….
En effet, de quoi s’agit-il ? Et quel est le problème que pose ce malheureux fichier pour occuper à ce point tant de monde pendant tant de temps ?
S’il ne s’agissait que d’inscrire, ou pas, des renseignements d’ordre privé sur les comportement sexuels des personnes fichées, ou sur leurs orientations et activités syndicales, il ne s’agirait là que d’un problème technique; de quelque chose qui n’est somme toute pas majeur : on trouvera toujours le moyen de faire un bon fichier, il n’y a rien là qui semble devoir justifier un tel tintamarre, et de tels rebondissements, et sur une aussi longue période…
Soyons donc sérieux : si l’affaire fait un tel foin, c’est qu’il y a autre chose. La vraie question est : quoi ?
Il nous semble que le vrai problème, le seul, est d’ordre mental et psychologique. On pourrait avancer aussi moral et intellectuel. On le sait, la république est née historiquement de la révolution, c’est-à-dire qu’elle est née dans la violence, de et par la violence. Une violence imposée au quotidien à une population terrorisée (c’est bien ce qui signifie le terme de Terreur, qui est très clair…) et pratiquée par des gens qui étaient tout sauf des anges de douceur….
Nos lecteurs ont pu apprécier le passage de Chateaubriand que nous citions dans l’ephéméride du 2 septembre, à propos des massacres décidés par « Danton et ses trois furies mâles, Camille Desmoulins, Marat, Fabre d’Eglantine… ». Il est là et bien là, et uniquement là, nous semble-t-il, le problème, le seul problème que pose le fichier Edvige.
De par ses origines violentes et criminelles, la république ne peut que répugner à sévir, et même simplement à ficher, des gens en qui, peu ou prou, elle se retrouve forcément un peu, beaucoup. Elle ne sait pas vraiment, elle ne veut pas et, presque, elle ne peut pas sévir contre eux : elle sent bien que ce serait se renier elle même en quelque sorte. Dans cette sorte de tendresse trouble et malsaine qu’elle ressent pour tout individu à la marge – à la seule condition, évidemment, et nous l’avons dit cent fois, qu’il soit révolutionnaire : sinon, cela ne marche pas…- la république s’aime en effet elle même dans ses origines, qu’elle n’a jamais voulu renier. Elle sait bien comment elle est née et d’où elle vient, mais elle cache ses origines, un peu comme une maladie honteuse peut-être; et elle n’a jamais exprimé ni remords ni excuses (pour le génocide vendéen ou les victimes de la révolution par exemple…).
Comment veut-on qu’un régime pareil soit à l’aise pour ficher les marginaux, les violents, les terroristes; et les ficher pour, ensuite, les empêcher de nuire ! Elle est elle même née de ces « braillards », terme que Danton s’est attribué lui-même (« Venez brailler avec nous !….)
Je livre à votre réflexion un paragraphe de la préface du « Meilleur des mondes » (1946) d’Aldous Huxley:
« Un état totalitaire vraiment efficient serait celui dans lequel le tout puissant comité exécutif des chefs politiques et leur armée de directeurs auraient la haute main sur une population d’esclaves qu’il serait inutile de contraindre, parcequ’ils auraient l’amour de la servitude. La leur faire aimer telle est la tâche assignée aux ministères de la propagande, aux rédacteurs en chef de journaux et aux maîtres d’écoles ».
Les terroristes et les déviants sont utilisés comme un repoussoir pour justifier toutes les dérives liberticides et la mise sous surveillance généralisée. Cette surveillance venant s’ajouter au « politiquement correct », à la « pensée unique », à « l’hygiénisme », ainsi qu’au « matraquage publicitaire ».
Que reste-t-il des libertés?