Voici un extrait – court, mais, malgré tout, significatif… – de la Postface du « Reprendre le Pouvoir », de Pierre Boutang, intitulée « VERS LA LEGITIMITE REVOLUTIONNAIRE ».
On reconnaîtra dans notre illustration la couverture du livre de Boutang: il s’agit de l’une des têtes des Rois de Juda, stupidement décapitées en 1793 – les vandales croyant qu’il s’agissait des Rois de France… – puis jetées au sol et abandonnées, et qui devaient être retrouvées bien plus tard, et déposées depuis au musée…
REPRENDRE LE POUVOIR » (POSTFACE, extrait, 1978)
« …Et nous, qui essayons d’être chrétien, sans renoncer à une foi politique, qu’oserons-nous proposer, indiquer à l’horizon du désir, qui ne soit objet premier du mirage ? La réflexion sur Foucault nous a, bizarrement, conduit à l’idée, ou au mythe d’une légitimité révolutionnaire, d’une révolution pour instaurer l’ordre légitime et profond. Ce n’est pas que nous n’éprouvions du dégoût pour le mot de révolution. Nous savons d’expérience, comment elles se terminent toutes, et nous n’envions, pour nous ni pour nos fils, les prestiges de leur commencement.
Il y aurait pire que l’usage – indirect ou adjectif – de ce mot : ce serait l’illusion que la société par nous héritée, puis empirée, est compatible avec une légitimité quelconque, qu’un État légitime peut être greffé ou plaqué sur cette désolante pourriture. Mais, si corrompue qu’elle soit par le mal universel de l’usure (plus encore que par la pornocratie et l’alphabétisme idiot), chaque enfant d’une race et d’une langue, chaque nouveau-né recommence l’énorme aventure, retrouve la chance de tous les saluts ; le tissu premier de la politique, la source et l’objet du pouvoir sauveur, c’est la naissance. Chaque naissance dans une famille est le modèle idéal et réel des renaissances nationales ; l’apparition effective d’une telle renaissance exige la conjonction (pas plus invraisemblable, certes, que celle dont la révolution marxiste ne peut théoriquement se passer : une concentration du prolétariat dépossédé, et une volonté révolutionnaire) d’un état de la corruption ploutocratique avec une décision de rétablissement de la nature politique et du droit naturel. Que cette conjonction doive être héroïque, cela résulte de l’extrême contrainte exercée, à l’âge moderne, par l’extrême artifice, et par les techniques d’avilissement. Le noyau naturel de notre présence terrestre est attaqué de telle sorte que la nature même ne peut plus être que l’objet d’une reconquête. Que cette reconquête puisse demeurer pacifique est probablement une illusion dont les écologistes sérieux ne soutiennent pas la vraisemblance.
Giambattista ou Giovanni Battista Vico (1668 – 1744), philosophe italien, précurseur de la philosophie de l’histoire.
Lorsque « l’âge de l’homme » décrit – nous l’avons vu, de manière ambiguë – par Vico, tombe, à l’occasion de l’un des ricorsi, bien au-dessous des Lumières, et produit la société d’usurpation et de mensonge que nous connaissons, il n’y a plus qu’à attendre et préparer activement le nouvel âge héroïque. Cela malgré les surprises que nulle prévision ne nous épargnera, malgré la difficulté liée à l’existence d’un autre type de corruption dans d’autres sociétés ou nations concurrentes, malgré la perte d’énergie considérable que les systèmes sociaux, comme les systèmes physiques, éprouvent au cours de tous leurs changements majeurs. Une théorie du pouvoir associée à une foi politique doit prévoir quelle entropie elle peut supporter et risquer, et quelle « néguentropie » elle apporte avec elle, comme toute décision vivante. Il doit – on est tenté de dire il va – y avoir un moment où survivre dans cet état de pourriture apparaîtra, dans un éclair comme indigne et impossible. Cette prévision ne diffère de celle des marxistes que par les sujets de l’impossibilité vécue : là où les marxistes les délimitaient comme prolétariat victime du salariat, nous reconnaissons en eux les Français (et les diverses nations d’Europe selon une modalité particulière), en tant qu’hommes empêchés de vivre naturellement, soumis à des objectifs étatiques tantôt fous, tantôt criminels. Quelques-uns parmi eux, sont capablesde guetter la conjonction libératrice, mais, à l’instant élu la communauté tout entière, par l’effet de l’universelle agression qu’elle a subie, peut être capable de consentir à la décision, d’initier un nouvel âge héroïque. Il ne sera certes pas celui des philosophes, nouveaux ni anciens. Les philosophes, s’ils se délivrent de leur préjugé que l’Esprit doit être sans puissance et que tout pouvoir est mauvais y pourront jouer un rôle moins absurde, finalement que celui de Platon à Syracuse. Quant aux spirituels, c’est l’un d’eux, Martin Buber, qui prophétisait la bonne modification du pouvoir en un nouvel âge :
Martin Mordekaï Buber (1878 – 1965) philosophe israélien et autrichien.
« Je vois monter à l’horizon avec la lenteur de tous les processus dont se compose la vraie histoire de l’homme, un grand mécontentement qui ne ressemble à aucun de ceux que l’on a connus jusqu’ici. On ne s’insurgera plus seulement, comme dans le passé, contre le règne d’une tendance déterminée, pour faire triompher d’autres tendances. On s’insurgera pour l’amour de l’authenticité dans la réalisation contre la fausse manière de réaliser une grande aspiration de l’aspiration à la communauté. On luttera contre la distorsion et pour la pureté de la forme, telle que l’ont vu les générations de la foi et de l’espoir. » Un « nouveau Moyen Âge » comme l’ont entrevu Berdiaeff et Chesterton ? Les ricorsi ne sont pas de pures répétitions ni même de simples renouvellements. Sûrement : une manière de rendre vaine l’opposition de l’individualisme et du collectivisme, telle qu’en usent, pour leurs courtes ambitions, les barbares et les freluquets. L’âge des héros rebâtira un pouvoir ; il n’est pas de grand siècle du passé qui ne se soit donné cette tâche même aux âges simplement humains, où les familles, lassées de grandeur, confiaient à quelque César leur destin, à charge de maintenir le droit commun, le pouvoir reconstruit gardait quelque saveur du monde précédent. Notre société n’a que des banques pour cathédrales ; elle n’a rien à transmettre qui justifie un nouvel « appel aux conservateurs » ; il n’y a, d’elle proprement dite, rien à conserver. Aussi sommes-nous libres de rêver que le premier rebelle, et serviteur de la légitimité révolutionnaire, sera le Prince chrétien. »
« Il faut dire sans ambages, écrit Evola, que se battre pour la monarchie n’aurait aucun sens si celle-ci devait n’être qu’une espèce de bibelot décoratif, quelque chose qui se superposerait au système actuel en le laissant tel quel. »
Le roi « est transcendant » reconnaissait Rousseau.
Un véritable retour à la monarchie impliquerait que la souveraineté politique fût à nouveau perçue comme inséparable du sacré.
Dans le monde contemporain désenchanté et fermé au sacré, celà me semble difficilement réalisable.
Non pour répondre à Sebasto,le monde contemporain n’est pas fermé au sacré. S’il nous apparait désanchanté , c’est qu’il attend chacun de nous pour le faire chanter à nouveau, comme l’a montré Benoït XVI aux Bernardins devant une assistance médusée.
Le monde , c’est aussi nous, et s’il nous apparait découragé, c’est à nous de nous battre et de transmettre au monde cette flamme dont nous avons hérité et qui ne s’éteindra jamais et de lui montrer que seul un monde laissant sa place eà la transcendance peut fonder en durée.
Au travail et alors le Roi pourra revenir, si nous avons fait oeuvre de réconciliation dans ce monde pour lui permettre de retrouver sa véritable nature : pouvoir être transfiguré par autre chose que lui.
Oui, au travail
Je répondrai à Peter Henri que s’est s’exposer à de terribles déceptions que de croire que Benoît XVI est le messager de la contre révolution. Loin de moi l’idée de manifester de la méfiance ou de l’acrimonie à l’égard du pape actuel, qui est le meilleur que nous ayons depuis Pie XII et peut-être même Pie X ! Cependant, il fait ce qu’il peut, et la situation est inextricable. La meilleure parole qu’il ait prononcée est à mon avis la brève allocution lancée à son arrivée à l’aéroport, disant que la religion n’est pas une politique et la politique n’est pas une religion. Elle s’adressait aux évêques, mais nous pouvons y prendre notre miel. Et surtout, gardons notre liberté à l’égard des autorités religieuses, dans le domaine de notre combat. N’oublions pas:
1) que nous avons désobéi depuis 150 ans à 3 papes différents: Léon XIII, Pie XI et Paul VI. N’en ayons pas honte. Ce fut au contraire la preuve de la rectitude de notre pensée. Voyez ce qu’il reste du carlisme qui s’est réduit au catholicisme.
2) que s’il n’y avait pas eu la désobéissance de Mgr Lefebvre, il n’y aurait pas eu le sursaut de Benoït XVI
Je répondrais brievement à Antiquus que je n’ai pas dit que Benoit XVI est
e messager de la contre révolution ( encore faudrait-il s’entendre sur le
terme, ce qui n’est pas évident) ) , je disais simplement qu’il nous montre la voie: le monde ne nous est pas extérieur, c’est à nous. de le
réenchanter. Maintenant entre les fidélités croisés, la tradition et la barque de Pierre, la communion malgré les tempêtes, nous ne ne pouvons là
aussi nous départager , mais nous remettre à la douce pitié de Dieu, nous ne pouvons nous justifier de nous mêmes, quelque soit notre camp, et notre
bonne foi..
Avançons.
Pardonnez-moi, mais je n’ai pas très bien compris ce que vous m’écrivez, à part qu’il faut avoir confiance en Dieu.
– Quelle est votre définition de la contre-révolution ?
– Qu’entendez-vous par « réenchanter le monde »? Avez-vous lu le livre de Marcel Gauchet « Le désenchantement du monde ». L’auteur y développe l’idée que le sacré est par définition païen. Bien sûr, ce philosophe n’est pas de nos idées, mais plusieurs théologiens actuels défendent l’idée que seul le corps de l’homme est réellement sacré.
La définition de la légitimité du prince chrétien selon Pierre Boutang serait elle acceptable pour le monde contemporain?
J’en doute.
Ce qui pose la question de la monarchie constitutionnelle et parlementaire (Espagne, Hollande…).
La République couronnée diffèrerait elle de la démocratie libérale classique?
Cruelle, et lancinante question, cher Sébasto. Il y a deux aspects dans ce dilemme: d’abord les avantages que présente de manière intrinsèque la monarchie: souplesse, pragmatisme, adaptation, aptitude à rallier. C’est de l’art politique.
Ensuite il y a le recours au principe monarchique pour inverser le flux de la décadence : c’est un projet de nature contradictoirement traditionaliste et volontariste à la fois. Peut-on soutenir les deux versions à la fois? C’est très difficile.