Un peu de décence, s’il vous plaît ! Courant décembre, une dépêche presque gourmande de l’AFP nous a rappellé -comme si nous ne le savions pas….- qu’ « Il y a 183 ans brillait le soleil d’Austerlitz ».
Suivait une description complaisante de solennités organisées par le souvenir Napoléonien pour commémorer « la plus belle bataille de l’Empire »…..
Bon, soyons clairs. Que la France assume son héritage historique, celui de toutes les France, on est bien d’accord là-dessus. N’est-ce pas Philippe VIII, duc d’Orléans, qui a dit, au tout début du XX° siècle, « Tout ce qui est national est nôtre » (1) ?
Mais assumer un héritage, fut-il divers jusqu’à l’incohérence et la contradiction entre ses différents aspects, c’est une chose; encenser et louanger également toutes les pièces de l’héritage, toutes mises sur un même pied d’égalité, en leur accordant à toutes une même valeur intrinséque, c’en est une autre. Maurras ne dit pas autre chose lorsqu’il dit qu’il faut savoir s’accommoder de la révolution-fait, mais se dépêtrer de la révolution-idée.
En clair, nous voulons bien assumer l’Empire en général, et Austerlitz en particulier. Nous voulons bien accueillir « la gloire, l’Art » (2) de Napoléon qui, de toutes façons est un fait de notre histoire, une de ses pages que l’on ne peut ni effacer ni omettre. Mais de là à se déguiser « 183 ans après » pour jouer aux soldats et faire mumuse avec ce qui fut un drame humain pour tant de personnes, en France et en Europe, non ! De là à célébrer la grande boucherie que fut son règne, non !
L’Empire, héritier et sabre de la révolution, ce fut L’Europe à feu et à sang pendant quinze ans, à cause des folies révolutionnaires; une Europe où -à part quelques ennemis déclarés, comme la Hollande, l’Angleterre évidemment, et la Prusse, qui nous haïssait en nous badant cependant…) nous comptions une grande majorité d’amis qui nous admiraient, nous imitaient et nous copiaient en tout (de la langue aux moeurs en passant par l’Art et la Culture…).
L’Empire, héritier et sabre de la révolution, ce fut la France saignée démographiquement, ayant perdu plus d’un million et demi de ses enfants, dans la force de l’âge, et qui n’auront donc pas de descendance; sans compter les pertes territoriales (et donc, à nouveau de population). Au bas mot, deux millions de français en moins après Napoléon (3).
Peut-on célébrer « ça »? Nous ne le pensons pas. Donc, nous faisons mémoire d’Austerlitz, nous acceptons la gloire militaire -stérile- de l’Empire, en l’intégrant à l’ensemble des hauts faits d’arme de notre Peuple et de son armée, tout au long de son Histoire. Mais nous n’allons pas perpétuer d’une façon morbide, malsaine et indécente un souvenir (?) de ce qui fut peut-être la carnage le plus stupide et le plus affreux à la fois de toute l’histoire du continent européen. Dans l’une des versions du colonel Chabert, Raimu a un moment se met à hurler un « Assez ! », furieux et vengeur, qui s’adresse à tous ceux qui se complaisent dans cette inutile et effroyable boucherie sans fin…..
On est bien loin du raffinement, de la bonté et de de l’humanisme de Louis XV. Il fut des siècles chrétiens, finalement pas si lointains, où le sang de l’ennemi n’était pas impur (4) parce qu’il était celui de créatures de Dieu au même titre que celui des vainqueurs. « Le sang de l’ennemi, c’est toujours le sang des hommes…. la vraie gloire c’est de l’épargner »dira Louis XV en parcourant le champ de bataille de Fontenoy en 1745, tandis que reproche lui était fait que ses médecins soignaient indifféremment les blessés français, anglais et hollandais. On est bien loin de Napoléon qui proféra cyniquement cette phrase littéralement monstrueuse : « J’ai trois cent mille hommes de rente »et qui dira à Metternich : « Vous n’êtes pas militaire, Monsieur et vous ne les comprendrez jamais ! Vous n’avez, pas vécu dans les camps; vous n’avez pas appris à mépriser la vie d’autrui et la vôtre, quand il le faut. J’ai grandi sur le champ de batailles. Pour un homme comme moi, la vie d’un million d’hommes ne vaut pas plus que de la m….. »
D’un côté, on essaye de christianiser la fureur des hommes; de l’autre, on se livre en aveugle au destin qui vous entraîne, et tant pis pour les fleuves de sang qui en découlent ! Comme le dit Chateaubriand, « L’avenir doutera si cet homme a été plus coupable par le mal qu’il a fait que par le bien qu’il eût pu faire et qu’il n’a pas fait » (5).
On l’oublie parfois, pris dans l’immédiateté de la lutte quotidienne. Mais notre royalisme n’est pas seulement, il n’est pas surtout et même il n’est surtout pas un dogmatisme politique et prétendument rationnel; il n’est pas une idéologie contraire opposée à une idéologie mortifère, celle de la révolution. Si nous combattons idéologies et idéologues, ce n’est certes pas pour nous transformer à notre tour en contre-idéologues : où serait l’intérêt ? C’est aussi et surtout parce que nous constatons que nos rois, avec leurs défauts, leurs erreurs et leurs échecs, ont malgré tout mené pendant mille ans une authentique politique de civilisation « quand notre organisation naturelle et historique fonctionnait » (c’est ainsi que Maurras parle de notre monarchie). La royauté est, pour nous, prouvée par l’Histoire; elle n’est pas le fruit d’une construction intellectuelle et abstraite : si nous sommes royalistes, c’est d’abord et avant tout parce que les Rois ont fait la France, et qu’ils en ont fait le plus beau royaume qui fût sous le ciel , et la première puissance du monde.
Une puissance que la révolution, et l’Empire qui la continue, auront singulièrement rabaissé et dilapidé. Alors, se souvenir d’Austerlitz ?oui bien sûr. L’exalter ? non certainement pas…..
(1) : « Tout ce qui est national est nôtre, et c’est sans crainte et sans arrière-pensée que je m’adresse à tous les vrais Français, n’ayant rien à redouter d’aucuns concours de quelques points de l’horizon politique qu’ils puissent me venir. Je fais appel à tous ceux qui se rencontrent dans le même amour de la France … »
(2) : De Jacques Bainville, dans son irremplaçable Napoléon : « Sauf pour la gloire, sauf pour l’Art, il eût probablement mieux valu qu’il n’eût pas existé… »
(3) : Après le deuxième Traité de Paris, de 1815, qui suivait les Cent jours, nous perdions les forteresses de Philippeville et Marienbourg (cédées toutes deux à Louis XIV en 1659) ainsi que Bouillon (la ville de Godefroy !…), actuellement en Belgique. Nous perdions les villes de la Sarre, aujourd’hui allemandes (Sarrelouis, fondée par Louis XIV en 1681 et Sarrebrück) et aussi Landau, aujourd’hui dans le Palatinat, mais qui fit longtemps part
ie de la décapole alsacienne (ville française depuis 1648 !). Nous perdions Versoix, sur la rive nord du Léman, et une partie du pays de Gex, français depuis Henri IV, aujourd’hui en Suisse ( les six communes de Versoix, Preny-Chambésy, Collex-Bossy, Grand-Saconnex, Meyrin et Vernier furent cédées à Genève ).
Avec, en prime, une occupation de trois ans et une « amende »de 700 millions de francs !….. Vraiment pas de quoi célébrer…..
(4) : comme cela est braillé dans le chant haineux que la république s’est choisi comme hymne national…. Non, le sang de nos adversaires n’est pas « impur »: laissons à d’autres la haine, la détestation, l’envie de donner la mort…..
(5) : pour celles et ceux qui veulent lire l’intégralité du texte de Chateaubriand De Buonaparte et des Bourbons,nous avons préparé un Pdf en page d’accueil : bonne lecture ! ce texte est un petit peu long, mais on peut le lire en plusieurs fois et, à notre très humble avis, si l’on excepte le Napoléon de Bainville, on n’a jamais rien écrit de mieux sur le sujet…..
VERDU sur Éloquence : Tanguy à la tribune,…
“Il est bon !!”