Michel del Castillo vient de publier Le temps de Franco (1), « biographie éblouissante » du Caudillo, nous dit Jérôme Béglé, qui lui consacre un très intéressant article dans Paris Match du 13 novembre, sous le titre assez choc Franco, nouveau héros.
Il faut dire que le fond de l’ouvrage est assez en décalage par rapport à la vérité officielle -qui n’est qu’un grossier mensonge- pour qu’on s’y arrête et qu’on salue le courage de son auteur. Exilé pendant le règne du Caudillo, on aurait pu penser que dans son nouvel ouvrage il se serait laissé aller sinon à régler des comptes, du moins à se couler dans le moule du si douillet conformisme qui prévaut aujourd’hui.
Eh bien, pas du tout : toutes proportions gardées, son ouvrage est une petite bombe, bienvenue. Un livre historiquement incorrect, c’est-à-dire donc très correct ! Par exemple, il « tord le cou aux clichés qui en font l’égal de Hitler et de Mussolini ».
Voici la présentation qu’en fait Jérome Béglé…..
Alors qu’il avait à peine trois ans, Michel del Castillo a vu sa mère se faire emprisonner par les nationalistes, au début de la guerre civile. Plus tard, il sera lui-même enfermé dans un camp de réfugiés politiques, s’en évadera et connaîtra mille vicissitudes avant de rejoindre la France en 1953. Il eut donc à souffrir des brimades du régime franquiste. Aussi, quand il signe une biographie de Franco, s’attend-on à ce qu’il entonne le refrain du dictateur sanguinaire, inculte, poltron et responsable de la ruine de son pays. Pourtant, il est aux antipodes de ces clichés.
Officier de l’armée espagnole envoyé pour « maintenir l’ordre » au Maroc, le Caudillo fit preuve d’un grand courage et maintint le possessions nationales alors que ses prédécesseurs ne faisaient que reculer devant les combattants du Rif. C’est là qu’il conquit ses galons et une réputation qui tinta jusqu’aux oreilles du roi Alphonse XIII. Falot et dépassé par les évènements, ce dernier ne pouvait compter que sur l’armée pour maintenir son pouvoir. Il fit vite la connaissance de Francisco Franco Bahamonde dont la notoriété se propageait dans toute la Péninsule.
Sur la guerre civile qui déchira l’Espagne de 1936 à 1939, del Castillo a des phrases définitives : « Continuer d’affirmer, comme on le fait encore, que le général Franco s’est soulevé contre la République ou, plus fantastique, contre la démocratie, me paraît une double aberration… Il en va de même pour la paresseuse affirmation que la légalité républicaine est morte étranglée par des militaires factieux….. Je constate que les gouvernements républicains n’ont cessé de bafouer la Constitution, de piétiner la légalité et que, dès 1934 – l’insurrection de la Catalogne et des Asturies- l’extrême gauche poignardait la république, rendant le soulèvement inévitable ». C’est dit. Les pages dans lesquelles l’auteur raconte les manoeuvres de la camarilla pour convaincre Franco de ne pas accorder sa succession à Juan Carlos et de laisser le pouvoir à un autre prince à qui l’on avait fait épouser la petite-fille préférée du chef d’Etat sont sidérantes. Mais, jusqu’au bout, le vieil homme se comporta en militaire, respectueux d’une loi qu’il avait lui-même instituée et qu’il ne voulait pas contourner, même s’il pouvait en retirer des avantages.
Michel del Castillo passe par le fil de l’épée les biographies fantaisistes ou celles d’intellectuels méprisant, par principe, le smilitaires. Il démontre que le décollage économique de l’Espagne est l’oeuvre de Franco même si celui-ci a très mal accompagné son pays sur le chemin de la démocratie.
Restent les années noires de la guerre civile. L’auteur, prix Renaudot en 1981, ne transforme pas « Guernica » en un tableau naïf, mais rappelle que nationalistes et républicains ont commis autant de massacres et de tortures. Comme souvent, les perdants ont endossé le costume de la victime tandis que, par bêtise ou orgueil, Franco donnait une publicité excessive à ses victoires quels qu’en soient les moyens pour y parvenir. Ses troupes ont fait preuve de bravoure et de cruauté, tandis que ses généraux et lui-même ont souvent outrepassé leur fonction, se livrant à des exécutions inutiles et condamnables.
Les idées reçues tombent les unes après les autres dans ce récit rondement mené et, qui plus est, merveilleusement écrit. On n’a pas affaire à la thèse d’un universitaire, à la revanche d’un intellectuel engagé ou au morceau de bravoure d’un homme politique. Le temps de Franco est l’oeuvre d’un écrivain aux phrases parfaites, au rythme impeccable et au propos qui ne veut convaincre qu’un seul juge : l’Histoire ».
Il nous semble juste de dire que, si le livre n’est pas mal, l’article n’est pas mal non plus. Et si Michel del Castillo mérité des éloges pour son honnêteté intellectuelle (il en faut pour braver la fausse vérité établie…), Jérôme Béglé en mérite lui aussi, pour ce compte-rendu intelligent et, lui aussi, décapant.
(1) : Le temps de Franco, de Michel Castillo, Editions Fayard, 391 pages, 22 euros.
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