Le philosope libéral, Philippe Nemo s’est entretenu récemment avec l’historien Roland Hureaux (1), ce qui nous a valu un fort intéressant débat, souvent roboratif et, au final, assez réconfortant.
Leurs propos décapants, leur regard honnête et sans concession sur notre histoire récente, ces mensonges de la vérité officielle à nouveau dénoncés par eux au cours de leur échange : tout cela nous a fait penser qu’il serait intéressant de mettre cette discussion à la disposition de nos lecteurs……
Pour la commodité de la lecture, nous l’avons divisé en trois parties : d’abord, une réflexion sur la Révolution et la République, qui a bien été conçue dès le départ, par les révolutionnaires, comme une nouvelle religion, comme « la » nouvelle religion; ensuite, une réflexion sur l’Ecole, malade de l’idéologie républicaine; et, pour finir, une dénonciation en règle de l’historiquement correct, c’est-à-dire des mensonges de la vérité officielle…..
Première partie : a propos de la Révolution et de la République, qui a bien été conçue dès le début, par les révolutionnaires, comme une religion…..
F.C. : Philippe Nemo, la république se prétend indivisible. Vous affirmez qu’il y en a deux. Comment en êtes-vous venu à cette conclusion ?
Philippe Nemo : Malgré le sympathique personnage de Marianne, il n’y a jamais eu de consensus en France sur ce que doit être la république. Les uns la conçoivent comme le régime protégeant les grandes libertés publiques, d’autres y voient un synonyme de « socialisme ». Le problème est que ces derniers ont opéré et quasi-réussi une « OPA » sur le mot « république » à partir des années 1900 ;
Roland Hureaux : Il y a eu une captation de l’héritage républicain par une gauche laïciste et socialisante, voire communiste. Il était donc utile de faire cette mise au point, notamment au sujet de l’affaire Dreyfus, en rappelant qu’il y a eu beaucoup d’anti-dreyfusards de gauche et plus qu’on ne croit de dreyfusards de droite.
F.C. : Vous expliquez aussi, à juste titre, que la Résistance fut loin d’être le monopole de la gauche.
P.N. : Autre paradoxe : la cinquième république a été fondée par un homme, de Gaulle, dont la formation militaire et la foi catholique correspondaient très peu aux critères en vogue du républicanisme de gauche.
R.H. : Il faut aussi ajouter que le sens du mot « républicain » évolue avec le temps. « Républicain » désigne aujourd’hui le refus d’une certaine mondialisation « libérale-libertaire ». Il peut signifier une réticence aux valeurs du capitalisme mondialisé, et de ce point de vue, il me paraît très légitime de l’être. On voit même des royalistes qui défendent le principe républicain au nom de la res publica, principe du Bien Commun pensé par Aristote.
F.C. : Clémenceau disait : « La révolution est un bloc ». Philippe Nemo oppose la révolution de 1789 à celle de 1793. En quoi sont-elles de nature différente ?
P.N. : La révolution de 1789 entendait promouvoir les libertés modernes, intellectuelles, politiques et économiques. Le gouvernement jacobin a promu la Terreur et une dictature d’Etat. C’est exactement l’inverse.
R.H. : 1793 témoigne en effet d’un projet révolutionnaire de plus grande ampleur que 1789, et la terreur jacobine contient en puissance les révolutions totalitaires du XX° siècle.
F.C. : Cette idée que François Furet a réussi à inscrire dans la pensée commune n’était pas évidente il y a trente ou quarante ans.
R.H. : Pour autant, je trouve que Philippe Nemo a tendance a exagérer ce clivage. Il oublie les leçons du philosophe écossais libéral Edmund Burke qui a montré dans son grand livre sur la révolution française, écrit dès 1790, que la dynamique de 1793 était déjà sous-jacente aux évènements de 1789. Dès le départ, la révolution procédait d’une volonté de faire table rase du passé. 1789 contient une utopie libérale qui prône l’arasement des institutions existantes. C’est particulièrement vrai de la Constitution civile du clergé qui, en tant que projet de refondation de l’Eglise, est la cause directe des dérapages qui ont conduit à la Convention et à la Terreur.
P.N. : Il y a donc plusieurs libéralismes : l’un conservateur, accepte les héritages du passé ; l’autre prétend refonder la société sur des idées abstraites. Le libéralisme de Burke n’est pas celui des GIrondins. Un projet, même libéral, peut être idéologique dès lors qu’il pousse les idées jusqu’à leurs extrêmes conséquences. C‘est peut-être ce que nous vivons aujourd’hui.
F.C. : Selon Philippe Nemo, le jacobinisme idéologique de 1793 n’est pas un mouvement issu des Lumières, mais un millénarisme de type religieux.
R.H. : Beaucoup de livres ont montré la filiation entre le socialisme et le millénarisme qui proclame l’avènement d’une société nouvelle et fraternelle à travers une convulsion de type apocalyptique. Le millénarisme est une hérésie chrétienne qui fut condamnée par l’Eglise.
Quant au jacobinisme, on peut dire que c’est un millénarisme altéré par le rationalisme des Lumières. Un millénariste du Moyen-Âge comme Joachim de Flore se référait à la Bible, et plus particulièrement aux livres apocalyptiques ( Daniel, l’Apocalypse de Jean ). Tandis que les jacobins se réfèrent à une religion philosophique qui prétend instaurer le règne de la Vertu.
P.N. : Un archétype messianique chrétien est toujours sous-jacent chez les partisans de la « République » jacobine. Ne disent-ils pas qu’ils veulent « régénérer l’humanité », que le sang de leurs adversaires, intérieurs autant qu’extérieurs, est « impur » ? Certains voient même en Robespierre un nouveau Messie. Plus tard encore, le vocabulaire des révolutionnaires de 1848 ou de la commune sera para-religieux : on évoquera la république comme « la Sainte », « la Belle » etc… Et cela continue jusqu’à aujourd’hui où certains parlent de la république avec des accents mystiques, tel encore Vincent Peillon dans son dernier livre, La révolution française n’est pas terminée (Seuil). (à suivre).
(1): dans Famille chrétienne n° 1064 (11 Octobre 2008).
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