La chute de l’Etat protecteur fut donc l’élément perturbateur majeur de la société gallo-romaine. Et celle-ci attendait, d’une façon ou d’une autre, sa ré-instauration.
Or, après l’échec des mérovingien, les carolingiens faiblissaient à leur tour. L’ancienne Gaule devenait une proie facile pour les pillards, cela se savait et cela les attira. A partir du début du neuvième siècle, des pillards vikings commencèrent à arriver, sur leurs drakkars, et se montrèrent de plus en plus audacieux, enhardis par l’incurie du pouvoir carolingien.
Celui-ci se révéla régulièrement incapable de faire face à cette nouvelle menace, et c’est cela qui permit à une famille, celle des Robertiens, de combler le vide qu’il laissait et de se mettre en valeur, en défendant une population que les rois légitimes ne savaient, ou ne pouvaient, ou ne voulaient défendre.
Après avoir donc cerné, dans le fond, l’origine du succès d’une famille, nous en arrivons, maintenant, à cerner concrètement les raisons pratiques et immédiates qui l’ont amené à se hausser au-dessus du lot et à assurer sa primauté….
Dès 856 ont lieu des raid vikings sur Paris. La ville est incendiée. En fait, c’est dès la mort de Charlemagne, et après l’effondrement de son Empire que, suite à cette parenthèse de force et de puissance, la Francia occidentalis de Charles Chauve, faible et désorganisée, se retrouve la proie de ces hommes du nord ( « north men », d’ou dérive « normands » ) venus sur leurs drakkars. Si l’on songe à la puissance de Charlemagne, couronné en 800, on est frappé de voir que les premières incursions vikings datent de 843 ! :
- en 843, une centaine de drakkars attaquent et pillent Nantes : l’évêque de Nantes sera tué dans sa cathédrale avec de nombreux fidèles,
- en 845 : plus d’une centaine de drakkars remontent la Seine et pillent Paris en brûlant les monastères et les églises. L’armée royale de Charles-le-Chauve, désemparée, s’enfuie. Les vikings quittent la ville contre un tribu de 7000 livres d’argent,
- en 852 : une centaine de drakkars s’installe en bord de Seine à Jeufosse, à mis chemin entre Rouen et Paris : les vikings pillent la vallée et incendient à Tours le Sanctuaire de Saint Martin, le plus populaire de Gaule. Charles-le-Chauve, aidé pourtant de son frère Lothaire, n’ose pas intervenir,
- en 856 : Paris est à nouveau attaquée : les vikings menacent de tout brûler si on ne leur verse pas une forte somme d’argent : Charles le Chauve s’exécute.
- les vikings récidivent en 858 et en 861.
L’incurie des rois carolingiens, et leur incapacité à défendre le peuple contre ces hommes du nord, seront donc la cause directe de la montée en puissance des Robertiens, ancêtres des Capétiens, qui finiront par remplacer en 987 une dynastie carolingienne totalement discréditée parce que devenue totalement inutile…..
C’est en effet pour avoir vaillamment participé à la défense de Tours contre les normands, en 853, que le roi concéda l’Anjou en 864 à Robert-le-Fort (ci dessous), ancêtre des Robertiens, dont les descendants continueront à défendre la population : ce sont ces services rendus qui fonderont la légitimité de la troisième dynastie : les Capétiens.
De Jacques Bainville, Histoire de France, chapitre IV, La révolution de 987 et l’avènement des Capétiens :
« ….Mais, comme les Carolingiens, les Capétiens devront leur fortune aux services qu’ils ont rendus. Robert le Fort, le vrai fondateur de la maison, s’est battu dix ans contre les Normands et il est mort au champ d’honneur. Robert le Fort (ci dessous) était certainement un homme nouveau, d’origine modeste puisque la légende lui donne pour père un boucher. Son fils Eudes défend héroïquement Paris contre les mêmes adversaires, tandis que Charles le Gros se couvre de honte. Charles le Gros déposé, Eudes est candidat à une sorte de consulat à vie. Le duc de France fut élu à Compiègne en 888. Il faudra encore cent ans pour qu’un autre Robertinien, un autre duc de France devienne vraiment roi. Eudes, après avoir essayé d’étendre son autorité, comprit que les temps n’étaient pas mûrs. Une opposition légitimiste subsistait dans l’Est. Un descendant de Charlemagne la ralliait et les petits princes qu’alarmait la nouvelle grandeur du due de France, leur égal de la veille, soutenaient les Carolingiens pour se consolider eux-mêmes. Eudes trouva meilleur de ne pas s’entêter. Il réservait l’avenir. Il se réconcilia avec Charles le Simple et transigea avec lui : à sa mort, le Carolingien prendrait sa succession et retrouverait son trône. Cette restauration eut lieu en effet et ce fut une partie politique habilement jouée. Sans la prudence et la perspicacité d’Eudes, il est probable que les ducs de France eussent été écrasés par une coalition.
Pendant près d’un siècle, ils vont préparer leur accession au trône. Nous ne sommes pas assez habitués à penser au temps et au concours de circonstances qu’il a fallu pour amener les grands événements de l’histoire. Presque rien de grand ne se fait vite. Il faut vaincre des traditions, des intérêts. Et il faut aussi pouvoir durer. Si les Robertiniens, descendants de Robert le Fort, ne s’étaient maintenus solidement dans leurs domaines, si la mort était venue frapper leur famille comme elle a frappé, par exemple, la famille de Louis XlV, il n’y aurait pas eu de monarchie capétienne. Et les témoins de la longue rivalité qui mit aux prises les Robertiniens et les Carolingiens ne pouvaient savoir non plus de quel côté pencherait la balance. Un moment, il fut permis de croire que l’héritier de Charlemagne l’emporterait. À force de patience, à force d’attendre le moment sûr, les Roberti
niens avaient failli tout gâter. Hugues le Grand se contentait de protéger les Carolingiens, de les faire rois, comme les Pipinnides, autrefois, s’étaient abrités derrière les Mérovingiens fainéants. Quand ce faiseur de rois mourut, le Carolingien, Lothaire, était un enfant, mais cet enfant allait être un homme ambitieux et actif.
Hugues le Grand était mort en 956. Il laissait son duché à Hugues Capet. Il s’en fallait de beaucoup que celui-ci n’eût qu’à prendre la couronne royale. Avec Lothaire, la vieille dynastie se ranime. Lothaire veut ressaisir l’autorité, reconquérir son royaume. Il retrouve son prestige en délivrant Paris d’une invasion allemande. S’il eût vécu davantage, qui sait s’il n’étouffait pas la chance des Capétiens ? Il mourut, quelques-uns disent empoisonné, en 986. Son fils Louis ne régna qu’un an et fut tué dans un accident de chasse. Il n’y avait plus de Carolingien qu’un lointain collatéral, Charles de Lorraine. Hugues Capet tenait l’occasion que sa famille attendait depuis la mort d’Eudes, et lui-même depuis trente années….. »
Ainsi, en un siècle et demi environ, laps de temps finalement assez court si on le ramène au temps long de l’Histoire, les Robertiens et les Capétiens ont su répondre deux fois de suite à la double problématique du peuple : un besoin de protection permanent, de fond, par la création durable et stable d’un état protecteur. Et un besoin de protection plus immédiat, contre les Normands et les invasions répétées.
C’est là et pas ailleurs, dans ces deux services rendus à cent cinquante ans d’intervalle, que ce qui était en train de devenir la Famille de France a commencé a puiser sa légitimité. Une légitimité qui devra, bien sûr, être entretenue et, en quelque sorte, refondée à chaque génération (rien n’est jamais acquis à l’homme sur la terre…..).
Mais la dynastie qui s’empare du pouvoir en 987, avec Hugues Capet, va constamment mériter et maintenir sa légitimité puisqu’elle va faire la France, et qu’elle va faire de cette France la première puissance de l’Europe au XVIII°siècle…..(fin).
Cincinnatus sur Une initiative papale qui, curieusement, arrive…
“Nous ne sommes pas capables en France d’une révolution de velours, nous sommes incapables de faire…”