Parce que Chantilly est au coeur de l’histoire de France, avec la famille des Condé.
Et parce que Chantilly tient une place de tout premier plan dans la Famille de France : n’est-ce pas elle qui – à travers la générosité du duc d’Aumale – a offert à l’Institut, donc à la France, ce joyau du patrimoine mondial que le monde entier nous envie ?
Chantilly est comme une accumulation irréelle et véritablement stupéfiante de beautés : un château (plusieurs, en fait…); une forêt; un champ de course et, plus généralement, l’univers et la passion du cheval; des collections artistiques dont il est superfétatoire de dire qu’elles comptent parmi les plus belles du monde; et pour finir cinq cents ans de gloire puis de tragédie, s’achevant dans un mécénat et une générosité non moins éblouissantes.
Nous n’aurons pas trop de trois haltes dans notre balade pour avoir un faible aperçu de cette merveille inestimable que possède la France avec Chantilly.
Aujourd’hui, la gloire des Condé, puis leur fin tragique, avant que le duc d’Aumale n’offre ce joyau à sa patrie.
Après avoir été possédé par les familles d’Orgemont puis de Montmorency, c’est avec la famille des Condé, alliée aux rois de France, que Chantilly connut son plus grand essor.
Neuf princes de cette famille se succédèrent sur le domaine pendant trois cents ans, de 1546 à 1830. Cette année-là mourut celui qui restait le dernier des Condé, Louis VI Henri de Bourbon Condé, père du duc d’Enghien, enlevé en territoire étranger et fusillé sur ordre de Napoléon le 21 mars 1804 dans les fossés de Vincennes.
Pendant ce laps de temps, l’histoire d’une famille se confond avec l’Histoire de France, dont elle écrit quelques une des plus belles pages, avant que les tragédies les plus affreuses ne viennent l’abattre.
Le plus célèbre, et le plus fastueux, fut sans conteste Louis II de Bourbon-Condé (1621–1686), 4e prince de la Maison, dit le Grand Condé.
En 1643 c’est lui qui remporta la victoire éclatante de Rocroy, où la redoutable infanterie espagnole fut décimée. Lui encore qui remporta, en 1647, l’éclatante victoire de Lens sur les Impériaux, unis aux Espagnols. On sait l’action de Richelieu, achevée par Mazarin, qui permit ces Traités de Westphalie, signés en 1648, qui devaient assurer pour plus d’un siècle la prépondérance de la France en Europe. Mais c’est par ses jeunes généraux, dont Condé fut sans conteste le plus grand avec Turenne, que cette politique a été rendue possible.
A Chantilly, le Grand Condé, fastueux dans la paix comme dans la guerre, demande à Le Nôtre de créer le Parc, qu’il agrémentera de jets d’eaux dont la plus grande partie existe encore aujourd’hui.
A cette famille, tout semble sourire. Sa vitalité est extrême. Elle va être broyée par la Révolution. En 1769, lorsque Louis-Joseph (le huitième prince de la Maison) fait construire le magnifique château d’Enghien pour son petit-fils, il a -lui, Louis-Joseph- 36 ans. Son fils -qui sera le dernier des Condé- a 16 ans, et vient donc d’être père du duc d’Enghien
Ce petit-fils, c’est celui que Napoléon va faire assassiner dans 35 ans. Les Condé n’ont plus que vingt ans de bonheur à vivre, avant que la grande tourmente ne vienne les abattre. Cette tragédie a été l’occasion pour Chateaubriand de clamer son indignation -dans Le Mercure- et d’écrire ce qui reste l’une des grandes pages de notre littérature:
« Lorsque, dans le silence de l’abjection, l’on n’entend plus retentir que la chaîne de l’esclave et la voix du délateur; lorsque tout tremble devant le tyran, et qu’il est aussi dangereux d’encourir sa faveur que de mériter sa disgrâce, l’historien paraît, chargé de le vengeance des peuples. C’est en vain que Néron prospère, Tacite est déjà né dans l’Empire; il croît inconnu auprès des cendres de Germanicus, et déjà l’intègre Providence a livré à un enfant obscur la gloire du maître du monde. Si le rôle de l’historien est beau, il est souvent dangereux; mais il est des autels comme celui de l’honneur qui, bien qu’abandonnés, réclament encore des sacrifices; le Dieu n’est point anéanti parce que le temple est désert. Partout où il reste une chance à la fortune, il n’y a point d’héroïsme à la tenter; les actions magnanimes sont celles dont le résultat prévu est le malheur ou la mort. Après tout, qu’importent les revers, si notre nom, prononcé dans la postérité, va faire battre un coeur généreux deux mille ans après notre vie?….. »
Déjà brisé par la mort de son petit-fils, qui signifiait l’extinction de sa famille, Louis-Joseph revient à Chantilly avec son fils après la révolution. Il a 78 ans, et c’est le coeur serré qu’il contemple le désastre : le Grand Château a été rasé, le parc a été détruit, le domaine mutilé et morcelé.
Si le Petit Château, le Château d’Enghien et les Grandes Écuries n’ont pas été démolies, c’est parce que ces monuments ont été réquisitionnés; ils sont donc sauvés, mais dans un état pitoyable. Louis-Joseph et son fils rachètent peu à peu les différentes parties de leur ancien domaine dépecé, et replantent le parc.
Louis-Joseph meurt en 1818. Son fils en 1830. La Maison de Condé, glorieuse s’il en fut, n’existe plus. Le dernier prince de Condé est le parrain du duc d’Aumale, l’un des cinq fils de Louis-Philippe. Il institue le duc, son filleul, légataire universel et lui lègue tous ses biens.
C’est le duc d’Aumale qui fera reconstruire le Grand Château, dans le goût Renaissan
ce. Et qui va réunir dans ce domaine de Chantilly une collection inestimable.
Ayant perdu ses deux enfants, il fera don de l’ensemble de Chantilly à l’Institut, « corps illustre qui échappe à l’esprit de faction comme aux secousses trop brusques, conservant son indépendance au milieu des fluctuations politiques ».
Cette générosité et cette magnanimité ne sont-elles pas la plus belle et la plus noble façon de dépasser par le haut, si l’on peut dire, et de clôturer noblement une histoire grandiose mais aussi tragique ?
Grandiose, dans la paix, et grandiose aussi jusque dans le tragique, pour s’achever, toujours grandiose, dans l’exaltation par l’Art et la Beauté de la permanence de ce qui ne meurt pas, et qui a nom Civilisation ?
Henri sur Journal de l’année 14 de Jacques…
“D’abord nous remercions chaleureusement le Prince Jean de ses vœux pour notre pays et de répondre…”