Ou : du bon usage de l’argent…
Le moment est venu, dans notre balade historico/culturelle, de nous arrêter quelques instants afin de rendre hommage à quelqu’un de très, très bien, dont nous avons -forcément…- parlé plusieurs fois depuis que nous sommesà Chantilly : le duc d’Aumale.
Lui rendre hommage et le remercier, car il est bien -par le legs généreux qu’il a fait à l’Institut– à la base de ce Chantilly d’aujourd’hui que nous admirons tant, et à juste titre : le Musée Condé est la deuxième plus grande collection d’art français après celle du Louvre !….
Force est de constater que, si le duc d’Aumale a eu le bon goût de savoir collectionner, il a eu aussi, et surtout, ensuite, l’élégance de savoir donner. Donner à la France…..
Les espagnols emploient une formule très évocatrice en parlant des Grands d’Espagne. On n’a pas l’équivalent de cette formule en français. Pourtant, avec le duc d’Aumale, on a bien la réalité d’un véritable, d’un authentique Grand gentilhomme…..
Henri Eugène Philippe Louis d’Orléans, duc d’Aumale, cinquième fils de Louis-Philippe, est né à Paris le 16 janvier 1822 et mort au domaine du Zucco Giardinello (Sicile) le 7 mai1897. Il fait ses études au collège Henri-IV, à Paris, avant d’entrer dans l’armée à seize ans.
Sous-lieutenant en 1839, il part pour l’Algérie en 1840 et se distingue par la prise de la Smala d’Abd El-Kader, le 16 mai 1843. À la suite de cette campagne, il est promu lieutenant général (3 juillet 1843).
En 1830, le dernier prince de Condé, son parrain, meurt. C’est lui dont Napoléon a fait assassiner le jeune fils, le duc d’Enghien, dans les fossés de Vincennes, le 21 mars 1804. N’ayant plus d’héritier, le dernier des Condé institue le duc d’Aumale son légataire universel. Il hérite donc, à 8 ans, de l’énorme patrimoine de cette prestigieuse lignée, estimée à 66 millions de francs-or, comprenant ce qui était considéré comme le plus important patrimoine foncier du pays, dont le domaine de Chantilly (dans l’Oise) et d’immenses forêts en Thiérache (dans l’Aisne).
Grand amateur d’art, bibliophile, membre de l’Académie française, veuf et sans descendants directs vivants après le décès de ses deux fils, il lègua son domaine de Chantilly et ses précieuses collections à l’Institut de France, « corps illustre qui échappe à l’esprit de faction comme aux secousses trop brusques, conservant son indépendance au milieu des fluctuations politiques. »
On a dit avec raison que Chantilly était bien plus et bien mieux qu’un réceptacle de chefs-d’œuvre –aussi beau soit le contenant et aussi riche soit le contenu- : que Chantilly était une œuvre d’art totale….
Victor Hugo, son confère à l’Académie, lui écrivit : « Pour moi, votre royauté a cessé d’être politique, et maintenant est historique. Ma République ne s’en inquiète pas. Vous faites partie de la grandeur de la France et je vous aime ».
Ci dessous, sa statue sur la façade du Louvre.
Eric Woerth lui a consacré une fort intéressante biographie, préfacée par Alain Decaux : Le duc d’Aumale, l’étonnant destin d’un prince collectionneur.
Dans cette biographie d’un prince aux identités multiples et complémentaires (général, député, académicien, collectionneur, historien et esthète) le député maire de Chantilly puise dans son sujet une leçon comparative et un exemple applicable au temps présent : » Dans un monde incertain, dans une Europe qui se cherche, dans une nation qui doute trop d’elle-même, la figure du duc d’Aumale est le reflet exact de la « permanence de la France ».
On y fréquente un gentilhomme de bonne compagnie. Un Aumale chef de guerre dont la vocation sincère de soldat ne se réduit pas au sempiternel épisode de la Smala d’Abd el-Kader. Un Aumale bâtisseur, collectionneur et mécène, grâce à l’immense fortune personnelle qu’il a hérité des Condé. Un Aumale longtemps exilé, dont l’attachement filial à son pays se traduit par un geste d’infinie générosité auquel la France doit de nombreux chefs-d’œuvre incarnés par les emblématiques Très riches heures du duc de Berry. Un Aumale érudit qui prend rang parmi les pionniers d’une histoire savante basée sur l’exploitation scientifique des sources.
Achevons maintenant ce trop rapide hommage en résumant et en récapitulant, si l’on peut dire, ce legs dont nous parlons depuis si longtemps et en le montrant dans son état aujourd’hui, tel qu’il se présente hic et nunc.
Le visiteur, au sortir de la forêt, découvre un ensemble monumental exceptionnel élaboré sur plusieurs siècles :
I. Le petit Château, ou « Capitainerie » (ci dessous, en forme de U, à gauche devant le plan d’eau rectangulaire), construit sous la Renaissance par Jean Bullant pour le connétable Anne de Montmorency (1560), est situé à gauche de l’entrée. On peut y accéder directement par la cour de la Capitainerie, située au niveau inférieur après le pont-levis pour visiter les Grands et les Petits Appartements, aménagés respectivement au XVIIIe et au XIXe siècle.
II. Les deux pavillons d’entrée(ci dessous), de part et d’autre de la grille d’Honneur, sont l’œuvre de Mansart et daten
t du XVIIe siècle. Le pavillon de gauche est occupé par la billetterie.
III. Le château d’Enghien, ci dessus à droite, bâtiment tout en longueur construit en 1769 pour héberger le jeune duc et sa suite. Belle architecture du XVIII° siècle, il ne se visite pas.
IV. Le grand Château, dont l’entrée donne sur la terrasse (ci dessus), et qui regarde les parterres du jardin à la française, a été reconstruit dans la seconde moitié du XIXe siècle, de 1875 à 1885, par l’architecte Honoré Daumet, sur commande du duc d’Aumale qui y a installé ses collections d’œuvres d’art : peintures, livres anciens, dessins, gravures et même photographies. Il occupe l’emplacement de la première forteresse médiévale, et a succédé au château détruit sous la Révolution, visible sur certains tableaux du musée. Ce château, le dernier construit en France, avec des matériaux et des installations modernes pour son époque, porte le nom de musée Condé, par la volonté testamentaire du duc d’Aumale. Son agencement intérieur, la présentation des œuvres en font le dernier musée du XIXe siècle existant aujourd’hui. Le duc d’Aumale a exigé que les œuvres exposées ne soient jamais déplacées, ni prêtées. Il faut donc venir à Chantilly pour les découvrir.
V. Les grandes Ecuries, construites de 1719 à 1735 par Jean Aubert, l’architecte du Palais-Bourbon. En bordure de l’hippodrome, elles abritent aujourd’hui le Musée vivant du Cheval.
VI. Le Parc, dans lequel se situe cet exceptionnel ensemble, créé dans la seconde moitié du XVIIe siècle par André Le Nôtre pour le Grand Condé, cousin de Louis XIV. Ci dessous, l’entrée du Parc.
Deux perspectives structurent le parc : l’une, nord-sud, mène à la terrasse qui porte la statue du Connétable de Montmorency et masque la vue des jardins ; l’autre, est-ouest, se déploie dans la vallée de la rivière Nonette, un affluent de l’Oise devenu un grand Canal sur 2,5 kilomètres de son cours. Une extension nord-sud du grand Canal, la Manche, s’approche au pied de l’escalier monumental menant à la terrasse, le grand Degré, bordée de parterres symétriques, à l’est et à l’ouest, dont les pelouses alternent avec des bassins-miroirs. L’extrémité orientale du grand Canal prend l’aspect d’un bassin octogonal alimenté par un buffet d’eau perpétuel, qui est en réalité une chute d’eau de la Nonette. Ci dessous, le Parterre Nord.
Les premiers jardins de Chantilly occupaient le versant sud de la vallée, mais le démembrement du domaine sous la Révolution les a fait disparaître. L’empreinte du XVIIIe siècle est perceptible dans la partie orientale des jardins : sur le plateau, le petit parc présente un lacis d’allées cloisonnant des chambres de verdure et mène le visiteur jusqu’à la Maison de Sylvie, tandis que cette partie de la vallée est aménagée en un jardin de style « anglo-chinois » qui conduit à un hameau d’agrément bâti en 1775, où se trouvent actuellement les locaux pédagogiques du service éducatif.
Au début du XIXe siècle, avant même la reconstruction du grand Château, le dernier prince de Condé fit aménager la partie occidentale du parc en un jardin anglais à la mode romantique, caractérisé par des cheminements sinueux, de vastes pelouses bordées de bouquets d’arbres et ponctuées de fabriques, éléments architecturaux qui agrémentent la promenade, comme l’île d’Amour ou le temple de Vénus.
Ainsi donc le parc de Chantilly constitue un témoignage unique en France de l’évolution de l’art des jardins en Europe, de la Renaissance au XIXe siècle.
Permettez -moi de compléter ce portrait, au demeurant exact, du Duc d’Aumale, grand soldat, grand mécène. Il faut en effet rester lucide et ne pas masquer les fissures, sinon on se cantonne dans l’hagiographie. Le Duc d’Aumale, à l’inverse du Duc de Nemours, était le gardien de la ligne orléaniste exclusive, c’est à dire républicaine. Il s’opposa vivement à la fusion et au voyage du Comte de Paris à Frohsdorf, qu’il considérait comme une trahison des idéaux de la monarchie de juillet. Lorsque le Comte de Paris décida, après la mort d’Henri V, de prendre le nom de Philippe VII, au lieu de Louis-Philippe II, il rompit avec son neveu, déclara que l’orléanisme devenait désormais un courant modérateur de la république et déshérita le chef de la Maison d’Orléans parce qu’elle avait renoué avec la Légitimité. Le legs de sa fortune (après la mort de son fils titré Prince de Condé) à l’Etat français constitue la concrétisation de ce ralliement à la république. Notons d’ailleurs que cette démarche ne fut guère récompensée puisque le gouvernement de Jules Ferry, sous la pression du général Boulanger, le chassa de l’armée et le priva de son grade, alors que Napoléon III lui avait laissé son commandement.
Site exceptionnel. S’il existe un courriel régulier, je désirerais être destinataire. De plus, je souhaiterai recevoir des thèmes ‘et même des adresses qui pourraient m’être utiles) relatifs à des sujets se rapportant à la France du XIXè siècle et ses relations avec la colonie Algérie. Merci d’avance.