Septembre 1939 . Brisée par l’écrasante supériorité militaire allemande, l’armée polonaise capitule. Soldats et réfugiés qui fuient l’avancée hitlérienne sont soudainement pris en tenaille par l’Armée rouge qui, sous couvert du pacte secret Molotov-Ribentropp, a envahi la Pologne sans déclaration de guerre.
Commandement allemand et russe livrent alors tous les officiers polonais faits prisonniers au NKVD, la police politique soviétique, qui les déporte aussitôt dans les régions de Katyn, Kharkov et Kalinine où, au printemps 1940, Staline donne personnellement l’ordre d’exécuter 25.700 d’entre eux.
Béria se charge de la besogne selon la bonne vieille méthode bolchévique : une balle dans la nuque de chaque condamné…. des bulldozers qui creusent des fosses, y poussent les cadavres et les recouvrent hâtivement de terre.
Éliminer les élites.
Dans le même temps, nazis et soviétiques procèdent, en totale collaboration, à l’arrestation massive des élites de la société polonaise. Quelque 1,6 million de civils, dont des membres des familles des officiers assassinés, des universitaires, des médecins, artistes et avocats sont ainsi déportés, entre 1939 et 1942, dans des camps d’extermination bolchéviques où la plupart mourront.
Après l’invasion de la Russie par les forces hitlériennes et leur fulgurante avance, en 1943, les nazis découvrent les charniers de Katyn. Leur propagande s’en empare en cachant leur propre collaboration à ce crime. Cette révélation tronquée portera pour longtemps, notamment après la guerre, et aujourd’hui encore chez certains intellectuels, un coup fatal à l’établissement de la vérité sur ce crime contre l’humanité. Dès la capitulation de l’Allemagne nazie, les soviétiques se défendront, en effet, en imputant les charniers aux vaincus. Ils tenteront même de faire inculper pour ce massacre certains accusés du procès de Nuremberg. Et, si la forfaiture est effectivement dénoncée par des juges américains -un commissaire soviétique est récusé et exclu du tribunal- on s’accorde pourtant, sous la pression britannique, à enfouir la vérité sous ce mensonge d’Etat dont le gouvernement communiste polonais installé par les soviétiques fait, avec le silence sur le crime de non intervention de l’Armée rouge lors du siège de Varsovie, l’acte fondateur de la Pologne nouvelle…
Effacer une mémoire collective.
L’histoire étant ainsi réécrite avec la complicité des Alliés, la chasse aux survivants, y compris ceux entre-temps convertis au communisme, et aux familles qui croyaient encore au retour possible d’un prisonnier ou qui recherchaient la vérité, fut ouverte par la police et l’administration. Le régime ne recula devant rien : entreprendre des démarches d’identification ou honorer les morts équivalait à être fiché comme suspect, entraînait des interrogatoires et pouvait même déboucher sur une arrestation ou un assassinat politique. Certains jeunes gens, archivés comme parents d’une victime du massacre, se virent refuser l’entrée à l’Université en tant qu’élément « socialement douteux ».
Dès 1945, une chape de plomb mémorielle s’étendit ainsi sur la Pologne, confortée par un art consommé du mensonge comme tout sysème communiste en a le secret. Ici s’arrête l’histoire, et là commence Katyn, le film magistral d’Andrzej Wajda. Car c’est bien d’un film qu’il s’agit avec cette oeuvre rédemptrice sans équivalent, et non d’une leçon d’histoire en images.
Tragédie au féminin.
D’abord, il y a, sur un pont de métal enjambant le fleuve, ce plan époustouflant d’une foule qui fuit les Allemands et se heurte à une autre foule que pousse en sens inverse l’invasion russe. Séquence minutieusement mise en scène et dont le tumulte exprime en quelques secondes la réalité historique, psychologique et humaine du sujet. Puis, la caméra se pose sur un visage de femme qui tient par la main une enfant. Et c’est tout le ressort du drame qui emplit l’écran et ne le quittera plus. Car le dernier film de l’auteur de Kanal (1957) et de L’Homme de marbre(1977), dont le père fut éxécuté d’une balle dans la nuque près de Katyn, est construit comme une tragédie moderne dont la trame ne serait pas le récit d’un massacre, mais l’observation clinique du mensonge à travers le regard des femmes. C’est là toute la force de l’oeuvre. L’absence, celle des disparus, est le moteur de l’action et leurs épouses, mères, soeurs, filles sont les héroïnes vivantes par qui, plus tard, bien plus tard -et le film ne le montre pas- les meurtriers seront confondus. C’est là le trait de génie de Wajda: Katyn n’est pas un film de dénonciation, mais un cri d’amour et de foi. Grâce à ce chemin de la mémoire, semé de dangers, que parcourent obstinément ces femmes belles et dignes, chacune d’elles se révêle être, selon le mot du poète Pierre Emmanuel, « les pères de nos morts ». Et c’est ce qui en fait des Antigone autant que des pieuses porteuses de flambeaux dans la nuit d’un oubli programmé.
Un fim profondément chrétien.
Le cinéaste a dédié ce film à toute sa famille, mais c’est en souvenir de la ferveur de sa propre mère vivant dans l’attente du retour d’un mari qui ne figurait, par erreur, sur aucune liste, que la caméra de Wajda dessine l’absence de l’être aimé en touches de douleur pudique sur des visages de femmes. Le fil conducteur de sa narration, qui utilise largement le flash back et des couleurs automnales tendant au sépia, est fourni par le carnet journalier tenu par l’un des prisonniers. La vérité est ainsi précisément délivrée au spectateur sous la forme sans apprêt d’un procès-verbal, celui-là même que les bourreaux n’ont pas voulu écrire. Avant d’être de sang, la trace est ainsi d’encre. D’une encre passée gravée sur un papier jauni où se tiennent les détails d’un crime inavouable. Certaines images contiennent une inévitable violence, mais sans la moindre complaisance ni, surtout, la moindre désespérance dans l’homme. Le mal est à sa place, l’Espérance aussi : l’oeuvre de Wajda est imprégnée de cette Foi qui, durant les années les plus noires de son histoire, a sous-tendu la résisitance d’une Pologne catholique. Le dernier plan a la puissance d’un Goya transfiguré par la prière : on ne peut enterrer l’histoire quand la croix a le dernier mot.
Mémorial de Baltimore, oeuvre du sculpteur Andrzej Pitynski
(1) : article de Benoît Gousseau, Politique Magazine n° 72 (pages 42/43). Film d’Andrzej Wajda, avec Maja Ostasweska, Artur Zmijevski, Danuta Stenka, Magdalena Cielecka. Sorti le 1° avril.
où et quand voir ce film?
M.H.
A Paris : – REFLET MEDICIS, 3/7 rue Champollion, 75005
(tel: 0892684824).
V.O. 13.30/15.40/19.45/21.55
– SAINT ANDRE DES ARTS II, 12 rue Gît-le- Coeur, 75006 (tel : 0143268025).
V.0. 14.15/16.30/19.00/21.30
– LES CINQ CAUMARTIN, 101 rue Saint Lazare,
75009 (tel : 0892688107).
V.O. 12.00/14.15/16.30/18.45/21.00