La douleur des gens, cela se respecte. Nous ne sommes pas des charognards, et ne désirons pas profiter de quoi que ce soit pour appuyer ou défendre nos thèses. Si nous citons donc, sans la commenter, une phrase de la mère d’Ilan Halimi, en réponse à la question d’un journaliste, ce n’est pas pour l’exploiter, mais parce que, à sa façon, elle fait réfléchir; et qu’il semble qu’elle devrait interpeller quelque part, comme on dit dans le jargon…
-Qu’est-ce que nous dit cette affaire de la société dans laquelle on vit ?
-Il y a vingt ans, cette histoire n’aurait pas pu avoir lieu. Il y avait une union sacrée des minorités. Ou alors elle aurait entraîné un million de gens dans la rue. C’est l’échec de la République.
Cette citation que vous faites de la mère du jeune homme martyrisé par ces voyous est extrêmement instructive, dans sa brièveté, et dans sa naïveté cynique, si je puis me permettre cet oxymore.
Elle montre d’abord combien l’identité « ethnique-minoritaire » se pose en opposition avec l’identité française-traditionnelle ». Cette identité devrait légitimement transcender (dans l’esprit de Mme Halimi) toutes les différences raciales, religieuses, ethniques, pour les unifier dans l’hostilité à un seul ennemi: le français traditionnel majoritaire, dans ce qu’elle appelle « l’union sacrée des minorités ». Car enfin, une union sacrée, c’est toujours contre quelq’un ou quelque chose ; s’il y a minorités, il doit exister une majorité!
Elle constate ensuite, en la déplorant, que cette conjonction contre l’hôte, auquel, d’une certaine manière, elle se sent implicitement étrangère, ne fonctionne plus comme avant: en bref, que des minorités préfèrent s’en prendre à d’autres minorités plutôt qu’au bon vieux punching ball franchouillard « raciste » qui ne rend jamais les coups. Que l’objet prédestiné de la haine antiraciste n’excite plus aussi bien qu’avant. Comme c’est triste! Si, au lieu de torturer un membre d’une minorité visible, les jeunes assassins avaient exercé leur talent sur Martin ou Picard, les journalistes n’auraient pas manqué de parler « d’un drame de la misère ». Là, ce n’est pas possible: on est bien obligé de parler de racisme et du plus pervers, du plus pathologique, et c’est le fait d’une minorité contre une autre. « C’est l’échec de la République », nous dit-elle. Il est vrai que c’est cela, la république.
Je me permets d’imaginer un nouveau scénario, face à cette situation regrettable, selon Mme Halimi ; de rêver qu’un jour les français-traditionnels, lassés d’être la majorité amorphe et bonne à tout endurer, décident de se poser eux aussi en minorité, et de réclamer à ce titre les mêmes droits que les autres. Un simple rêve…à la manière de Martin Luther King.
Mon cher Antiquus, votre conclusion pose la question de la dégradation de l’identité nationale.
Ce n’est pourtant pas la faute des immigrés si les Français ne sont apparemment plus capables de produire un mode de vie qui leur soit propre, ni de donner au monde le spectacle d’une façon originale de penser et d’exister. Ce n’est pas non plus la faute des immigrés si le lien social se défait partout où l’individualisme libéral se répand et si les hommes qui vivent dans l’idéologie de la marchandise deviennent de plus en plus étrangers à leur propre nature.
Ce ne sont pas les immigrés, enfin, qui colonisent l’imaginaire collectif et imposent à la radio ou à la télévision des sons, des images, des préoccupations et des modèles « venus d’ailleurs ». Disons même avec netteté que c’est de l’autre côté de l’Atlantique que proviennent les facteurs de dégradation de notre identité, et non de l’autre côté de la Méditerranée.