Et, puisque l’on a parlé de Galilée, faisons d’une pierre deux coups : profitons-en pour communiquer à ceux qui ne l’auraient pas lu l’excellente note qu’a proposée Patrice de Plunkett le 30 avril sur son blog (toujours aussi intéressant)
http://plunkett.hautetfort.com/
Il s’agit d’une bonne et solide mise au point qui, à n’en pas douter, est à mettre entre toutes les mains, et à diffuser au maximum. Nous pensons donc qu’il ne nous en voudra pas si, une fois de plus, nous pillons son blog : c’est pour la bonne cause !…
L’affaire Galilée (1633) fut sans aucun doute une lourde gaffe romaine. Le savant fut « sacrifié » par l’érudit Urbain VIII, son ami et protecteur, pour des raisons politiques : le pape croyait ainsi donner le change à l’Espagne et à l’Empire, qui le menaçaient sous un prétexte religieux dans une Europe à feu et à sang. Calcul à court terme, avec de redoutables conséquences intellectuelles et morales à long terme ! Cette énorme bourde a gravement nui à l’Eglise, et lui nuit encore – bien que la mise à l’Index ait été levée en 1664, que Galilée lui-même ait été réhabilité en 1784 par Clément XII, que les papes modernes lui aient rendu hommage, et que le concile Vatican II ait fait écho à sa pensée sur les rapports entre science et religion.
-Néanmoins, si l’on étudie de près l’affaire, on constate qu’elle ne correspond pas à la légende noire fabriquée au XIXe siècle par les polémistes anticléricaux. Le procès de 1633 ne fut pas l’aboutissement logique de l’attitude d’une Eglise catholique « hostile à la science ».
Le procès fait à Galilée contredit l’attitude que l’Eglise avait manifestée jusque là. Rappelons que :
– le chanoine-astronome Copernic, mort en 1543, ne fut jamais inquiété ni même contredit par l’Eglise. Au contraire : le pape Paul III avait lu avec intérêt le De revolutionibus orbium coelestium, que le savant lui avait envoyé avec une dédicace affirmant nettement que la terre tournait autour du Soleil. (Les seuls à attaquer Copernic furent Luther, Calvin et Melanchton).
– Certains théologiens renâclaient devant la révolution copernicienne, mais ni plus ni moins que l’ensemble du microcosme intellectuel de l’époque : en effet cette révolution posait un sérieux problème à la pensée humaine, structurée autour du système de Ptolémée (géocentriste) depuis quinze siècles. Renoncer à une fausse évidence – la Terre centre du monde – allait être un processus lent et difficile. Certains intellectuels, rendus agressifs par ce qu’ils considéraient comme une menace pour leur pouvoir, allaient entreprendre de persuader les tribunaux d’Eglise que le système de Copernic contredisait la Bible.
– Pourtant, durant les soixante années qui suivirent la mort de Copernic, le Saint-Siège n’accepta d’ouvrir aucun procès théologique contre son œuvre. Mieux : en 1582, le pape Grégoire XIII utilisa des éléments coperniciens dans sa grande réforme du calendrier.
– Le souci de Rome était d’empêcher les universitaires traditionnels, crispés sur Aristote et le géocentrisme, de déclencher une bataille supplémentaire dans le milieu intellectuel alors que l’Europe était ravagée par la guerre entre princes protestants et catholiques.
– En 1589, à Rome, le cardinal jésuite Bellarmin (un des meilleurs intellectuels de l’époque) proposa, pour protéger la pensée copernicienne, de ne la considérer que comme une hypothèse : on dirait aujourd’hui un « modèle ».
– Survient en 1590 Galilée, mathématicien et physicien, aussi catholique que l’était Copernic. C’est le protégé des scientifiques jésuites : Christophe Clavius, Paolo Valla. C’est aussi un polémiste enragé. Dès 1604 il se pose en ennemi d’Aristote, donc de l’establishment universitaire. En 1609, il se fait astronome grâce à la construction du premier télescope. Ses observations, qui réfutent l’astronomie antique et vont dans le sens du système copernicien, sont appuyées par les astronomes jésuites, tels Muzio Vitelleschi, et par les cardinaux romains qui président à la jeune académie scientifique et humaniste des Lincei. (Académie que Dan Brown, dans Anges & démons, a le front de présenter comme une société secrète anticatholique).
– Bientôt triomphant et adulé, Galilée suscite les jalousies universitaires. Il leur riposte par des pamphlets : brillants, drôles, d’une rare cruauté. Les jaloux blessés l’attaquent alors sur le terrain religieux. Deux dénonciations échouent en 1615 : l’Inquisition romaine les déboute, jugeant que Galilée n’a rien d’hérétique.
– En 1616, les ennemis de Galilée trouvent un biais : ils parviennent à faire juger « contraires à la Bible » deux des idées coperniciennes. Le De revolutionibus de Copernic, quoiqu’apprécié par des papes et des cardinaux, est mis à l’Index « jusqu’à ce qu’il soit corrigé ». Le véritable objectif des jaloux est de faire taire Galilée, notoirement partisan du système de Copernic…
– Mais le cardinal Bellarmin protège Galilée : il lui demande de considérer le système copernicien comme une simple hypothèse tant que ce système n’aura pas été prouvé. (C’est ni plus ni moins la méthode moderne en recherche scientifique !). Galilée s’y engage : la méthode Bellarmin lui permettra, s’il la suit, de continuer ses recherches à l’abri de la polémique. Le souci de Rome est toujours d’étouffer cette polémique, pour ne pas ajouter une crise intellectuelle aux convulsions politico-militaires qui ravagent l’Europe.
– Hélas Galilée a deux défauts : il ne peut se retenir de polémiquer, et il est impatient. Sur le plan scientifique, il affirme avec des preuves insuffisantes. Il lui arrive même (comme à tous les chercheurs) de se tromper sur certains points : par exemple sur les comètes et les marées. Et il défend ces erreurs avec tant de férocité qu’il se fâche avec ses plus vieux amis : les scientifiques jésuites du Collège romain, tel l’astronome Orazio Grassi… alors que dans la querelle des comètes, c’est Grassi qui a raison contre Galilée.
Ces défauts de Galilée ouvrent un boulevard à ses ennemis.
– En 1623, un autre vieil ami de Galilée, le cardinal Barberini, ami des Lincei, devient le pape Urbain VIII. En 1624, Galilée lui fait part de son intention d’écrire un ouvrage comparant « les divers systèmes du monde » (Ptolémée, Copernic et Kepler). Le pape acquiesce, à condition que Galilée les traite tous comme des hypothèses. Galilée s’y engage.
– En 1628, il soumet son texte au dominicain Riccardi (Inquisition romaine) qui est lui aussi un ami. Riccardi ne lui demande que des modifications de détail, et la promesse de faire imprimer le livre à Rome. Urbain VIII demande l’ajout d’une conclusion pieuse, simple habillage qui ne change rien au contenu scientifique. Galilée accepte.
– En 1631, Galilée montre la nouvelle version à Riccardi et obtient l’imprimatur. Urbain VIII le bénit.
– Mais ensuite, Galilée fait le contraire de ce qu’il avait promis. Il imprime le livre à Florence, non à Rome. Ce qui lui permet d’y faire des ajouts contraires aux accords : 1. un nouveau titre, réduisant le sujet au duel Copernic-Ptolémée (ce qui rallume la polémique, contrairement à ce que Galilée avait juré au pape) ; 2. une façon injurieuse de présenter la conclusion demandée – dans l’intérêt du livre – par Urbain VIII. Du coup, le livre (qui a eu l’imprimatur !) prend l’air d’une provocation. Il paraît en 1632.
– Urbain VIII se fâche. Il juge que Galilée a trahi sa confiance. On en profite pour faire croire au pape que Galilée avait signé en 1616 l’engagement de ne plus parler du tout de Copernic… Urbain VIII crie alors à la double trahison. On en profite aussi pour relancer l’idée que Galilée est un crypto-hérétique, passible des tribunaux. La machine judiciaire va pouvoir se mettre en marche.
– Mais la colère du pape est à moitié feinte. S’il décide de frapper Galilée, c’est surtout pour « l’effet d’annonce », comme on dirait aujourd’hui. Et c’est politique…
En effet, les deux superpuissances catholiques de l’époque, l’Espagne et l’Empire, sont en guerre contre les puissances protestantes : princes allemands et roi de Suède, soutenus en coulisses par la France de Richelieu. Urbain VIII, francophile, passe pour complice de Richelieu. L’Espagne et l’Empire menacent donc Rome. Puissances jouant sur le catholicisme, leur arme idéologique est la « défense de la foi ». Pour obliger le pape (politiquement) à rompre avec la France, elles l’accusent (religieusement) de mollesse envers l’hérésie protestante : prétexte qui pourrait mener à un nouveau sac de Rome par l’armée impériale, comme en 1527. Déjà les cardinaux pro-espagnols (Borgia, Ludovisi) demandent la déposition d’Urbain VIII. Il y a même des rumeurs de complot d’empoisonnement. Pour se défendre de cette menace, le pape veut réfuter l’accusation de mollesse en faisant un coup d’éclat : obliger une célébrité à se démarquer de toute hérésie, sous les yeux de l’Europe. Galilée tombe à pic, avec sa provocation gratuite envers ses vieux amis…
– Urbain VIII lance la procédure en 1633. Il cadre l’opération de très près, pour lui faire produire l’effet politique attendu mais sans être trop dur envers le septuagénaire Galilée. L’instruction, confiée à un neveu du pape, limite le chef d’accusation : ainsi l’Inquisition ne pourra aller trop loin. Puis le procès est expédié en deux audiences. Il est purement formel. Aucun débat d’idées. Après une conversation off avec le commissaire général Maculano, Galilée accepte de faire ce qu’Urbain VIII attend de lui. Le 22 juin, on lui inflige une assignation à résidence perpétuelle et il signe une abjuration. Cette repentance est censée réprouver tout ce qui, dans l’acharnement de Galilée en faveur du système de Copernic, pourrait, de près ou de loin, avoir des résonances hérétiques…
– Après quoi Urbain VIII envoie copie du document, non aux évêques de la chrétienté, mais… aux souverains et principaux ministres de toute l’Europe. Ce qui montre dans quel esprit a été menée l’affaire.
– Galilée vivra encore neuf ans, dans le confort de la villa Médicis, puis du palais archiépiscopal de Sienne, puis de sa propre villa florentine : recevant ses élèves, et écrivant ce qui sera en réalité son livre scientifique principal (un ouvrage de physique : Discours et démonstrations mathématiques concernant deux sciences nouvelles touchant la mécanique et les mouvements locaux).
Il faut rappeler tout cela, parce que ce n’est pas enseigné – et parce que notre époque imagine tout autre chose. Ainsi à propos du film Galilée ou l’amour de Dieu, diffusé le 7 janvier 2006 par FR3. Réalisé par Jean-Daniel Verhaeghe, ce film voulait « corriger les images d’Epinal que l’on peut avoir sur Galilée ». Le téléspectateur, s’il était vraiment attentif au dialogue, apprenait que Galilée ne fut pas le héros de « la Science contre la Foi », qu’il était profondément catholique, que la haute Eglise l’avait longtemps soutenu, et que la politique fut la cause secrète du procès de 1633.
Mais les journaux de télévision avaient préparé le public à comprendre l’inverse : selon Le Nouvel Obs télé-ciné-radio (7-13 janvier), par exemple, ce film était « une formidable leçon d’histoire sur le pouvoir absolu que l’Eglise a fait peser pendant des siècles sur l’Etat et la science ». Pourtant les faits historiques réels de l’affaire Galilée nous montrent le contraire : une Eglise très nuancée sur les questions scientifiques, et finissant par commettre la bourde de 1633… sous la pression politique des Etats !
Par ailleurs, le film (superbe) présentait le même défaut que La Controverse de Valladolid : il remplaçait souvent les faits par du roman. Les vraies raisons de la brouille entre Galilée et les jésuites n’étaient pas indiquées. Les débats scientifiques et intellectuels que montrait le film n’eurent jamais eu lieu au procès, qui ne fut qu’un faux-semblant expéditif : une opération politique… Et malgré le talent des auteurs, malgré la volonté de « corriger les images d’Epinal », le film donnait tout de même l’impression que la religion catholique était en soi l’ennemie de la science. Ce qui est historiquement faux, même si 1633 reste une tache politique sur le passé de l’Eglise
Henri sur Journal de l’année 14 de Jacques…
“D’abord nous remercions chaleureusement le Prince Jean de ses vœux pour notre pays et de répondre…”