Arrivés à ce stade de notre réflexion, il n’est peut-être pas inutile de marquer une pause, afin de permettre à d’autres lecteurs de réagir et donc de nourrir le débat; mais afin, aussi, de prendre du recul et de réfléchir à ce que sont, au fond, les rapports entre l’Islam et l’Europe (la Chrétienté, l’Occident….) depuis treize siècles.
On a souvent tendance, en effet, à s’imaginer que ce que l’on vit est inédit; que c’est la première fois que le problème se pose, et que l’on est la première génération à être confrontée à tel ou tel problème…
C’est, très souvent, une grossière erreur. Les générations passées ont le plus souvent été confrontées au(x) même(s) problème(s), et ce que nous vivons, d’autres l’ont vécu avant nous. La forme, les apparences extérieures, l’habillage, changent, mais, en ce qui concerne le cœur des problèmes, comme le dit le vieil adage, il n’y a rien de nouveau sous le soleil.
Ainsi en est-il des rapports entre le monde européen et l’Islam, que ces rapports soient conflictuels ou non. Certains voient une grande nouveauté dans l’irruption de l’Islam, et d’un certain Islam en Europe. Et, certes, si l’on ne se réfère qu’au temps court de l’Histoire, il y a bel et bien une irruption de l’Islam dans notre quotidien et c’est bel et bien une nouveauté : nos parents et nos grands-parents n’ont jamais vu les rues que nous voyons, c’est clair. Mais, si l’on remonte plus loin dans le temps, force est de constater que l’Europe a été confrontée deux fois déjà à une invasion musulmane. Ce que nous voyons / subissons aujourd’hui n’étant, en somme, qu’une troisième tentative…
Si nous sommes – car il faut l’être – extrêmement inquiets de ce qui se passe et de ce à quoi nous assistons, il faut bien se dire que l’Europe en a vu d’autres ! Donc, pessimistes actifs, oui (et le plus actifs possible, mieux vaut agir que geindre…), découragés et battus d’avance, certainement pas…
Voyons ce que nous dit l’Histoire…
L’Europe a été conquise militairement – en partie du moins – déjà deux fois par l’Islam, disions nous.
Commençons par étudier la première invasion, par le sud-ouest et l’Espagne.
A partir de 711, et ne rencontrant qu’une monarchie wisigothique très affaiblie par toutes sortes de dissensions internes, les Maures envahirent en effet sans peine la péninsule ibérique, qu’ils conquirent presque entièrement, avant de passer en France, où ils suivirent en gros deux routes très différentes : l’une vers le sud-est et la Provence, l’autre plein Nord / Nord-Ouest, vers Poitiers.
En Provence, leur souvenir reste dans la toponymie de certains lieux, comme La Garde Freinet, ou le Massif des Maures, et dans certaines légendes locales, comme celle de la Chèvre d’or (la Cabro d’or), dans la région des Baux-de-Provence. Mais ils ne laissèrent aucune trace durable ni profonde, d’aucune sorte.
Leur incursion dans le Nord, dans le but de piller le riche monastère de Saint Martin de Tours, ne leur sera pas bénéfique : ils seront défaits à Poitiers par Charles Martel, en 731 ou 732. Et là non plus, ils ne laissèrent aucune trace.
Il ne s’agissait pas d’Arabes, comme on le croit souvent, (les Arabes n’ont jamais envahi l’Espagne, encore moins la France…) mais de guerriers musulmans venus des anciennes provinces romaines de l’Afrique et de la Mauritanie (en gros, l’actuel Maroc), conquises par l’Islam à partir du VII° siècle. Ce qui est vrai, par contre, c’est que ces tribus de guerriers – la masse des envahisseurs – avaient bien à leur tête des Émirs arabes, chassés de Syrie lors d’une révolution de palais, ayant mis fin au califat de la tribu des Omeyades. Ceux-ci, pour sauver leur tête, partirent se réfugier aux extrémités de leur ex-empire, le plus loin possible de ceux qui les avaient chassés, et souhaitaient les exterminer : au Maroc, là où le soleil se couche (c’est l’origine du mot Maghreb..). D’où la confusion fréquente, dans l’imaginaire collectif…
Ces troupes musulmanes firent donc chuter en moins de dix ans la monarchie wisigothique, et toute la péninsule se retrouva sous la botte musulmane. Toute, sauf précisément le « rincon sagrado« du Pays Basque et des Asturies. Protégé par ses montagnes (« Haut sont les monts, et ténébreux et grands… » lit-on dans la Chanson de Roland…) et par l’énergie farouche de ses guerriers (Charlemagne en fit l’expérience, à Roncevaux…), le nord montagneux de l’Espagne, la Cordillère Cantabrique ne connut pas – du moins pas d’une façon durable et effective – la domination du Croissant.