Voyons maintenant la deuxième invasion militaire d’une partie de l’Europe par l’Islam. Il ne s’agit plus là de Berbères d’Afrique du Nord, mais de Turcs, venus d’Asie centrale; et l’attaque n’est plus par le sud-ouest, mais par le sud-est.
Dès 1353, la dynastie turque des Ottomans, fondée par Osman 1er, prit pied en Europe: c’est en effet cette année-là que, follement appelé à l’aide par l’usurpateur Jean Cantacuzène, et jouant pleinement des dissensions suicidaires des chrétiens de l’Empire byzantin, le successeur d’Osman fonda à Gallipoli le premier établissement turc en Europe.
Avec Mourad 1er commença la conquête des Balkans, dès 1360. Maître d’Andrinople et de la Thrace, les Ottomans mirent en déroute sur la Maritsa la croisade de Louis 1er de Hongrie, en 1363, puis entreprirent la conquête de la Serbie. La victoire turque de Kosovo (juin 1389) fit passer les Serbes, après les Bulgares, sous le joug Ottoman. Ensuite eut lieu la conquête de la Thessalie, et les premières entreprises devant Constantinople elle-même. Un temps freiné dans leur expansion par l’arrivée sur leurs arrières de Tamerlan et de ses mongols, les Ottomans reprirent leur marche en avant, après le départ de Tamerlan, et conquirent Thessalonique en 1430. De l’Empire Romain d’Orient, il ne restait plus que Constantinople et sa banlieue : Mehmet II s’en empara en 1453, malgré l’héroïque résistance des défenseurs de la ville.
L’empire turc atteignit son apogée sous Soliman II le Magnifique, qui s’empara de Belgrade (1521), de Rhodes (1522) et fit passer presque toute la Hongrie sous son protectorat après la victoire de Mohacs (1526) et assiégea Vienne, pour la première fois, en 1529. « Au milieu du XVI° siècle -dit encore Michel Mourre- la Turquie était devenue la première puissance de l’Europe et de la Méditerranée ». Elle contrôlait, en Europe, toute la péninsule balkanique et la Grèce, les provinces danubiennes, la Transylvanie, la Hongrie orientale.
Ce n’est qu’à partir de 1571 – avec la victoire de Lépante (ci dessous) – que l’on assiste au premier véritable coup d’arrêt donné au déferlement de cette puissance ottomane, qui semblait jusque là irrésistible. A cette occasion, une coalition formée par le pape, et regroupant l’Espagne, Venise et les Chevaliers de Malte, sous le commandement de Don Juan d’Autriche, détruisit la flotte ottomane, qui ne se releva jamais de ce désastre. 1571 marque donc, d’une certaine façon, le réveil européen, et si cette victoire resta sans lendemain, et ne fut pas exploitée militairement, son retentissement moral fut considérable : elle « rendit courage à l’Europe chrétienne » (Michel Mourre). Et pourtant, pendant plus d’un siècle encore, les Turcs restèrent menaçants: ils enlevèrent encore la Crète et la Podolie (sud-ouest de l’Ukraine) et menacèrent Vienne jusqu’en 1683, date à laquelle ils furent contraints d’en lever le siège : la ville ne fut en effet définitivement libérée du danger musulman que cette année-là, grâce aux troupes polono-allemandes commandées par Jean Sobieski.
7 octobre 1571, Lépante ( http://www.publius-historicus.com/lepante.html )
213 galères espagnoles et vénitiennes et quelques 300 vaisseaux turcs. Cent mille hommes combattent dans chaque camp. Les chrétiens remportent une victoire complète. Presque toutes les galères ennemies sont prises. L’amiral turc est fait prisonnier et décapité et 15.000 captifs chrétiens sont libérés.
A partir de là commença le lente reconquête par les européens de la partie de leur Europe envahie par les musulmans. Exactement comme l’avaient fait les espagnols près de mille ans auparavant. En septembre 1686, Buda est libérée, et la paix de Karlowitz restitua à l’Autriche, la Hongrie (sauf le Banat) et la Transylvanie; à la Pologne, la Podolie; à Venise, la Morée et la Dalmatie. Le Traité de Passarowitz (1718) restitua à l’Autriche le nord de la Bosnie et de la Serbie (avec Belgrade) ainsi que la Valachie occidentale (sud de la Roumanie).
Un éphémère retour de puissance rendit aux Turcs la Morée et tout ce qu’ils avaient dû livrer au Traité de Passarowitz, mais la tentative turque de conquête de l’Europe avait échoué. A partir de la fin du XVIII° siècle, la Russie entra en scène, contre les ottomans, et se posa en protectrice officielle des chrétiens orthodoxes de l’Empire ottoman. En Serbie, la dynastie des Karageorges prenait la tête du soulèvement. En 1812, le Traité de Bucarest donna la Bessarabie au Tsar. Dès 1822, les Grecs se soulevèrent et proclamèrent leur indépendance: devant les massacres perpétrés par les Ottomans, la flotte alliée russo-anglo-française détruisit la flotte turque à Navarin (ci dessous).
Là aussi, cette présence prolongée de l’Islam en terre européenne a fini par finir.
Récapitulons.
Pour la première invasion: de 711 à 1492: 781 ans.
Pour la deuxième invasion: de 1353 (premier établissement turc en Europe) au Traité de Sèvres (1919): 566 ans.
Il est juste, toutefois, de noter que la deuxième invasion, bien que moins longue, a bouleversé un plus grand nombre de pays et de peuples et a donc été, en un sens et malgré tout, pire que la première dans la mesure où, en se retirant, la vague musulmane a laissé des ferments de discorde (doux euphémisme…) dans les Balkans. En Espagne où, pour le meilleur et pour le pire, les Rois ont pris la décision d’expulser les Morisques, les problèmes du type de ceux que l’on rencontre dans les Balkans ne pouvaient plus exister. Certains diront peut-être que c’est du réalisme cynique: il ne s’agit que d’une constatation froide et lucide, non d’un jugement de valeur…
Cette mise en perspective de nos problèmes d’aujourd’hui, cette prise de recul en considérant l’histoire, ne relativise pas les dangers que nous courrons, mais montre, par l’exemple de l’Histoire, qu’ils peuvent être surmontés. Nous ne nions bien sûr pas que la situation soit grave, et mal engagée. Il suffit de lire lafautearousseau pour être bien persuadés que nous en sommes convaincus. Nous avons simplement voulu montrer, par ces quelques réflexions et rappels historiques, que le problème posé à la France, à l’Europe, au Christianisme, à l’Occident etc… n’est pas nouveau, qu’il ne date pas d’hier. Qu’il s’est déjà posé dans les mêmes termes, et parfois même d’une façon bien plus catastrophique et bien plus désespérée.
Il nous semble que l’on en revient donc, encore une fois, à notre question de départ: que voulons-nous, et que ne voulons-nous pas ? A partir de la réponse que l’on donne à ces questions, il faut se battre. Comme l’Europe le fait depuis qu’elle a découvert, à son corps défendant, l’Islam.
En nous souvenant de ces deux pensées, dont il est inutile de rappeler les auteurs :
« Qui n’a pas lutté n’a pas vécu ».
Et :
« Les hommes bataillent, Dieu donne la victoire…»
Que dire sur cet exposé historique? D’abord que la lutte contre l’Empire turc ne se réduisait nullement à la lutte contre l’Islam. Les ottomans, en effet, ne cherchaient en aucune façon à convertir de force les peuples conquis, bien au contraire, ils voyaient d’un mauvais oeil des peuples adhérer à leur religion, et ce, pour des raisons fiscales. Je vous rappelle qu’il y avait 33% de chrétiens dans l’empire ottoman à la veille de la I° guerre mondiale. Il y en a 3,5 aujourd’hui.
Ensuite que la France n’y participait pas. Rappelons que François I° livra Toulon à l’amiral turc Barberousse, et que la marine française opéra un débarquement conjoint avec les navires de la Porte pour conquérir la Corse. Lors du siège de Malte, comme à Lépante, Charles IX interdit (sans succès) aux français de participer à la guerre au côtés de Don Juan d’Autriche. Lors de la nouvelle de sa victoire, toute la cour manifesta sa déception. Il en fut de même en 1689 lors de la victoire du Kahlenberg: Louis XIV ne cacha pas son mécontentement. Lors de la guerre d’indépendance grecque, les royalistes, sous la Restauration, furent furieux que l’amiral français ait désobéi aux ordres et coulé la flotte turque à Navarin. Lisez à ce sujet les mémoires du baron de Frénilly, c’est instructif. Pourquoi les royalistes se désolaient-ils de voir la Grèce libérée du joug ottoman? Tout simplement parce qu’ils pensaient que ce combat n’était pas gagné par le christianisme, mais par les idées libérales et en cela ils avaient raison. Combattre l’Islam au nom du dogme catholique, soit, mais ne nous enrôlons pas avec l’idéologie au pouvoir pour mener ce combat. Ce que le système reproche à l’Islam, il nous le reproche de la même façon. Vous dénoncez avec raison l’énorme opération contre Benoît XVI. Ce sont les mêmes qui utilisent les mêmes moyens contre l’Iran, coupable de vouloir mener une politique nationale. Devons-nous nous joindre à leur clameur sous prétexte que Khatami et Ahmadinejad sont musulmans chiites? Ce serait un non-sens.
Deux citations qui disent tout !
J’ajouterai les deux seules réponses brutales possibles à vos deux questions brutales :
On doit expulser les intrus installés chez soi, fut-ce en se battant s’ils n’obéissent pas à la première injonction !
Pour où ? On s’en fout, l’essentiel est qu’ils partent et ne reviennent plus jamais se mêler de nos affaires !