« Seigneur, nous voulons devenir des hommes ».
Cette fière imploration de Mistral dans son Psaume de la pénitence, écrit après la défaite de 1870, éclaire toute l’oeuvre du poète de la renaissance provençale. Car l’idée maîtresse de Mistral est que pour devenir des hommes, il faut savoir qui l’on est et d’où l’on vient : « Sian Gau-Rouman e gentilome » ; c’est cette identité qui fonde l’humanisme mistralien, mais aussi la haute politique qui se dégage de toute l’oeuvre du Maillanais. Médiation du particulier vers l’universel, la Provence de Mistral est à la fois patrie charnelle et patrie de l’âme, le lieu poétique de l’incarnation d’un projet politique ouvert sur la transcendance.
Certes, Mistral s’est toujours refusé à sombrer dans les luttes stériles de la politique partisane et l’espace que délimite sa poésie trace les frontières d’une civilisation qui transcende l’ordre politique. Cela n’implique toutefois aucun mépris du politique. Bien au contraire, son refus des divisions partisanes est une prise de position politique fondamentale, exprimée avec une délicieuse ironie dans Li bon Prouvençau : « Nautri, li bon Prouvençau,/Au sufrage universau/Voutaren per l’oli/E faren l’aioli : Nous autres, les bons Provençaux/Au suffrage universel/Nous voterons pour l’huile/Et nous ferons l’aïoli ».
A ce qui divise, les bons Provençaux opposent ce qui unit, ce qui lie, qui agglomère … et qui fait monter ! Sous la forme légère de la dérision transparaît ici ce qui est au coeur de la pensée de Mistral et que verra bien Maurras : « Mistral n’isole aucun des principes du monde » (L’étang de Berre, p. 186) ; il « dit bien chaque élément, mais fait entendre la suite qui les accorde, délivre de tous maux et pacifie la pensée » (ibid.).
Poète de l’unité et de l’harmonie, Mistral chante la civilisation en puisant dans l’histoire ce qu’il y a de permanent et de durable pour en extraire des types achevés d’humanité. Ainsi, « les vieux monuments de l’histoire de Provence » se donnent à voir « avec leur enseignement » ( Les îles d’or ). Or, ce que Mistral fait apparaître poétiquement dans ces « vieux monuments », c’est, bien sûr, « la gloire de nos pères (qui) sont restés libres, comme la mer et le mistral » (Les enfants d’Orphée), mais aussi un pouvoir politique mesuré et bienfaisant, profondément incarné dans la réalité historique locale et sous lequel s’épanouit, justement, la liberté. « Petits étaient nos rois, nos vieux rois d’Aix;/Même leur suffisait le nom de comtes …/Mais tout petit aussi était le faix/De leur pouvoir : ils régnaient à bon compte ».
A ce pouvoir qui avait su conserver un visage humain, Mistral oppose le pouvoir niveleur des grandes abstractions modernes qui, tel le rocher de Sisyphe, écrase tout du poids de sa vanité. Contre les périls d’un tel pouvoir abstrait, Mistral n’aura de cesse de mettre en garde, en particulier ses amis catalans. « Fils d’une langue et d’une nationalité que le progrès démocratique voudrait détruire, écrit-il par exemple à Quintana, je suis logique en vous conseillant de ne pas oublier que les vieux Catalans étaient catholiques et monarchistes » (cité par M. André, La vie harmonieuse de Mistral, p. 130).
Cette leçon de l’histoire, qui nourrit une réflexion directement politique, prend dans l’oeuvre de Mistral la forme d’un principe politique supérieur. Pour rester humain, le pouvoir politique doit avoir visage d’homme. Le Progrès, la Démocratie, idolâtrés dans leur abstraction, ne connaissent aucune limite au pouvoir qu’ils revendiquent. Au contraire, la figure du roi est toujours chez Mistral le type poétique parfait d’un pouvoir humain, d’une politique humaine qui, seule, rend possibles toutes les libertés. C’est donc naturellement que le royalisme provençal s’inscrit dans la lignée de la poésie mistralienne. Il y développe l’intuition poétique en projet politique, faisant de la fédération et du roi les deux pôles d’une harmonie politique puisée aux sources permanentes de notre histoire. Ce fut là l’objet de l’action entreprise par Charles Maurras dès 1892 avec la Déclaration des félibres fédéralistes, fondement de son projet royaliste, dans laquelle il n’hésite pas à écrire : « Que Mistral ne l’ignore pas : la nouvelle génération, non contente de l’aimer et de l’admirer, le comprend ».
Mais si la pensée royaliste provençale a « compris » Mistral et toutes les implications politiques de sa poésie, elle a également puisé dans son oeuvre les harmonies poétiques de son projet politique. Loin d’un rationalisme desséchant qui ferait du roi une pure abstraction, la forte influence mistralienne qui nourrit le royalisme provençal lui rappelle sans cesse que la figure du roi est une figure humaine. C’est ce qui fait sa grandeur, mais aussi sa limite et ouvre le politique sur une transcendance qui lui donne son sens et sa portée.
Par là, notre royalisme est un humanisme.
Votre article est malhonnête. Mistral était ombrageusement républicain dans une ville de Maiano légitimiste où son demi-frère aîné était conseiller municipal légitimiste.
L’un de ses trois seuls poèmes en français a été publié en 1848 dans un journal. Il avait dix-huit ans et concluait :
« Réveillez-vous, enfants de la Gironde
Et tressaillez dans vos sépulcres froids.
La liberté va rajeunir le monde,
Guerre éternelle entre nous et les rois ! »
Frederic Mistral
Autre remarque : le prince Jean n’est l’héritier de rien du tout pour deux raisons :
– son père est vivant
– il y a plusieurs branche aînées avant les Orléans, les deux branches Bourbon d’Espagne, les Bourbon-Busset…
Le commentaire ci-dessus est complet !
1. « Votre article est malhonnête »: bon début n’est-ce pas ?
2. C’est dans un poème en Français (l’un des trois seuls) écrit à 18 ans, dans l’exaltation des journées de 1848, que l’auteur est allé dénicher la preuve du républicanisme ombrageux de Mistral ! Bravo !
3. Sans rapport avec le sujet, il nie que le prince Jean soit l’héritier de quoique ce soit, son père étant vivant, comme si nous n’étions pas tous des héritiers, y compris du vivant de nos parents; et, aux Orléans, héritiers de la légitimité monarchique franaise, à dater de la mort du Comte de Chambord, il oppose les Bourbons d’Espagne et les Bourbons-Busset.
C’est complet !
J’ai cité ce poème de Mistral parce qu’il est beau et clair mais en 1913, donc à 83 ans, moins d’un an avant sa mort, Mistral était toujours républicain. Il a reçu chez lui le président Poincaré et comme la mairie de Maiano, toujours légitimiste, était fermée, il a obtenu d’une commune voisine qu’elle fasse venir son livre d’or pour « immortaliser » la rencontre.
il s’est toujours opposé au royalisme pourtant dominant dans sa commune.
Les felibres fédéralistes n’étaient pas monarchistes. Le promoteur de leur manifeste s’appelait Amouretti.
Quant à Maurras il n’était pas encore monarchiste à l’époque, mais girondin et un peu vaguement anarchiste.
Vous ne nous apprenez rien mais je ne suis pas sûr, dans le grand naufrage du félibrige, que ces vieilles histoires intéressent encore grand monde.
Votre grand souci est d’affirmer que ni Mistral ni Amouretti n’étaient monarchistes. Mais la note ne traite pas de cette question.
Ni Maurras ni Amouretti n’étaient en effet principalement préoccupés du problème institutionnel français à l’époque du félibrige de Paris et du Manifeste fédéraliste. Maurras était-il « girondin », en ce temps-là ? Je ne vois pas trop ce que cela veut dire ! Etait-il « un peu vaguement anarchiste » ? Il était surtout fédéraliste.
Frédéric Amouretti, quant à lui, était l’un des très proches de Maurras entre 1890 à 1903, année de sa mort, à quarante ans. La préface du Chemin de Paradis s’adresse à lui; et lorsque les premiers cercles d’Action française se sont crées, à Paris, à partir de 1898-1899, il y a aussitôt adhéré, collaborant à leurs travaux et, bien-sûr, à la Revue grise. Son royalisme ne fait aucun doute. (Cf. aussi l’Enquête sur la Monarchie).
Mistral était-il républicain ? J’en doute fort, car son anti-jacobinisme était un élément essentiel de sa pensée. Etait-il « royaliste » ? Je ne l’affirmerai pas, non plus. Ce qui importait par dessus tout à Mistral, était la cause provençale. Il s’y est toujours tenu.
La preuve de son républicanisme par le fait qu’il ait reçu Poincaré à Maillane en 1913, me paraît extrêmement faible, pour ne pas dire naïve. Allait-il priver l’oeuvre de sa vie, la cause provençale, du bénéfice d’une reconnaissance officielle par la visite que le président de la République devait lui rendre, dans la foulée du prix Nobel qu’il venait de recevoir ? C’est dans ce seul esprit que Mistral a reçu Poincaré. Il y en a, je crois, une preuve au Musée de Maillane : une lettre de Mistral à Maurras, dans laquelle il lui raconte avec humour, pourquoi et comment il a reçu Poincaré malgré l’opposition des éternels « couillons » qui n’avaient rien compris. Vous savez, il y en a, il y en a toujours eu, il y en a encore, parmi les royalistes … (Ils n’en ont toutefois pas l’exclusivité …).
Sur cette attitude, Maurras était dans le même état d’esprit. En Provence, les querelles « nationales » devaient s’effacer devant l’intérêt provençal. Relisez les premières pages de son Breu de Menori, adressé au félibrige, après la Libération, vous le vérifierez. Des hommes de cette trempe, sont devenus rares. Vous avez tort de vous situer surtout du côté des vieilles querelles …
Je me suis toutefois trompé sur un point : c’est en 1904 que Mistral a reçu le prix Nobel !
– Les Girondins étaient fédéralistes puisqu’à leur création les départements étaient complètement autonome au point que même en cas de guerre ils pouvaient accepter ou refuser d’y participer, que ce soit par jeunes gens ou par leur argent.
– Dans « Memòri e raconte » Mistral parle d’une foule de gens, mais pas de Maurras.
Aucun livre que j’ai lu sur Mistral ne note qu’ils auraient continué à s’écrire après les 25 ans de Maurras à peu près.
Personne ne mentionne une lettre de Mistral à Maurras en 1913 ! Mistral était très fier de sa rencontre avec Poincaré car le protocole « avié mes au mème nivèu la Franço e la Prouvènço » comme il l’a écrit dans « l’Armana prouvençau ».
Il est donc évident qu’il n’a pas écrit de lettre critique et pas à Maurras en tout cas. S’il a pu faire de l’humour c’est sur des points secondaires, de même qu’il en a fait sur sa statue d’Arles (« em’ aquéu mantèu, dises que m’en vau en vouiage, me manco plus que li bagage »)
En effet Mistral n’a eu le Prix Nobel de littérature qu’en 1904. Il aurait dû l’avoir dès la première édition du Prix Nobel en 1901 mais le gouvernement français a fait pression parce qu’il ne voulait pas qu’on couronnât un Français qui n’écrivait pas en français.
Ayant affaire à des spécialistes, je me permet une requete.
Je suis à la recherche du texte de la série de conferences de Maurras en avril 1941 en Provence.
Son titre :
L’esprit de Mistral et la réforme du Maréchal Pétain.
Merci de vos compétences et de vos archive. Ah oui, inutile de tenter la retrouver sur le Site de la Bibliothèque de France car tous les numéros de l’AF quotidienne de 1943 ne sont pas en ligne.
Poème de Mistrаl très clаirement républicаin
LE CHANT DU PEUPLE
Gloire au grand peuple, au peuple magnanime
Dont le courroux brisa la royauté!
Guerre aux tyrans, tel fut son cri sublime
Quand il fallut venger la liberté.
Avec les rois plus de pactes frivoles,
Plus de traités violés tant de fois:
La perfidie inspire leurs paroles…
Guerre éternelle entre nous et les rois!
Ah! trop longtemps ces vampires immondes
Qui s’engraissent du sang des malheureux
Ont infecté les peuples des deux mondes
De leur contact impur et dangereux.
Mais affranchi de leur joug despotique,
Ne cède plus, peuple, reprends tes droits!
Et crions tous: Vive la République!
Guerre éternelle entre nous et les rois!
Le peuple est bon, il souffre l’injustice,
Car, il est pauvre, il a besoin de tous…
Mais quand le fiel déborde du calice,
Quand le mépris vient aigrir son courroux,
Comme un coursier qui mord et rompt ses rênes,
Il reconquiert sa fierté d’autrefois.
Hier, d’un seul bond, il a rompu ses chaînes…
Guerre éternelle entre nous et les rois!
Voilà qu’un jour, et ce grand jour s’avance,
Tous les mortels se donneront la main.
— Non! diront-ils, frères, plus de souffrances!
Avec les rois l’égoïsme a pris fin,
Plus de partage en duchés, en royaumes;
La liberté nous range sous ses lois;
Dés aujourd’hui redevenons des hommes…
Guerre éternelle entre nous et les rois!
Le despotisme est un palais qui tombe;
Faisons si bien qu’il s’écroule en entier.
Pour qu’ils n’aient pas à frémir dans la tombe.Ceux qui sont morts, les martyrs de février!
Réveillez-vous, enfants de la Gironde,
Et tressaillez dans vos sépulcres froids:
La liberté va conquérir le monde…
Guerre éternelle entre nous et les rois!
Frédéric MISTRAL.
28 mars 1848.
En 1865 Mistral est toujours fédéraliste et républicain. C’est d’autant plus frappant que cette lettre est adressée à Bonaparte Wyse, cousin de l’Empereur.
Lisez la fin si vous êtes fainéants, un royaliste ferait-il référence à Mirabeau, Thiers et Garibaldi ?
relisons ce qu’il écrit le 1er mars 1865 à Bonaparte Wyse:
…. Vous jugez excellente la poésie catalane actuelle. Elle s’inspire trop des vieilles idées et
d’archéologie nationale. Elle ne vit pas assez dans son siècle et se tient trop en dehors de la vraie nature
et du peuple moderne.
(…)Si le cœur de nos vaillants amis avaient battu a l’unisson du mien sur la question provençale, nous
aurions accompli peut-être quelque chose… Nous aurions préparé, accéléré le mouvement fédératif, qui
est dans l’avenir. Non pas que j’ai l’idée niaise de rêver une séparation de la France. Les temps futurs
sont à l’union et non à la séparation. Mais aussi et surtout, ils sont à la liberté, à la liberté des races, des
cités, des individus, dans l’harmonie… N’est-il pas évident, pour tous ceux qui réfléchissent, que
l’Europe, même en conservant ses rois et ducs et empereurs, court à l’union républicaine? Si, au conseil
des amphictyons européens, la France était représentée par 30, la Provence, le Midi, qui forme le tiers
ou le quart de ces 30 unités, aurait donc 10 voix ou 7 voix au chapitre. Et voilà tout. Mais les félibres
se moquent de cela comme de l’an quarante. Seulement comme rien d’inutile ne se produit en ce
monde, je suis convaincu qu’a un moment donné de cette semaille littéraire et linguistique naîtra
quelque homme de génie pour en tirer parti. La terre des Mirabeau, des Thiers. des Garibaldi, ne jettera
pas toujours au service de ses voisins la sève géniale de ses fils. Amen! (1)
(1) Lettre publiée par.M. Jules Charles-Roux (Provençal de Paris, 17 novembre 1912). Il faut ajouter
que la plupart des lettres ou documents qui ont éclairé le côté politique de la vie de Mistral sont sortis
des Archives Iconographiques du Palais du Roure fondées par M. Jules Charles Roux et perpétuées
avec un culte admirable par Mme Jeanne de Flandresy.
Si vous aimez Mistral vous savez évidemment qui était Jeanne de Flandresy et toute la confiance qu’on peut lui accorder.
Le recueil « Lis Isclo d’Or » part en 1861. Mistral y chante l’armée REPUBLICAINE qui a combattu en Italie.
Je ne mets que les extraits où même les francophones les plus obtus peuvent reconnaître les mots « République » et « républicain »
LE TAMBOUR D’ARCOLO
(Les Iscles d’Or.)
LA BATAIO
A l’armado italico
I’a’n pichounet tambour
Que pèr la Republico
Boumbounejo d’amour
….
Adounc, Franço erouïco,
Ti fièu vuei calaran
Ti fièu, o Republico,
Espaime di tiran!
…….
Cantant la Marsiheso,
Cantant la liberta,
Pèr l’armado franceso
Lou pont es empourta.
Je précise : le poème « Lou tambour d’Arcolo » est bien de 1861 mais le recueil « Lis Isclo d’Or » ne paraîtra qu’en 1875… et Mistral est toujours républicain.
Et alors? Quelle démarche royaliste dans son « républicanisme »!
Quand Mistral chante les armées de la « Republico », « espaime di tiran » qui « en cantant la Marsiheso » ont vaincu les rois, il se montre clairement républicain.
On ne peut pas être à la fois un ennemi des rois, ces « vampires immondes » « s’affranchir de leur joug despotique » et être royaliste.
Si on est républicain, comme Mistral, on déteste le royalisme.
Si on est royaliste on est anti-mistralien.
« Ah! trop longtemps ces vampires immondes
Qui s’engraissent du sang des malheureux
Ont infecté les peuples des deux mondes
De leur contact impur et dangereux.
Mais affranchi de leur joug despotique,
Ne cède plus, peuple, reprends tes droits!
Et crions tous: Vive la République!
Guerre éternelle entre nous et les rois! »
Frédéric Mistral
E ben, per un còp que nous avons un mistralien pur jus de pressoir, nous aurions mauvaise grâce à lui faire triste figure.
Les êtres changent au long de leur vie, mais si Frédéric Mistral était républicain en 1875, il faudra faire avec et tirer l’échelle !
Et attention ; après li tron, vèn li sacas !
Le prince Jean, excellent homme au demeurant, ne peut être l’héritier des Quarante Rois puisque sa famille ne peut pas se réclamer d’un principe de continuité qu’elle a fait scier en deux pour promouvoir ses intérêts du moment !
Il est l’héritier du roi Louis-Philippe, ce qui est déjà bien.
« E ben, per un còp » c’est de « l’occitan » des séparatistes.
En provençal on écrit et dit : « E be, pèr un cop ».
Dans les autres parlers d’oc on dit « per » avec un E fermé.
Je dialogue avec vous parce que je crois à la sincérité de votre estime pour Mistral.
(Je combats les « occitans » sans dialoguer avec eux)
Occitan ? Pis que ça. Wisigoth carrément ; je jeûne chaque année à l’anniversaire de Vouillé 🙂
A Alain Broc.
Peu ou prou, presque tout le monde, au XIXème siècle, a été républicain un jour ou l’autre. Maurras, le beau premier, l’ignorez-vous ? Et, en même temps que lui, la plupart des fondateurs de la 1ère Action française… Beaucoup en sont revenus. Mistral aussi, après 1870-1871, était revenu de ses émotions quarante-huitardes. A mon sens, son intention profonde fut toujours de se tenir en deçà ou au delà du clivage royalisme-républicanisme au nom de ce que Maurras appelle « lou subre Bèn de la Causo », l’intérêt majeur de la cause provençale, Ce souci exclut, bien entendu, les détestations réciproques que vous croyez obligatoires, entre républicains, royalistes, Mistral et mistraliens. Du temps de Mistral, tous ont coexisté autour de lui, vous devriez le savoir, et le royaliste « blanc » Charles Maurras a toujours chanté la louange du très « rouge » Félix Gras. L’erreur de votre raisonnement est là : ruiner l’unité provençale, au profit des détestations. Tout un programme !
Au fait, nous détestez-vous, nous qui sommes royalistes et mistraliens ? En tout cas, si c’est le cas, il semble que vous nous détestez moins que les occitans puisque vous dialoguez avec nous, pas avec eux ! Traitement de faveur ? Vous savez sûrement que, à propos de notre Provence, Mistral a écrit « eici sian Francès bateja pèr sant Louis !… ». Ce n’est pas d’un républicain sectaire ou acharné…
Pour finir, je vous rappelle et dédie le quatrain suivant, de Mistral, fort peu orthodoxe pour un républicain convaincu et pratiquant :
Nàutri, li bon Prouvençau,
Au sufrage universau,
Voutaren pèr l’òli
E faren l’aiòli.
(Epigraphe du journal L’Aiòli, qui était imprimé, vous le savez, j’en suis sûr, au palais du Roure, chez Folco de Baroncelli, en Avignon, dans les années 1890).
Bien cordialement.
Je vous livre ci-après l’interrogation de Victor N’Guyen dans son étude (www.maurras.net) : « L’échec de Maurras, malgré son principat intellectuel, à restaurer la monarchie ne demande-t-il pas à être rapproché de l’échec du Félibrige, en dépit de la gloire mistralienne, à rendre force et vigueur a la culture d’Oc ? Double achoppement historique, décalé dans le temps, et en plans superposés, qui renvoie à une interrogation unique mais majeure : dans un monde dont toutes les valeurs tendent au changement, et au changement le plus bouleversant, à la révolution, existe-t-il un lieu possible où puissent s’enraciner les traditions ? »
Je pense qu’une donnée est négligée dans l’analyse et surtout dans le milieu royaliste où le pourcentage d’entrepreneurs frise l’epsilon, c’est celle de l’économie.
En 1934, on n’est pas sorti de la crise de 29 qui ne s’achèvera finalement qu’en 1952. La société avait d’autres chats à fouetter que le régime politique, même s’il était pourri ; mais comme on disait, c’est le nôtre ! Les royalistes se sont d’ailleurs battus vaillamment sous le drapeau de ce régime.
La stérilité du félibrige participe du même décalage. A l’époque, la Provence n’a pas de poids économique à l’exception du port colonial de Marseille, sans hinterland entre la mer et Lyon. Vous ne pouvez rien « imposer » si vous ne manoeuvrez pas du PIB.
Le déficit d’intérêt pour la sphère économique est toujours un de nos handicaps.
Je ne vois pas en quoi ce quatrain ne serait pas rigoureusement républicain.
Nàutri, li bon Prouvençau,
Au sufrage universau,
Voutaren pèr l’òli
E faren l’aiòli.
L’aiòli, pour Mistral, était un symbole de la Provence, que beaucoup de ses collègues ont trouvé trop culinaire. Vous y voyez sans doute une ironie qu’il n’y a pas.
Je reprends à mon compte cette jolie phrase du grand historien Pierre Chaunu :
« Je suis républicain d’un bleu très pâle »
ça ne veut pas dire moins républicain qu’un couillon comme Mélenchon, mais moins fanatiquement.
En bon mistralien je suis prêt à m’allier à toute personne qui veut honnêtement sauver ce qu’on peut de notre langue d’oc et notamment ses formes auvergnate et provençale. – auvergnate parce que je suis Auvergnat et parce que le haut-auvergnat est le seul parler d’oc encore vivant au quotidien, provençale parce que, une fois qu’on a lu les quelques excellents poètes et écrivains auvergnats, on est bien obligé de passer au provençal parce que les très grandes oeuvres sont dans ce parler et parce que 90 de la production littéraire d’oc est en provençal depuis le XVIIIème siècle. Le génie de Mistral a amplifié ce mouvement.
Je vous demande seulement de reconnaître que Mistral était républicain et de ne pas le compromettre avec le royalisme, ni surtout avec le pétainisme qui est d’une autre époque.
Pensez que Mistral a fait une dépression de plusieurs années après la défaite de 1871 pour la perte de la seule Alsace-Moselle, il n’aurait donc pas été pétainiste.
Vous pouvez être royalistes et « mistraliens atypiques » de même que Mistral et moi nous sommes des « proudhoniens atypiques », reprenant de nombreuses idées de Proudhon sans être anarchistes pour autant.
Pour finir sur un détail sûrement important pour Mistral « eici sian Francés bateja pèr sant Louis !… » c’est la pensée républicaine de l’époque.
Je n’ai pas trouvé de textes écrits de Mistral sur la loi de 1905 mais je suppose qu’elle ne lui a pas plu.
Moi je suis d’une autre génération et cette loi n’est plus appliquée avec le fanatisme anti-catholique de l’époque.
La République de Mistral c’est celle où les séances du Sénat commençaient par une prière publique, et té !
Mistral a chanté dans un poème magnifique l’expédition Marchand à Fachoda.
Comment ces officiers républicains ont-ils baptisé leur fort ? Fort saint Louis.
A moun ami Charles Maurras
Que miés que tóuti e sus tóuti
A coumprés e esclargi
L’idèio de ma vido.
F. Mistral.
(Dédicace à Maurras, 2 février 1909, Pèr la Candelouso de 1909)
Dans le fil de notre discussion avec notre ami auvergnat, cette dédicade, que Baphomet produit de façon très opportune, est tout à fait décisive :
1. En 1909, Maurras est bien « royaliste ». Il est le chef de l’Action française et le directeur du quotidien qui porte ce nom, fondé un an plus tôt.
2. Mistral l’appelle son ami. (Pas de « détestation » !)
3. Il y a surtout le fond qui infirme à angle droit la thèse exposée jusqu’ici par Alain Broc : Mistral dit que Maurras plus que tous – et au dessus de tous – est celui qui a le mieux compris et éclairci l’idée de sa vie.
Affaire entendue, non ?
Dédicace dans quel ouvrage ?
parce que moi j’ai donné des références :
– le poème en français est cité dans « Memòri e raconte » et le vieux Mistral ne renie pas son poème de jeunesse, au contraire!
– Lou tambour d’Arcolo est dans le recueil « Lis Isclo d’or ».
À l’époque les royalistes étaient en face, dans l’armée autrichienne.