Il faut être reconnaissants à Jean-François MATTEI, avons-nous dit, d’avoir écrit « Le regard vide – Essai sur l’épuisement de la culture européenne ». Et, en effet, il faut lire et relire ce livre, le méditer, en faire un objet de réflexion et de discussions entre nous. Il dit, un grand nombre de choses tout à fait essentielles sur la crise qui affecte notre civilisation – et, bien-sûr, pas seulement la France – dans ce qu’elle a de plus profond.
Ce livre nous paraît tout à fait essentiel, car il serait illusoire et vain de tenter une quelconque restauration du Politique, en France, si la Civilisation qui est la nôtre était condamnée à s’éteindre et si ce que Jean-François MATTEI a justement nommé la barbarie du monde moderne devait l’emporter pour longtemps.
C’est pourquoi nous publierons, ici, régulièrement, à compter d’aujourd’hui, et pendant un certain temps, différents extraits significatifs de cet ouvrage, dont, on l’aura compris, fût-ce pour le discuter, nous recommandons vivement la lecture.
-extrait n° 3 : page 22.
les sources principales de la culture européenne
Qu’on en convienne ou non, les œuvres de l’esprit perdurent dans l’aire européenne, et au-delà d’elle, comme des formes pérennes qui conservent un caractère unique qu’il faut bien rapporter à la communauté où elles sont entrées en résonnance. Il est, certes, malaisé de les appréhender clairement dans leurs déterminations historiques et géographiques du fait de leur diffusions diverses, bien qu’un accord général se soit fait sur les sources principales de la culture européenne. Pour Valéry, l’Europe se ramenait à trois influences qu’il classait dans l’ordre inverse de leur apparition : Rome, le christianisme et la Grèce. Simone Weil, qui haïssait la puissance romaine, la réduisait aux deux seules sources d’Athènes et de Jérusalem. Albert Camus, avec la même réserve vis-à-vis de Rome, ordonnait l’Europe autour de la culture méditerranéenne. André Malraux, dans Les Conquérants, y reconnaissait un élément grec, un élément romain, et un élément biblique, et le philosophe tchèque Karel Kosik affirmait, dans un texte de 1993, que « L’Europe, c’est la Grèce antique, le christianisme, les Lumières – c’est Diderot, Mozart, Kant », pour déplorer aussitôt : « Hélas, cette Europe là n’est plus » (1). Je ne crois pas utile de multiplier outre mesure les références. Les historiens s’accordent en effet pour avancer que le fleuve européen a été irrigué par les diverses sources de la Grèce, de Rome, des religions juives et chrétienne, auxquelles ils ajoutent les affluents tardifs de Byzance et de l’Islam sans négliger l’apport germanique.
(1) Karel Kosic, « Un troisième Munich » (1993), La crise des temps modernes. Dialectique de la morale. Les Editions de la Passion, page 114.
Le regard vide – Essai sur l’épuisement de la culture européenne, de Jean-François Mattéi. Flammarion, 302 pages, 19 euros.
Comment donner à ce terme -Europe-, issu de la mythologie grecque, un contenu qui suffise à montrer aux Européens ce qui leur est commun et leur permette d’ébaucher les grandes lignes de leur destin ?
Dans un monde qui change comme rarement il a changé, dans une époque où se met en place un nouvel ordre de la Terre, l’Europe ne sait visiblement plus ce qu’elle est, ni surtout ce qu’elle pourrait être. Le vide symbolique des motifs figurant sur les billets libellés en euros est révélateur de cette Europe sans identité : on n’y voit ni visages identifiables, ni paysages singuliers, ni lieux de mémoire ni personnalités. Seulement des ponts et des constructions, surgis de n’importe où et qui ne mènent nulle part.