On connait le mot de Pascal: Le vrai peut, quelquefois, n’être pas vraisemblable… Mais ne peut-on jouer de la formule, et étendre la réflexion à d’autres choses que le vrai ? Ainsi, par exemple, du légal, qui peut quelquefois -et même souvent, dans le système idéologique qui nous régit- ne pas être- légitime.
C’est ce que pense Yvan Blot. Dans un billet qu’il qualifie modestement d’Humeur, et qu’il nous a semblé intéressant de reproduire, il confie à Politique Magazine de ce mois (octobre, n° 78) sa réflexion: La légitimité n’est pas la légalité.
La légitimité n’est pas la légalité. On entend régulièrement certains journaux tempêter contre ceux qui fraudent ou qui fuient l’impôt, eux qui se gardent bien de parler de leurs propres privilèges fiscaux. Sur le terrain du droit, c’est clair, il ne faut pas frauder. Sur le terrain de la morale kantienne aussi: si tout le monde fraude, l’Etat s’effondre; la fraude n’est pas un comportement moral car elle n’est pas universalisable.
Mais n’y aurait-il pas une autre sorte de « fraude », celle des gouvernants ? Est-ce juste de prendre 50% de leurs revenus à ceux qui sont considérés comme riches pour faire une redistribution ? La déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (on était en monarchie !) parle de payer l’impôt conformément à ses « facultés »; ce n’est pas la redistribution égalitariste ! Les principes et les niveaux d’impôts sont ils justes ? Cela se discute ! Mais, plus grave, la démocratie donne au peuple le droit de lever l’impôt soit directement, soit par des représentants élus: article 14 de la même déclaration. Or, la démocratie directe n’existe pas en France: on ne peut pas refuser ou adopter un impôt par un référendum à la demande des citoyens, comme on le fait en en Suisse ou dans la petite monarchie du Liechtenstein, et même dans les Etats de l’Ouest américain.
De plus, les députés ne contrôlent plus le gouvernement: la majorité obéit à ses chefs qui sont au pouvoir, et la minorité d’opposition n’a pas de pouvoir de décision. En réalité, les députés sont les représentants des partis politiques, dont la direction est oligarchique, et non les représentants du peuple, sauf en théorie. C’est donc le gouvernement qui fixe les impôts à partir des projets de l’administration. Le parlement obéit. Il n’y a plus de séparation des pouvoirs exécutif et législatif. On doit donc payer des impôts que l’on n’a pas votés et qui sont fixés par un régime qui ignore la séparation des pouvoirs qu’il a lui-même proclamée !
Entre le citoyen qui fuit l’impôt et le pouvoir qui dicte l’impôt, c’est la même illégitimité qui règne ! Mais on se garde bien de parler du caractère illégitime des décisions du pouvoir ! Car le pouvoir est puissant, contrairement au citoyen isolé. La presse conforte les puissants, ce n’est pas nouveau….
Payer l’impôt conformément à ses facultés, c’est selon le
bon sens, le payer de manière proportionnelle et
progressive, en fonction de ses revenus.
Le bouclier fiscal est d’inspiration idéologique. Concourir
aux nécessités financières de l’Etat, garant de l’intérêt
public est le devoir de tout citoyen.
Que cela se fasse en fonction des capacités de chacun est
tout à fait juste, il n’existe pas à ce que l’on sache de
limites à la progression des hauts revenus, et encore
moins de bouclier social permettant à chacun de vivre
au-dessus du seuil de pauvreté.
Dans ces conditions, le bouclier fiscal n’a pas lieu d’être.
Quant à mieux gérer les finances de l’Etat, c’est un autre
sujet.
Ce serait un comble d’imaginer que sous prétexte que les finances de l’Etat sont mal gérées, un bouclier fiscal serait nécessaire. Non seulement ceci ne règle pas le problème de la mauvaise gestion des deniers publics mais de plus, cela appauvrit l’Etat, déjà très déficitaire.
Quant au chantage au retour des détenteurs de capitaux
frauduleusement « planqués » à l’étranger, ceci est tout
simplement irrecevable.
Non, « mieux gérer les finances de l’Etat » n’est pas hors sujet; c’est « le »sujet.
En effet, quand on comble le déficit budgétaire par le recours systématique à l’impôt, (ex: baptisé pour la circonstance « taxe carbone »), c’est trop facile.
Allez demander à un chef d’entreprise, coincé entre les coûts de production et le prix de marché, ce qu’il en pense.
J’ai l’impression qu’il y a une incohérence dans le texte de DC. En effet, il parle de « payer de manière proportionnelle et progressive, en fonction de ses revenus ». Or c’est tout simplement antinomique: l’impôt est proportionnel ou progressif. le « bouclier fiscal » a pour effet de limiter la progressivité à 50% des revenus, rétablissant alors la proportionnalité, sans quoi l’impôt deviendrait totalement confiscatoire et même plus encore par le phénomène de la double imposition, le contribuable payant alors plus qu’il ne perçoit de revenus.
Mieux gérer les finances de l’Etat n’est pas hors sujet.
C’est imaginer qu’en instaurant un bouclier fiscal, on pallie
la mauvaise gestion des deniers publics, qui l’est.
Une bonne gestion est certes indispensable pour éviter la
gabegie, mais compte-tenu du déficit budgétaire actuel et
du niveau de la dette publique, seul un très haut taux de
croissance permettrait de retrouver des marges de
manoeuvre suffisantes.
Aussi, lorsque l’Etat se prive depuis de nombreuses
années, de recettes fiscales, sans contre parties, et sans
que cela se traduise par une augmentation notable de la
croissance, donc sans retour sur investissement, il est
indispensable de se demander où part cet argent et à qui
il profite.
Lorsque des entreprises, notamment de grandes
entreprises, ou de grands établissements financiers font
des profits conséquents, il est normal que ceux-ci
apportent leur contribution à hauteur de leur faculté.
Tout dépend de quel impôt l’on parle, il y en a qui sont
proportionnels et d’autres progressifs. La progressivité est
sans conteste ce qui est le plus juste dans la mesure où
les facultés de contribution progressent également.
Vous avez raison, il faut savoir de quel impôt on parle. Mais qu’il soit direct, indirect, proportionnel ou progressif; le tout cumulé aboutit à un total de prélèvements obligatoires à la limite du supportable.
Le plus insupportable étant, bien entendu, l’inflation du train de vie de l’Etat qu’aucun gouvernement (gauche ou droite) ne semble prêt à réduire.
Les caisses de l’Etat sont vides, mais il y a des coffres
pleins, à rapatrier ou à réouvrir.
Il est en effet insupportable que l’essentiel de l’effort fiscal
repose toujours essentiellement sur la masse des
contribuables dits moyens, qui paient loyalement leurs
impôts, tandis que d’autres, par toutes sortes de procédés
et d’artifices légaux ou frauduleux, s’exonèrent de leurs
obligations. Il est certain que le bouclier fiscal ne profite
qu’à une minorité de contribuables pour lesquels l’effort
fiscal n’est pas insupportable, mais seulement
non consenti, en dépit de leur faculté de contribution.
L’Etat aurait intérêt à récupérer ces recettes fiscales dont
il se prive volontairement non par souci de l’intérêt
général mais par pur clientèlisme politique.
Croire que les seules économies budgétaires,
indispensables, là où il y a manifestement gaspillage,
suffiront à se doter des moyens utiles à l’Etat pour remplir
ses missions est un leurre.
Pour les entreprises, la progressivité de l’impôt sur les
sociétés, comme sur les revenus des personnes
physiques devrait aller de soi. Cela permettrait sans doute
aux petites et moyennes entreprises de ne plus supporter
inconsidérablement des charges fiscales tandis que de
grands groupes « bullent » dans des paradis fiscaux ou
profitent des aides de l’Etat sans contrôle ni contreparties.
Pour que l’on puisse effectivement retrouver la santé fiscale, il faudrait d’abord que l’on respecte un certain nombre de principes sans lesquels il ne peut pas exister de civisme fiscal.
1) On ne doit pas payer l’impôt sur l’impôt. Les revenus sur lesquels l’impôt (qu’il soit local, national,communal, qu’il soit une taxe ou une redevance) a déjà été payé doit présenter aux autres impôts une assiette réduite de cet impôt. Sinon on finit par payer plus que l’on ne reçoit.
2) L’impôt ne doit en aucune façon servir à autre chose qu’à apporter à la puissance publique une source de financement. S’il est un moyen de redistribution, celui qui se sait menacé de confiscation ne peut être un contribuable sincère.
3) La ponction sur le capital ne peut être supérieure au revenu de ce capital, sinon, encore une fois, il s’agit de confiscation. Que l’on ne me réponde pas que c’est un moyen de favoriser l’utilisation rationnelle de ce capital: c’est encore une fois faire jouer à l’impôt un rôle qui ne peut être le sien.
4) Vraiment, la progressivité pour les entreprises comme pour les particuliers, ne va pas « de soi ». Elle me paraît une arme particulièrement dangereuse. En effet, elle suppose qu’au delà d’un certain revenu, on atteint une zone illégitime. C’est inacceptable.
Enfin, je voudrais signaler que l’augmentation du budget de l’Etat est en constante progression par rapport à la richesse nationale. DC a l’air de considérer cela comme naturel. C’est mortel au contraire.
Si « l’impôt », quelque soit sa forme, n’est pas également un
moyen de redistribution, cela signifie remettre en
cause la solidarité nationale, et notamment la sécurité
sociale, héritée du Conseil National de la Résistance.
C’est d’autant plus inacceptable qu’actuellement ce
système de protection joue un rôle d’amortisseur
important dans la crise, que les américains eux-mêmes
nous envient.
Si Antiquus trouve normal qu’une entreprise qu’elle soit
petite, moyenne ou grande soit imposée au même taux,
quelque soit le montant de ses profits, c’est son choix.
Mais la redistribution et la progressivité sont à mon avis
autant nécessaires pour les personnes physiques que
pour les entreprises.
A un certain niveau de revenus, de profits et de capitaux,
l’investissement devient essentiellement financier, alors
que l’investissement productif est par ailleurs bridé, plus
l’on descend dans l’échelle de taille des entreprises qui
supportent effectivement de nombreuses charges.
Redistribuer, mieux, et de manière plus équitable, permet
d’optimiser la création effective de richesses dans le circuit
économique avec des répercussions sur la production et
la consommation.
Ne pas le faire, conduit à la situation actuelle, où le
capitalisme devient essentiellement financier, tandis que
les plus importants détenteurs de capitaux, sont avant
tout des rentiers et non des entrepreneurs.
Quant à l’aspect de confiscation du capital, à savoir, ne
pas payer l’impôt sur l’impôt, je partage ce principe, à
condition de ne pas remettre en cause la taxation
proprement dite du capital lors des transmissions, qu’il
s’agisse des successions, ventes etc … même si, à ces
moments rares, le capital est susceptible, pour les
grandes fortunes, d’être amputé d’un montant supérieur
aux revenus de ce capital.
Sur le dernier point, il y a des moments où il est
nécessaire que l’augmentation du budget de l’Etat soit en
progression par rapport à celle de la richesse nationale,
s’il s’agit d’investir pour l’avenir. Mais dans ce cas, ce qui
est mortel, c’est de recourir à l’emprunt alors que parmi
ceux qui vont y souscrire, il y a assurément ceux dont
l’Etat a volontairement décidé de soustraire à leurs
obligations contributives au détriment du reste de la
masse de contribuables qui devra en plus, rembourser les
intérêts des « généreux prêteurs ».
Navré de vous contredire, cher DC, mais dire que l’impôt n’a pas pour but la redistribution ne remet nullement en cause la solidarité nationale. Il y a une place pour la solidarité et même pour la redistribution et elle ne se trouvent pas dans l’impôt. Quant à la sécurité sociale, son caractère globalisant la condamne à rétrécir sans cesse le champ de son intervention, même si elle vient du conseil de la résistance, dont je n’idolâtre pas le souvenir.
En ce qui concerne la fiscalité des entreprises, elles ne sont taxées que sur leurs bénéfices après déduction de toutes leurs dépenses alors que les familles ne peuvent rien déduire ou presque. La progressivité de l’impôt ne connaît pas de limitation, bien au contraire, l’inflation la fait croître chaque année. Elle est le résultat d’un insatiable désir d’égalité, véritable maladie française.
Je ne crois pas à l’utilité de l’impôt sur la fortune, ni même à celle de l’impôt sur les successions, dont Napoléon disait qu’il était le moyen le plus sûr de réduire les français à la médiocrité qui empêche de contester le pouvoir.
En revanche, je partage l’avis de DC sur l’emprunt, détestable « cavalerie » de gouvernants irresponsables.
Si ce n’est pas par la fiscalité (impôts ou taxes), qu’il soit possible de redistribuer, non pas la totalité, mais une partie des richesses produites, c’est selon vous, cher Antiquus, par quel autre moyen ?
Vous dites que les familles ne peuvent pour ainsi dire ne rien déduire, mais qu’en est-il des niches fiscales ?
J’ai l’impression que vous raisonnez non de manière globale mais spécifique, les familles. L’économie est un tout, les entrepreneurs, les salariés, les commerçants, les artisans, le secteur public …Il y faut un équilibre pour optimiser son fonctionnement dans l’intérêt de tous.
La politique n’est pas le souci des intérêts particuliers de quelques uns mais bien la recherche du bien commun.
Je constate que vous faites une sorte de fixation sur le principe d’égalité, qui n’est pas ici le sujet, alors que vous semblez être très attaché à l’accumulation sans limite du capital, fut il destiné dans les faits, à alimenter toutes les bulles financières, boursières, immobilières, et la spéculation qui va de pair, plutôt que d’être recyclé dans l’investissement productif et servir à l’intérêt général.
La crise est malheureusement là pour vous donner tort.
Si je puis me permettre de risquer un commentaire dans cet échange DC vs Antiquus, je dirais que le partage et la redistribution des richesses ne passe pas uniquement par la fiscalité.
En effet, depuis une trentaine d’années, le modèle capitaliste généré par la pression concurentielle mondiale, est basé sur la déflation salariale, le partage de la valeur ajoutée au profit des actionnaires et donc au détriment des salariés.
Un rééquilibrage dans ce domaine, permettrait de satisfaire vos attente en matière de fiscalité
La remarque de Thulé est exacte à une nuance près, mais
de taille : le niveau de partage de la valeur ajoutée et
l’augmentation des salaires dépendent du bon vouloir du
patron auquel le salarié est lié par un lien de
subordination, même s’ il existe certes, des syndicats.
Alors que la fiscalité vise l’ensemble de la société et
dépend des mesures prises par la puissance publique dont
le pouvoir souverain émane de la nation toute entière.
Je réponds point par point à vos observations et objections.
D’abord, pourquoi l’impôt ne doit pas servir à la redistribution. En premier lieu parce que le but premier de l’impôt est de fournir des moyens à l’état pour fonctionner et que si on adjoint à ce but d’autres finalités, il arrive nécessairement et constamment que les finalités divergent et se contredisent. C’est d’ailleurs le cas avec des impôts dont les coûts de recouvrements (IRPP, ISF) sont démesurés par rapport à leur rendement net. Ensuite parce que si l’état utilise l’impôt pour changer la société, il va nécessairement y avoir des gagnants et des perdants. la conséquence sera donc inévitablement une perte de civisme fiscal: les catégories qui verront que l’impôt a pour but de les liquider vont tricher « légitimement », ou encore, si elles disposent d’un moyen catégoriel de lobbying, elles vont obtenir des dérogations qui rendront l’impôt de plus en plus injuste et compliqué. C’est l’origine des niches fiscales que vous mentionnez, toujours remises en cause et toujours recréées. L’impôt doit être simple et peu coûteux pour l’état, et il doit être stable pour être accepté, donc il ne doit pas installer un processus mais effectuer une ponction sans surprise.
Vous dites que le principe d’égalité n’est pas ici le sujet. Je ne partage absolument pas votre avis. Le principe d’égalité est au contraire en permanence invoqué pour chaque réforme fiscale. Il a été, de manière démagogique, à l’origine de cet impôt insensé qu’est l’ISF, de la suppression du quotient familial, du refus de rehausser les tranches de progressivité, il est également à l’origine de cet abus désastreux que vous mentionnez avec raison selon lequel les classes moyennes font les frais de l’impôt, car les très hauts revenus obtiennent de plus en plus de moyens d’évasion fiscale alors que les moyens revenus paient l’addition dans la mesure où 50% des revenus ne paient pas d’impôt. Vous n’envisagez pas d’autre moyen de réagir que l’inquisition fiscale, dont les effets sont ravageurs.
Vous me dites que je suis « très attaché à l’accumulation sans limite du capital », terme à mon avis inadapté. Ce qui est vrai, c’est que je considère que le rôle de l’état ne doit pas être de détruire systématiquement le patrimoine des familles. Quant à la spéculation et à la financiarisation catastrophique que vous dénoncez, il est étonnant que vous l’expliquiez par la présence d’une épargne excédentaire des ménages alors qu’elle est de toute évidence le résultat d’une recherche folle de rentabilité sans limite de tous les manieurs d’argent, y compris institutionnels et étatiques.
Enfin, vous me demandez de désigner qui doit opérer la nécessaire redistribution et comment, comme si l’impôt était le seul procédé concevable. Il me semble que la redistribution doit d’abord être faite par les organismes sociaux eux-mêmes, dont les cotisations auto-acceptées par leurs membres et la gestion échapperaient à toute démagogie. Quant à l’état et aux collectivités locales, il peuvent intervenir par subvention et même, dans des cas exceptionnels, par confiscation. Même une confiscation injuste est préférable à une injustice structurelle.
Total des prélèvements obligatoires, en % du PIB, dans quelques pays de l’OCDE,en 2005 :
États-Unis 27,3
Japon 27,4
Allemagne 34,8
Espagne 35,8
Royaume-Uni 36,5
Italie 41,0
France 44,1
Le taux de prélèvements obligatoires (et confiscatoires) français, était en 2005, très exactement 100% plus élévé que celui des USA.
Cet élément est à mon humble avis à intégrer dans votre très intéressante réflexion sur la fiscalité.
Je ne me trouve pas que des points de désaccord avec les analyses de DC, au fil de ce débat sur la fiscalité, en effet fort intéressant.
Mais, sur un plan plus général, je mets en doute que ladite fiscalité, si elle dépend bien des mesures prises par la puissance publique, par ce que DC a la bonne grâce d’appeler, contre toute apparence, le pouvoir souverain, et si, enfin, elle émane, mécaniquement, de la nation toute entière, je doute, donc, que la dite fiscalité corresponde réellement à ses voeux, qu’il s’agisse des personnes, prises individuellement ou en groupe, comme de la collectivité nationale dans son ensemble.
En effet, le pouvoir dit « souverain » n' »émane » que fort théoriquement de la nation toute entière. Car l’arithmétique des votes et la mécanique des procédures qui lui permettent de s’exercer, aboutissent très évidemment à des résultats fort éloignés de ce que les Français souhaitent réellement.
Il est vrai que leur consentement à l’impôt n’a jamais été facile et qu’il l’est d’autant moins que les taux applicables aujourd’hui atteignent un niveau inacceptable. (Même si, en France, l’Etat apporte au citoyen plus de services qu’ailleurs). Au temps où les peuples étaient infiniment moins soumis à la « puissance publique » qu’ils ne le sont aujourd’hui, une telle ponction fiscale aurait suffi à soulever une révolution.
Peut-être en fait, les libertés sont-elles derrière nous, sans que grand monde s’en soucie.
Pour conclure, je suis en désaccord avec Antiquus sur des points ou principes essentiels :
– l’impôt doit aussi servir à la redistribution,
– la redistribution ne peut être exclusivement la résultante
d’un accord entre patronat et syndicats, à travers les
organismes sociaux, le rapport étant nécessairement
favorable au patronat, détenteur des moyens de
production, Antiquus prévoit lui-même la fin de la sécurité
sociale !
– ces deux points sont intimement liés à l’essence de l’acte
démocratique : le consentement à l’impôt par le peuple, et
à la naissance de la démocratie, au travers du rôle
essentiel des parlements, lever l’impôt. Ils relèvent avant
tout de la loi, norme juridique supérieure au contrat,
– raisonner en terme de gagnants et de perdants en
matière de fiscalité, est étranger à la notion de bien
commun. Oui, il y a des personnes qui peuvent contribuer
plus que d’autres, en fonction de leurs moyens et c’est la
société prise dans son ensemble qui est gagnante au
final, parce que plus équilibrée, économiquement plus
efficace (l’argent ne dort pas ou ne fuit pas à l’étranger
ou dans la spéculation) et socialement plus paisible et
plus juste.
– quant au chantage au civisme fiscal cela me paraît
quelque peu odieux. Que dirait on si chacun enfreignait la
loi au gré de ses propres intérêts ? La loi est la même
pour tous, la discuter, la modifier, cela se nomme la
démocratie. L’exercice de celle-ci, pour répondre à LORI,
peut être réformé, mais c’est un autre débat.
Ne pas respecter la loi, cela se nomme l’illégalité.
– vous dites que l’Etat ne doit pas systématiquement détruire le patrimoine des familles. Mais si par l’impôt, que vous contestez comme moyen de redistribution, les sociétés en fonction de leurs capacités contributives ainsi les flux de capitaux étaient davantage taxés, il se pourrait que les familles soient moins sollicitées.
– je ne dis pas que l’épargne excédentaire susceptible de financer l’emprunt d’Etat provienne essentiellement des ménages, je dis que parmi les bénéficiaires du bouclier fiscal qui pourraient tout à fait contribuer à l’effort fiscal national, il y en a sans doute qui contribueront mais d’une autre manière, à souscrire à l’emprunt, pour lequel la masse des contribuables « moyens » devra rembourser les intérêts.
Je suis d’accord avec DC sur le fait…que nous ne sommes pas d’accord. Cela n’a rien d’étonnant car nous appartenons à des courants opposés du royalisme français. Je voudrais cependant apporter quelques précisions:
1)D’abord si la sécurité sociale est en danger, ce n’est pas à cause « du patronat » mais au contraire à cause de l’incapacité d’une structure globalisante à maîtriser les dépenses.
2) Ensuite, je suis un peu surpris de m’entendre ressasser les théories sur la loi, expression de la volonté générale, sur le « libre consentement à l’impôt » et autres fariboles. DC devrait relire ce que Maurras et Bainville ont écrit sur ce sujet. Oui, le gouvernement républicain est partisan et discrimine les rigueurs de la loi, non, il ne représente pas le bien commun, sinon je ne vois pas pourquoi il faudrait être royaliste.
3) DC me fait la morale en parlant de chantage à la fraude, au nom de la démocratie, oubliant que je ne suis pas croyant à ces dogmes. Là n’est nullement la question, cependant. Il faut bien voir que nous agissons dans une économie internationalisée et que la France a consenti de nombreuses convention de non-imposition avec des pays étrangers. Le résultat est qu’en France, être ressortissant d’un de ces pays signifie bénéficier de privilèges fiscaux par rapport aux nationaux qui, au delà d’un certain seuil, n’ont de leur qualité de français que des désavantages. Il me semble que cen’est pas sain.
La question de l’impôt est devenue entièrement technique,
rendue tout à fait opaque aux contribuables comme aux représentants du peuple par son effroyable complexité.
La science fiscale est sans principes, la matière est entièrement dépolitisée, pour le plus grand profit des experts de l’administration fiscale et des techniciens.
Il y a peut-être dans ce chaos quelque chose comme une tâche nouvelle pour la philosophie politique.
Il semble qu’Antiquus ait un problème avec la loi, expression
de la volonté générale et la démocratie, mais il n’est pas
concevable d’envisager le Roi sans l’une, ni l’autre. Il faut
qu’Antiquus se fasse une raison, nous ne sommes plus avant
1789, et chacun a bien compris que le Roi permet de ne pas
tomber dans les travers des théories rousseauistes.
Le Roi n’est pas là pour dicter la loi, mais pour arbitrer et
fédérer, de sorte que la loi vise à l’intérêt général.
Je reprends le dialogue avec DC en espérant que ce n’est pas un dialogue de sourds. Ce qui est important dans sa dernière communication est selon moi: « nous ne sommes plus avant 1789 ». Comme je pense qu’il faut donner un sens à cette phrase, on ne peut l’interpréter comme un façon de dire « le passé est le passé ». Non, cela signifie que la révolution a changé, selon lui, quelque chose de fondamental dans la nature humaine, et qu’il serait vain de l’oublier. C’est effectivement ce sur quoi je ne puis tomber d’accord. La nature humaine est impossible à changer. Rien n’est définitif et s’il est vrai que l’Ancien Régime ne renaîtra jamais de ses cendres, les changements fondamentaux que la révolution prétendait avoir accomplis à jamais sont, eux, parfaitement réversibles. Aussi la démocratie idéologique et sa construction de la volonté générale instantanée ne méritent-elles pas d’être combattues parce qu’elles on jeté à bas un édifice civilisationnel vénérable, mais parce qu’elles sont fausses, tout simplement. Elles prétendent rendre compte de la réalité en la travestissant: ce n’est pas parce qu’une loi se prétend le bien commun qu’elle est autre chose que l’expression de l’oligarchie au pouvoir, comme il en a toujours été ainsi. A l’ égard de leur prétention, le traditionaliste ne peut que se montrer nihiliste. Surtout, je voudrais rappeler à DC que limiter la monarchie à une technique (arbitrage, fédération, conciliation etc) en acceptant la théorie de la volonté générale a déjà été tenté par l’orléanisme de 1830 à 1848. Malgré ses atouts, la dynastie s’est effondrée au premier choc, et personne n’a pris sa défense, tout simplement parce que si l’on accepte cette construction intellectuelle de la loi, expression de la volonté générale exprimée à l’instant « t », l’hérédité parce qu’elle dépasse la raison, est considérée comme non justifiée rationnellement. Elle est donc condamnée.
Poursuivons le dialogue avec Antiquus.
Tout d’abord, quant à l’interprétation de « nous ne sommes plus avant 1789 », j’entends trois choses: la société n’est plus celle des trois ordres (noblesse, clergé, tiers-état), chaque citoyen a le droit de voter ; la souveraineté ne peut être exercée sans le consentement établi, direct ou indirect de la nation; il existe une séparation souple des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, définit par une constitution écrite, approuvée par la nation. Cela n’empêche pas le Roi d’agir en prince chrétien, selon ses convictions, bien au contraire, étant au service de tous.
Je ne vois pas ce que la nature humaine vient faire là dedans, quand bien même il existerait une définition de la nature humaine.
Quant à la démocratie, ses formes et son exercice peuvent prêter à débat, mais il faudra toujours au moins une majorité de français ou de ses représentants, pour faire adopter une loi. A moins, qu’Antiquus, tel qu’il l’a déjà laissé sous entendre, imagine une société sans lois, basée uniquement sur le contrat. Mais dans ce cas, cela nous éloigne du bien commun. La somme des intérêts privés ne peut, par définition, avoir pour visée l’intérêt général, et la nation a besoin de règles communes.
Quant à dire que le pouvoir d’arbitrer, de fédérer, de concilier etc… n’est qu’une technique, cela est mal à propos.
Il ne s’agit pas d’une technique mais des devoirs du Roi, que lui seul peut exercer de par sa position unique, à la fois historique, mais émanant également de sa légitimité populaire. C’est précisément, parce que le Roi est héréditaire et non élu, qu’il est reconnu par la nation comme l’arbitre référent, indépendant des partis politiques, des clans, des lobbies et de tout groupe particulier, qui souhaiterait faire main basse sur l’Etat, pour ses propres intérêts.
Sans vouloir faire la leçon à Antiquus, je me permets de lui faire remarquer que son exemple de l’orléanisme de 1830 à 1848 est mal choisi. Pour faire une comparaison, encore aurait-il fallu que durant cette période le suffrage universel ait été institué. Ce n’est pas l’hérédité qui a été condamnée en 1848, mais l’absence de suffrage universel.
Cependant, je comprends qu’Antiquus ne puisse trouver d’exemples permettant de justifier ses arguments, dès lors qu’en France, le suffrage universel et la royauté n’ont à ce jour, encore jamais coexisté.
L’Europe nous montre que c’est possible et la France a suffisamment expérimenté de constitutions, pour un jour, le plus proche possible, pouvoir trouver le régime qui convient le mieux à son histoire millénaire, et au bien commun de tous les Français. Si Antiquus est royaliste, il doit se convaincre que ce n’est plus l’hérédité qui pose débat aujourd’hui, mais l’articulation entre l’exercice de la démocratie et l’action du Roi pour la recherche du bien commun.
Que l’on me permette de répondre en changeant l’ordre d’apparition dans l’exposé de DC
1.D’abord, il est faux qu’en France le suffrage universel et la royauté n’aient jamais coexisté. Les Etats généraux étaient élus par ordre, mais au suffrage universel puisque tous les chefs de feux (foyers) pouvaient voter. Même les femmes votaient si elles étaient chef de feu ou tenancière de fief. De plus les constitutions des premier et second empires appliquaient le suffrage universel. Du reste, si la monarchie de juillet avait reculé devant le suffrage universel, elle avait accepté que la souveraineté sorte de la personne royale, ce qui était le geste essentiel que la restauration, comme la monarchie anglaise, se refusaient à faire. Le suffrage censitaire, comme le vote plural, la pluralité de degrés, les seuils de présentation et le suffrage à deux tours ne sont jamais que des brides destinés à juguler les effets du suffrage populaire.
2.DC pose problème de la souveraineté d’une façon déjà ambigüe: il nous dit qu’elle «ne peut être exercée sans le consentement établi, direct ou indirect de la nation». Ce n’est pas ainsi que la Constitution actuelle (et ses précédentes) dispose : elle répète que la souveraineté appartient au peuple, point à la ligne. La formulation de DC peut parfaitement convenir, même pour parler de l’Ancien Régime, puisqu’aucun impôt nouveau ne pouvait être perçu sans le consentement des Etats généraux. Je suis donc parfaitement d’accord avec DC pour dire que l’on ne peut gouverner un pays (et pas seulement faire des lois) sans le consentement des gouvernés. Cependant, en disant cela, il s’écarte de la définition de la souveraineté du régime actuel (quoiqu’il en pense)
3.Ce sont justement ces présupposés philosophiques de la démocratie idéologique que DC semble ignorer ou laisser de côté, alors même qu’il utilise imprudemment la dialectique républicaine. Sa réflexion ingénue « Je ne vois pas ce que la nature humaine vient faire là dedans» en témoigne. Je lui propose de lire le livre d’Olivier Duhamel intitulé: «qu’est ce que la démocratie?» Olivier Duhamel y explique que la démocratie n’est pas une procédure juridique mais un processus, visant à substituer toujours plus profondément les décisions rationnelles issues d’une délibération personnelle aux acquis de la tradition, de l’hérédité et de l’histoire. Telle est la démarche de 1789 exprimée par Rabaud Saint Etienne consistant à créer une nation nouvelle, ne devant rien à l’histoire, mais à la seule volonté instantanée des citoyens. C’est donc bien l’hérédité qui était en cause en 1848. D’ailleurs la pairie héréditaire a été immédiatement supprimée. Cela s’appelle « changer l’homme ». Il est remarquable que tous les philosophes des lumières faisaient du changement de l’homme par les conditionnements un élément essentiel de leur doctrine. Donc tant que ces présupposés seront sous-jacents à nos structures, il sera vain d’espérer comme vous le faites un encastrement de la monarchie dans les institutions existantes. Il faut les détruire.
4.N’étant pas libéral, mais corporatiste, je ne pense pas que le contrat doive être la seule source du droit, mais également l’acte unilatéralou l’engagement vis-à vis de soi-même ni que les conventions soient conclues seulement entre individus. La loi intervient pour le surplus, pour ce que les personnes privées ne peuvent traiter.
Il est difficile de poursuivre un dialogue avec Antiquus qui mériterait de plus longues discussions et il ne faudrait pas monopoliser cet espace, à cette seule conversation personnelle, au détriment d’autres intervenants. D’autant que, beaucoup de points nous séparent.
Cependant, en quelques phrases :
– Les Etats généraux ne m’avaient pas échappé, seulement
comme le constate lui-même Antiquus, seuls les chefs de
feu pouvaient voter, certes parmi ceux-ci les femmes
également, mais il ne s’agissait pas de tous les Français,
en âge de voter, donc, ce n’était pas le suffrage universel,
et la société était celle des trois ordres, il n’y avait donc
pas égalité dans le vote, un homme, une voix, ce n’est
donc pas la démocratie dont je parle.
– Le suffrage universel et la royauté n’ont donc jamais
coexisté, et lorsqu’Antiquus parle des Empires, il s’agit
certes de monarchies, mais pas de la monarchie royale
capétienne dont nous parlons. Donc, il est clair que le
suffrage universel et la royauté en France n’ont jamais
coexisté.
– En ce qui concerne la souveraineté, il n’y a pas
d’ambiguité, car contrairement à l’Ancien Régime, la
monarchie royale dont je parle serait garante des
principes démocratiques ci-dessus énoncés. Pour ce qui
est du mot « appartenir », il est vrai à mon avis, que
celui-ci est mal choisi et peut porter à diverses
interprétations. Ainsi, le référendum pourrait être
permanent sur tout sujet si l’on appliquait stricto sensu ce
principe. Ce qui est fondamental, c’est que la
souveraineté ne puisse résider que dans le consentement
du peuple, exprimé à un moment ou un autre, que
celui-ci s’exprime directement (référendum) ou
indirectement ( représentants élus) et selon des principes
démocratiques. A ce titre, si une constitution instaurait
une monarchie royale, approuvée par référendum, l’on
pourrait dire effectivement, comme cela s’est passé en
Espagne, que le peuple souverain a décidé de confier au
Roi, un certain nombre de prérogatives, lui permettant
d’exercer une part de souveraineté dans les domaines
que l’on dit actuellement « réservés » au Président de la
République, et selon les modalités prévues par la
Constitution.
– il ne faut pas détruire les institutions existantes, mais les
transformer en conservant les acquis de 1789. La société
corporatiste que vous prônez n’est par définition, pas
démocratique. C’est bien là notre différence essentielle.
De plus, les structures actuelles ne sont plus celles du
XVIIIème ou du XIX ème siècle. Il y a essentiellement,
les salariés qui constituent au moins, les 2/3 de la
population. Comment voulez-vous bâtir des projets de
société avec des corporations, qui en plus auraient
nécessairement des intérêts divergents ? Vous êtes sans
doute maurassien, ce n’est pas mon cas, même si
Maurras a dit des choses vraies sur les bienfaits de la
monarchie royale.
Comme effectivement notre dialogue s’éternise, révélant des désaccords sur presque tout, et que nous ne pouvons annexer le blog, je répondrai seulement deux choses:
-le corporatisme ne doit pas être conçu comme la copie des corporations d’Ancien Régime, mais comme une auto-organisation de la société.
-Libre à vous de ne pas appeler une telle société « démocratique ». Vous optez donc délibérément pour la démocratie idéologique. Position, je vous le ferai remarquer, conservatrice du processus actuel. Or tout processus a une fin, notamment lorsqu’il a épuisé les décompositions qu’il effectue. Si vous vous rangez de son côté, vous serez hors d’état de vous adapter à la situation nouvelle qu’engendrera sa fin.
Je suis en effet attaché au principe démocratique, selon lequel tout citoyen partout où il se trouve et quelque soit la structure, représente une voix. Que par ailleurs, le processus décisionnel s’établit sur la base d’une majorité de votes favorables. Si c’est cela la démocratie idéologique, alors oui, je le revendique. L’auto organisation, est à ce jour un concept à définir (autogestion, nationalisation des entreprises privées et redistribution des parts ou actions aux salariés avec démocratie économique ?). Franchement, Antiquus, tout le monde va vous suivre si vous prônez cette révolution royale, mais il faudra toujours néanmoins des groupes politiques pour construire des projets politiques et voter dans un parlement.