Développement durable au Sénégal.
L’eau vive des Carmes, par Sophie Le Pivain (2/2).
(Pour accéder au site: http://www.carmel.asso.fr/Couvent-de-Kaolack.html ou http://www.lescarmesausenegal.org/ ).
Franche coopération avec les chefs de village et amitié avec les habitants.
En attendant, le Carmel de l’Enfant-Jésus, qui abrite la petite communauté -quatre Frères français, un novice venu de Guinée, et un jeune « regardant » Sénégalais-, s’est installé dans une maison de location dans la ville de Kaolack, a quinze kilomètres de leur terrain. Frère Luc-Marie, parfois accompagné ou relayé par ses Frères, se rend là-bas régulièrement pour s’occuper du projet. Il est devenu persona grata dans les villages.
Lorsqu’ils aperçoivent son 4×4 Pajero, des grappes d’enfants rieurs courent au-devant de lui en criant: « Luc! Luc! ». L’un d’eux, né depuis son arrivée, porte même son prénom. Quant aux chefs de village, ils lui donnent une franche poignée de main et devisent sérieusement avec lui. Il confie même avoir noué des liens d’amitié avec certains, comme Amadou, un jeune homme solide à la mince silhouette et aux traits fins.
Grâce à lui, entre autres, il a découvert la « Teranga » sénégalaise. Pour le prieur, « au Sénégal, la fraternité, l’entraide, la solidarité sont quelque chose de particulièrement sacré. On appelle cela la Teranga, qui signifie « accueil » en wolof. Parmi les grandes richesses de l’âme africaine, la plus belle est, sans doute, ce sens de l’amitié ».
Aujourd’hui Amadou, ce tout jeune père de famille de Keur Gallo, le village le plus proche, a l’un des premiers CDI locaux que le projet ne manquera pas d’engendrer. Depuis l’avancée des travaux, il est le gardien du terrain, où il a même sa case. Il peut ainsi surveiller la croissance des jeunes arbres de trente espèces locales que les Frères ont plantés l’année dernière, dans un programme de reboisement, et qui prospèrent grâce à un ingénieux système de goutte-à-goutte pompé dans le forage.
L’aventure est loin d’être terminée.
Avec l’acheminement de l’eau, beaucoup de perspectives sont ouvertes: la communauté espère améliorer la condition des femmes, qui disposeront de plus de temps, l’éducation des enfants, la formation professionnelle des jeunes, et l’activité économique. Les habitants ne s’y sont pas trompés, eux qui ont fait cadeau du terrain au diocèse. Lorsqu’un projet de monastère a été évoqué, ils ont envoyé quelques uns des leurs au monastère bénédictin de Keur Moussa, fondé par l’abbaye de Solesmes en 1961. pour voir ce dont il s’agissait. De retour, ils étaient unanimes: « Si c’est cela, ça vaut le coup ! ».
C’est aussi ce qui a séduit la Coopération française, qui a financé 75% des 16.000 euros nécessaires au forage, après avoir vérifié qu’il correspondait bien aux critères sévères qu’elle impose. L’une des plus grosses subventions accordées la même année.
Si les travaux se passent comme prévu, le château d’eau sera solennellement inauguré en mai, en présence de l’évêque, de l’ambassadeur de France, et d’autres personnalités civiles et religieuses locales.
Mais l’aventure est loin d’être terminée. Car si l’eau du forage est bactériologiquement pure, elle affiche un taux de fluor excessif: 4,5 mg par litre, trois fois plus que les recommandations de l’OMS pour l’eau de boisson, avec des conséquences désastreuses pour les enfants: elle teinte les dents en noir, et fragilise les os pouvant entraîner arthrose, rhumatismes articulaires, rachitisme, et parfois handicaps moteurs ou débilité mentale. Jusqu’à présent, aucun système de traitement de l’eau fluorée n’a jamais été mis en place dans les huit cents forages sénégalais concernés. Faute d’investigation technologique, faute de moyens, faute aussi, de l’aveu même d’un acteur local, de savoir regarder loin vers l’avenir.
Un projet qui pourrait faire boule de neige.
Les religieux, eux, ont l’éternité pour seule perspective, et ne comptent pas leurs efforts. « La santé des populations doit être une priorité absolue, quels que soient les efforts que cela suppose », estime Frère Luc-Marie. Grâce à son carnet d’adresses devenu épais depuis son arrivée au Sénégal, le prieur a franchi un pas de plus dans l’initiative technologique, jusqu’à rentrer en contact (ci dessous) avec Courfia Diawara, scientifique sénégalais, maître de conférence à l’université de Dakar, et spécialiste d’une technique de traitement des eaux.
Le projet des Frères pourrait bien donner corps au rêve que le scientifique caresse depuis plusieurs années: prouver que la nanofiltration, déjà utilisée partout dans le monde pour le traitement des eaux, l’électricité, l’industrie automobile, peut remédier au problème du fluor. Dès leur rencontre, Courfia, que Frère Luc-Marie appelle amicalement par son prénom, a organisé au Sénégal un grand colloque sur l’application au fluor de cette technique de pointe. Touchée par le projet des religieux, l’entreprise leader mondiale de la nanofiltration a proposé de financer la machine de filtration, avouant toutefois son scepticisme. Qu’à cela ne tienne ! Avec l’aide d’une compagnie aérienne amie, les Frères ont envoyé par avion un échantillon de leur eau. A l’examen, en présence de Courfia, les résultats ont dépassé les espérances…..
Assis dans son bureau de l’université qui jouxte le laboratoire, le scientifique jubile, sous son air grave, à l’idée que son pays pourrait ainsi venir à bout de la fatalité à laquelle semble s’être résolu décideurs politiques et entrepreneurs. « Nous ne sommes jamais allés aussi loin. Plus qu’une victoire, ce serait le début d’une grande aventure pour le Sénégal, explique-t-il. Si nous menons le projet à terme, il y a de fortes chances pour que cela produise un effet boule de neige. » Sa plus grande fierté, s’il éradiquait ce problème de santé publique, serait de rendre service à son pays, ce qu’il a investi dans son éducation.
Mais voilà, une fois filtrée, l’eau coûtera plus cher. Jamais à court d’idées, le religieux ont fait appel a Lamine Ndiaye, à la tête d’une entreprise d’installation d’éoliennes, espérant faire baisser le coût énergétique. Celui-ci a installé à un prix concurrentiel des anémomètres pour évaluer, selon la puissance du vent, l’intérêt de cette énergie renouvelable sur le terrain des Frères. Verdict dans un an. Dans sa djellaba blanche, le Sénégalais à la carrure imposante sait la raison de son geste envers les Frères de Kaolack:
« J’ai été touché par l’aspect religieux du projet. Pendant que les musulmans offrent des sacrifices, les congrégations catholiques installées depuis longtemps au Sénégal œuvrent toujours beaucoup pour le développement durable. Je vous le dis en tant que musulman ». (fin).
Henri sur Journal de l’année 14 de Jacques…
“D’abord nous remercions chaleureusement le Prince Jean de ses vœux pour notre pays et de répondre…”