Philippe Dufay a eu la bonne idée de faire dialoguer Alain Fikielkraut et Eric Orsenna (1). « Leur existence, leur engagement leur dernier livre… Tout les réunit dans la défense de la culture, de la transmission. Aux maux qui appauvrissent la civilisation, l’académicien et le philosophe opposent le pouvoir des mots », écrit-il joliment.
Et cela nous vaut un – très – bon moment. Extraits….
Dès le début, le ton est donné: on va parler de l’amour de la langue et de l’angoisse devant les difficultés grandissantes de sa transmission. On démarre très fort: Finkielkraut cite ce mot superbe de Lévinas: « Ce qu’on dit écrit dans les âmes est d’abord écrit dans les livres » et veut montrer « ce que nous perdrions si… nous décidions de nous soustraire définitivement à cette conversation avec les morts, si nous allions jusqu’au bout de cette émeute contre les morts qui caractérise notre temps ».
Et Orsenna, qui approuve (« On se prive d’un chef d’oeuvre de douze siècles »), rebondit à la question de Philippe Dufay: « Mais qui est- ce on ? » : « Le climat général. Vous savez, on dit qu’il y a un réchaufffement de la planète, mais il y a aussi un refroidissement de la pensée ! »
Finkielkraut redit ce qu’il avait déjà exprimé en d’autres circonstances. Et qui vaut, évidemment, la peine qu’on y revienne, qu’on y repense, et qu’on y réflechisse:« J’ai peur que ce « on » n’ait quelque chose à voir avec le régime hyperdémocratique dans lequel nous sommes entrés. Nous devons cultiver cette passion démocratique par excellence qu’est la passion de l’égalité. Mais l’emballement de la passion égalitaire nous inquiète aussi, car si l’égalité règne sans partage, alors il n’y a plus de place pour la transmission, qui est fondée sur une dissymétrie, il n’y a plus de place pour l’admiration, et la langue elle-même peut apparaître, dans ce qu’elle a d’antérieur et d’extérieur au sujet, comme une sorte de carcan, et c’est ce qui se passe….
Orsenna reprend: « Évidemment, je suis passionnément démocrate; évidemment, je vois en voyageant ce que sont les mondes sans démocratie. Mais, de même qu’une finance est nécessaire à l’économie, un emballement de la finance tue l’économie. De même que la démocratie est nécessaire à la civilisation, un emballement de la démocratie tue la civilisation. Est-ce que le développement durable, qui implique le long terme est compatible avec la démocratie, qui est mise en tyrannie par le court terme ? »
Et, plus loin, Orsenna aura encore ce mot: « Et la santé mentale, c’est quand même le réel, non ? »
Nous ne partageons que modérément la passion démocratique, lorsqu’elle est idéologique et révolutionnaire, comme c’est le cas en France. Mais, n’est-ce pas, au fond, ce que disent, ce que veulent faire entendre, les deux interlocuteurs, avec toutes leurs réserves, toutes leurs restrictions … C’est nouveau, ou presque nouveau. Il faudra sans-doute s’y habituer, à cette « remise en cause ». …Passionnant, non ?….
(1): Le Figaro Madame, 31 octobre 2009.
Non, l’écologie n’est pas compatible avec la démocratie et c’est tant mieux!
D’abord, l’écologie signe la fin de l’idéologie du progrès : l’avenir, désormais, est plus porteur d’inquiétudes que de promesses. Dans un climat général d’effondrement de la pensée critique, l’écologie est d’autre part l’un des rares courants de pensée qui osent affronter de plein front l’idéologie de la marchandise et tentent de dénoncer l’idéal productiviste du capitalisme moderne.
Par là même, l’écologie rend obsolète le vieux clivage droitegauche :refusant le libéralisme prédateur au même titre que le « progressisme » marxiste, elle est en même temps révolutionnaire par sa portée comme par ses intentions.