Que savons-nous de la Russie ? Ceux qui ne parlent pas la langue et qui ne voyagent pas dans le pays sont tenus dans l’ignorance ou sont victimes de la désinformation des grands médias : à la télévision, dans les principaux quotidiens, c’est toujours le même discours polémique contre Vladimir Poutine assorti de la promotion de politiciens marginaux – le pays étant supposé vivre de la rente pétrolière.
Pour en finir avec ces caricatures, la Nar a demandé (1) à Jacques SAPIR, directeur d’études à l’EHESS, économiste et géopoliticien, spécialiste de la Russie, de venir traiter le sujet suivant: « Les problèmes réels de la Russie d’aujourd’hui ».
Comment qualifier le pouvoir politique russe ? Quelles sont ses contradictions internes ? Comment l’économie russe a-t-elle évolué après le krach de 1998 ? Comment les autorités politiques, les entrepreneurs et les banquiers ont-ils réagi à la crise mondiale ? Quelles sont les principales transformations de la société russe depuis la fin de l’Union soviétique ? Quel est le projet russe en Europe et dans le monde ?
(1) : Mercredi 17 février, 17, rue des Petits-Champs, Paris 1er, 4e étage. La conférence commence a 20 heures très précises (accueil a partir de 19 h 45 – Fermeture des portes a 20h15 – Entrée libre, une participation aux frais de 1,50 euro est demandée), elle s’achève vers 22 h. Un dîner amical est alors servi pour ceux qui désirent poursuivre les discussions (participation aux frais du dîner : 5 euros).
Attention : Mercredi 24 février et Mercredi 3 mars – Pas de réunion en raison des vacances d’hiver.
« J.Sapir est un ardent propagandiste de l’alliance franco-russe qui fut, comme on sait, le catalyseur de la première guerre mondiale et de leurs glorieuses héritières, la révolution bolchevique et la deuxième guerre mondiale. A l’heure où la France arme la Russie pour ses entreprises de reconquête, bazarde la cathédrale de Nice jadis octroyée au Patriarche Œcuménique de Constantinople et mendie des rafistolages gaziers, il importe évidemment d’adoucir l’image mafieuse de l’empire poutinien colportée par les « démocrates ». Depuis 1870 la France espère de la « Sainte Russie » un appui contre ses ennemis (?), les ressources inépuisables de la barbarie et…un supplément d’âme. La Russie chère à la droite française combine deux mythes français du XVIIIe siècle, celui du despote éclairé, avec ses thuriféraires soudoyés, et celui du « bon sauvage », ses poètes et ses romanciers. Le cher Léon Bloy attendait
déjà « les cosaques et le Saint-Esprit, ignorant apparemment que les mêmes cosaques avaient envoyé dans un monde meilleur 100 000 juifs et
quelque 400 000 catholiques polonais sous le slogan » Youpin, Polaque et chien, même foi ». Ce qui sous-tend la russophilie de la droite française, c’est, outre un ressentiment parfois justifié envers les vices de la démocratie, un culte servile de la force qu’on n’a plus et une fascination pour l’énorme et l’irrationnel qu’on crédite d’on ne
sait quelles potentialités sublimes. La gauche classique, de Michelet ou Hugo, abominait la Russie impériale parce qu’elle n’était pas à l’image de la République française, la droite l’exaltait pour la même raison. L’une et l’autre péchaient par paresse et ignorance. Mais il et vain de vouloir corriger ce qui relève d’un acte de foi et la Russie,
comme l’Islam, trouve un terrain d’expansion facile dans un pays qui a cessé de croire en lui-même et attend « ex oriente lux ». .
Face à l’affirmation planétaire de l’hégémonie américaine, Poutine critiquet sous le nom de « monde unipolaire » ce que les Américains appellent le « Nouvel Ordre mondial », et y oppose les contours d’un monde résolument multipolaire.
« Le modèle unipolaire n’est pas seulement inadmissible pour le monde contemporain, déclarait-il, mais il est même tout à fait impossible » ». Ces propos revenaient à affirmer avec force qu’il n’existe pas, à l’échelle mondiale, de normes et d’intérêts pouvant fonder l’unipolarité, c’est-à-dire à refuser la thèse d’une dépolitisation des relations internationales qui conduirait à les réduire aux « droits de l’homme « et aux » lois » de l’économie.
Par la suite, Poutine n’a cessé de redire que le seul droit commun possible est celui qui respecte la souveraineté de l’autre, c’est-à-dire un droit de coordination, et non de subordination.
D’où l’importance donnée par la Russie de ce que le chef de l’administration présidentielle, Vyacheslas Surkov, a significativement appelé le concept de « démocratie souveraine », notion associant étroitement souveraineté politique et souveraineté économique.
On sait d’ailleurs que la Russie a été le premier pays à décider de rembourser ses dettes par anticipation afin de se dégager de la tutelle du Fonds monétaire international (FMI).
Lors d’une conférence de presse tenue dans sa résidence de Sotchi, sur la mer Noire, Poutine a eu ces mots révélateurs : » Aujourd’hui, il n’y a plus beaucoup de pays dans le monde qui soient encore souverains. On peut les compter sur les doigts d’une main « . Excellent stratège et calculateur froid, Poutine sait ce que représente la souveraineté.
C’est une chance pour l’Europe de voir aujourd’hui la Russie militer pour un monde « multipolaire » qu’elle n’a pas la volonté ni le courage de défendre elle-même.
J’ajouterai que l’Europe a besoin d’une Russie forte, ayant retrouvé son statut traditionnel de grande puissance pour échapper à toute forme de tutelle ou d’ingérence extérieure.
Son intérêt politique et géopolitique réside dans un partenariat aussi étroit que possible avec une Russie dont elle est complémentaire sur le plan économique et technologique.
L’Europe doit se désengager définitivement de l’Occident pour se tourner vers l’Est. Qu’elle semble aujourd’hui choisir la route inverse ne change rien à cette urgente nécessité.
L’Europe se retrouve prise dans le même bloc continental que les Russes face à la puissance maritime américaine.
La Russie est aujourd’hui le coeur du continent eurasiatique, le heartland dont parlent les géopoliticiens-qui contrôle le heartland contrôle le monde.