(Le Figaro, vendredi 14 mai 2010)
Il y a 400 ans, jour pour jour, rue de la Ferronnerie, à deux pas du futur Forum des Halles, le « bon roi Henri » tombait sous le poignard de Ravaillac. Aujourd’hui, reconnaissant que « l’histoire de la France moderne n’a pas commencé avec la Révolution de 1789 », la République tient à l’honorer et souligner l’importance de ce règne dans notre histoire. C’est à Rome, le 11 décembre dernier, que fut lancée l’année Henri IV. J’avais tenu à être moi-même présent à cette cérémonie pour rappeler le rôle de la Maison de France dans la construction de la France actuelle.
Ce qui ne s’est pas fait sans peine ! C’est à la pointe de l’épée qu’Henri IV a dû faire reconnaître sa légitimité. Plus qu’entre catholiques et protestants, la vraie fracture de la France était alors entre un parti espagnol – maître d’une partie du territoire, dont Paris – et le parti français. La « loi salique » avait mis fin aux conflits de légitimité grâce à un principe de succession admis par tous : elle a rendu le pouvoir indépendant des partis et des puissances financières, tout en garantissant qu’il demeure entre des mains françaises. Seule cette volonté déterminée a permis d’assurer ce qui a toujours été le principal souci d’Henri IV comme de ses prédécesseurs et successeurs : l’unité des Français. On sait comment le roi Henri, avec son célèbre panache blanc, son étonnante vitalité, sa capacité sans égale à entraîner les hommes et fédérer les énergies, a rendu à une France déchirée, exsangue, le goût du « vivre ensemble ». Il l’a fait notamment à travers l’édit de Nantes, affirmant la distinction des pouvoirs politique et religieux, ouvrant ainsi la porte aux dimensions positives de la laïcité.
Le titre de duc de Vendôme, qu’avait porté Henri de Navarre, le sera aussi par le futur Louis XVIII. Le rapprochement vaut d’être souligné. Sortant de la tempête révolutionnaire et napoléonienne, les Français ressentaient un besoin de réconciliation. Comment Louis XVIII n’aurait-il pas pensé à son ancêtre, confronté à une situation analogue ? Il lui élèvera une statue – celle-là même que la République va honorer le soir du 14 mai – dans un lieu emblématique : le Pont Neuf. La conception alors révolutionnaire de ce pont, dépourvu d’habitations et doté de trottoirs de pierre, est due au roi Henri. Elle exprime sa détermination à créer des liens, à relier des rives opposées, à briser les antagonismes pour imposer la paix civile et l’unité. A cette fin, il a mobilisé toutes les ressources de sa bonhomie, de son naturel affable, de son bon sens, merveilleusement servi par un humour décapant qui nous vaudra l’étonnante profusion de bons mots que nous connaissons.
Ce prince de naissance et d’éducation, rompu à toutes les habitudes et disciplines de son rang, a su à un suprême degré allier le sang royal et le sens du peuple : mieux qu’aucun autre, il incarne l’idée de monarchie populaire. Prince moderne et réformateur, son action au tournant de deux siècles reste une source d’inspiration pour la politique d’aujourd’hui. Son soutien à l’agriculture, popularisé par son mot sur la « poule au pot », comme celui qu’il a apporté aux entreprises industrielles et commerciales en s’appuyant sur les techniques les plus contemporaines, préfigurent les meilleurs aspects des interventions de l’Etat aujourd’hui. Il en va de même pour sa réforme de l’enseignement et sa politique culturelle.
Au commencement de l’année 1600, le roi dit à Charles-Emmanuel Ier, duc de Savoie : «Si Dieu me donne encore de la vie, je ferai qu’il n’y ait pas de laboureur en mon royaume qui n’ait moyen d’avoir une poule dans son pot.»
Ce n’est pas le moindre paradoxe que cet « homme pressé » – ce qu’attestent ses aventures féminines, mais aussi le pressentiment qu’il avait de sa mort prochaine – fut en même temps un homme du « temps long ». A plus d’un titre. Fondant une nouvelle branche de la Maison de France, les Bourbons, il identifiait sa légitimité à cette continuité familiale ancrée dans la construction de la France. Roi bâtisseur, il
jeta à Paris les bases d’un nouvel urbanisme. Et tandis que son ministre Sully n’y voyait déjà que « quelques arpents de neige », il fut visionnaire quant à l’avenir de l’Amérique.
Cet homme d’action eût-il apprécié nos commémorations ? Ce qu’il attendrait surtout de nous, c’est que nous nous inspirions de son exemple, que nous appliquions ses méthodes, que nous adhérions à son regard sur la France. La principale leçon que je retiens de lui, c’est cette volonté obstinée de recréer le lien des Français entre eux, de bousculer leurs inévitables divisions religieuses, politiques ou sociales en leur faisant comprendre en quoi leur passé et leur présent engage déjà leur avenir.
« Vive Henri Quatre,
Vive ce roi vaillant… »
Des Français, dans « Guerre et Paix », font apprendre cette chanson à des Russes qui répètent sans comprendre
« Vivarika
Viva sarou valou… »
Vos illustrations sont souvent superbes. Elles ne font pas qu’illustrer, elles vivifient les textes. Bravo et merci !
Ces illustrations sont effectivement soigneusement choisies, et avec perspicacité, elles s’inscrivent dans une trilogie que la Providence pourrait bien exaucer.