Avant-hier, nous avons réagi aux propos tenus le matin même, sur France inter, par Bernard Guetta, et nous posions la question: « Les marchés » nous mènent-ils à plus d’Europe ?
Nous laissons maintenant la parole a Hilaire de Crémiers -aujourd’hui- et à François Reloujac, après-demain. Leurs deux textes, que nous reproduisons intégralement ici, sont parus dans le numéro 85 (mai 2010) de Politique Magazine.
Voici L’Europe ou le chaos, par Hilaire de Crémiers.
L’Europe ou le chaos…
Il ne semble plus possible d’arrêter la tempête…Les dettes souveraines posent inéluctablement la question de la souveraineté des États.
Le compte à rebours a commencé. Question de semaines, de mois ? peut-être de jours ? Impossible de le dire au moment où ces lignes sont écrites. Quand elles seront lues, début mai, peut-être en effet la Grèce sera-t-elle tout simplement en défaut de paiement. Voilà deux ans déjà que dans les analyses de Politique magazine le risque sur les dettes souveraines est signalé1 et voilà quelques mois qu’à chaque parution il est dit que ce risque s’aggrave. Interdisant concrètement les prétentions d’un volontarisme politique qui n’a plus les moyens institutionnels, pratiques, financiers, monétaires même, en tout cas humains, d’assurer les objectifs d’une quelconque politique souveraine de salut national. Et pour quelque pays que ce soit dans la zone euro. Les discours politiques, les prospectives économiques, les plans et « re-plans » sont réduits à l’états de mots.
La dette grecque
La Grèce va donc succomber sous le poids de sa dette. À l’heure où s’écrivent ces lignes, le directeur général du Fonds monétaire international (FMI), Dominique Strauss-Kahn, et le président de la Banque centrale européenne (BCE), Jean-Claude Trichet, sont à Berlin pour convaincre Angela Merkel, la chancelière allemande, d’accepter le plan d’aide à la Grèce, concocté par l’Union européenne, la BCE et le FMI. Le montant de ce plan ne cesse tous les jours d’être réévalué à la hausse. À l’heure d’aujourd’hui, il faudrait 45 milliards d’euros pour couvrir les seuls besoins des jours, des semaines, des mois qui viennent, et de toute façon au moins la moitié avant le 19 mai, prochaine échéance grecque ; mais sur les trois ans qui s’annoncent de plus en plus tragiques, les chiffres doublent, triplent, voire quadruplent. Alors ?
Le FMI est prêt à verser 15 milliards quasi tout de suite pour entraîner la décision des chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne, mais aussi et surtout l’adhésion des hommes politiques et des représentants de chacune des nations qui devront voter ou plus exactement entériner un tel plan… En pure perte ?… Même s’il est affirmé et répété haut et fort qu’il ne s’agit que de prêts et qui, placés à 5%, rapporteront gros aux États prêteurs ! Il y a de mauvaises blagues, même dites par de savants économistes, qui ne passent pas ! La plupart des hommes politiques français qui se sont enferrés dans l’Europe telle qu’elle a été fabriquée, se trouvent coincés, droite gauche confondues. Même un Fillon qui, il y a 15 ans, comme son maître Seguin, était contre l’Europe de Maastricht, a rallié et complètement. Aujourd’hui, c’est la carte forcée. Et que peut dire le Parti socialiste sur cette affaire ? Rien !
Le nouveau ministre du Budget, François Baroin, a expliqué doctement aux parlementaires français, mercredi 28 avril, que l’euro était notre monnaie nationale et qu’il n’y avait donc plus qu’une seule solution, aider la Grèce, sinon notre monnaie succomberait. Voilà la situation ! Et de fait. Donc, l’État français, donc les parlementaires français sont dans l’obligation d’apporter la quote-part de la France, estimée pour l’heure à 6,3 milliards pour commencer. Et Baroin d’ajouter pour être plus convaincant : ce sera de plus une très bonne affaire, un prêt juteux, comme celui fait aux banques en 2008 ! Il faut le faire… Mais voilà cinquante ans que la classe dirigeante française est gavée d’européisme : l’Europe était, est encore leur seule politique.
Mais si Trichet et Strauss-Kahn – deux Français complètement engagés, y compris dans leur honneur de hauts responsables – ont couru à Berlin, c’est que les Allemands sont moins crédules ! L’Europe fut pour eux d’abord une très bonne affaire allemande. L’Allemagne, grâce à l’Europe, a retrouvé toute sa stature. Les parlementaires allemands ont beaucoup de mal à marcher dans une opération perdante ; d’autant plus que la quote-part prévue est la plus importante : 8,6 milliards immédiatement. Les Allemands n’atermoient pas seulement pour des raisons électorales, au motif que des élections régionales auront lieu le 9 mai. Dès le début, ils savaient fort bien qu’ils n’iraient pas au secours d’un pays en faillite. C’était le sens qu’il convenait de prêter aux propos ambigus de Wolfgang Schaüble, le ministre des Finances de la République fédérale : « Les Allemands ne peuvent pas payer pour les erreurs des Grecs ». Le ministre des Affaires étrangères, Guido Westerwelle a, quant à lui, carrément déclaré : « L’Allemagne n’est pas prête à faire un chèque en blanc à la Grèce ». Le « oui » d’apparence de la Chancelière aux injonctions européennes et aux objurgations de Sarkozy ces derniers temps n’étaient que pour couvrir un « non » fondamental. D’où ses réticences et ses contradictions. Et il est plus que vraisemblable, malgré tout ce qui se dit aujourd’hui, que c’est ce « non » fondamental qui va éclater dans les prochains jours – et peut-être même encore après un premier « oui » des parlementaires –, au prétexte ou au motif que les Grecs ne se seront pas assez engagés dans une politique de rigueur. Dans l’imbroglio actuel, chacun cherchera à faire porter la responsabilité de l’échec et de la crise à l’autre ?
L’enclenchement
Les Grecs auront dans un premier temps tous les torts. D’autant plus que le peuple grec n’est pas prêt du tout à accepter, à supporter les remèdes que les experts lui mijotent. De l’Europe, de l’Allemagne et du FMI, les Grecs déclarent déjà qu’ils n’ont rien à faire. Ce sont leurs hommes politiques qui y ont cru, pas eux ! Voilà des réflexions qui vont s’entendre bientôt dans toutes les nations d’Europe. Inutile de reprocher aux Grecs leur tricherie : tout le monde a triché pour entrer dans l’euro, sauf peut-être justement les Allemands. Tout simplement parce que c’était leur monnaie.
Les responsables politiques et financiers européens sont angoissés. Ils ont raison de l’être. Ils s’imaginent encore qu’ils vont calmer le jeu terrible, implacable, qui se joue contre l’euro et la zone euro. En vain. Les marchés anticipent la crise, et la spéculation qui s’en est donnée à cœur joie, refusera dorénavant le risque. Les investisseurs, même habituels, se déroberont. L’enclenchement est inéluctable. Ça durera ce que ça durera. La déroute financière est là. La dette grecque est désormais cataloguée comme « pourrie ». Et Strauss-Kahn et Trichet de déclarer que les agences de notation n’ont pas à faire la loi. Il fallait s’en rendre compte avant ! Et Standard & Poor’s se moque bien de leurs appréciations : elle garde les siennes. Elle a dégradé la note souveraine du Portugal de A+ à A- et voici le tour de l’Espagne. La panique s’empare des bourses européennes. L’Italie, l’Irlande, la France suivent. Qui arrêtera la tempête ? Les taux obligataires, surtout à court terme, vont tellement monter que les dettes ne seront bientôt plus négociables. L’effet domino va jouer d’autant plus que les institutions financières et les banques européennes sont largement exposées sur ces dettes souveraines ; rien que pour la dette grecque, 31 milliards en Allemagne, 51 milliards en France, à première vue ! Autant d’actifs, dits toxiques, pour demain.
Voilà pourquoi ils sont quelques-uns à tout faire pour sauver la Grèce. Le président du Conseil européen, Herman van Rompuy, réunit un sommet des pays de la zone euro le 10 mai. Mais n’est-ce pas déjà trop tard ? Et que peut faire ce Conseil ? L’Europe n’est plus qu’un champ de ruines. Les Anglo-saxons, d’ailleurs, s’en amusent et spéculent à fond sur cette ruine. Les nations européennes ne pourront plus que reprendre, autant que faire se peut, la direction de leurs intérêts. La réalité s’imposera. Il n’y aura plus de plans de sauvetage. Les plus clairvoyants envisagent déjà ce que l’on appelle élégamment une restructuration de la dette grecque, autrement dit, une annulation, sinon totale, partielle, c’est-à-dire encore une sortie prochaine de la zone euro… et ensuite ?
La réalité politique, économique et sociale des peuples, trop longtemps niée par les idéologues, explose aujourd’hui à la face des dirigeants. Et cela au moment où une Belgique, elle-même explosée par des idéologies partisanes mortifères, doit prendre la direction de l’Europe. Le chaos, voilà le beau résultat des politique menées toutes ces dernières décennies. Ce à quoi on assiste en France, à tous les niveaux, ne rend que plus éloquente une leçon qu’il faudra bien un jour se décider d’entendre. ■
1 Le numéro 3 de Politique magazine de novembre 2002 avait pour titre de couverture : Crise, année zéro ? et le numéro 55 de septembre 2007 : Finance contre économie ? soit un an avant la crise de 2008.
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