Nous avons appris, tardivement, le décès de Thomas Molnar, survenu aux Etats-Unis, le 26 juillet. Nous avions, avec lui, beaucoup de liens, de souvenirs, et, surtout, une profonde amitié d’esprit.
Nous publions, aujourd’hui, un excellent hommage de Michel Fromentoux, dans Action Française 2000. L’essentiel y est dit. Mais notre contribution propre consiste, ici, à donner à voir et à écouter une conférence de Molnar, tenue à Marseille, pour l’Union Royaliste Provençale, dans les années 80. Une de celles qu’il y donnait chaque année.
Sa qualité technique n’est pas fameuse. Mais il existe, sans-doute, peu de documents vidéo de cette époque, permettant de retrouver vivante la personnalité, la parole même, la pensée, si attachante, l’extrême lucidité de Thomas Molnar. Nous en possédons une seconde. Nous la publierons, aussi, un jour prochain. La réflexion de Thomas Molnar, en effet, n’a pas fini de nourrir et d’enrichir la nôtre, encore aujourd’hui. C’est ainsi que notre communauté d’esprit et de tradition se prolonge, vivante, à travers les années et les situations … Lafautearousseau
Thomas Molnar par Michel Fromentoux
Soulignant les contradictions dans lesquelles se perdent les faiseurs de systèmes, Thomas Molnar souffrait de voir les puissances intellectuelles et même religieuses trop absorbées par l’esprit de la modernité..
Notre ami le philosophe Thomas Molnar a rendu son âme à Dieu le 20 juillet dernier à Richmond (Virginie). C’est avec tristesse que nous apprenons la nouvelle de l’extinction d’une des trop rares grandes voix qui s’efforcent de faire comprendre au monde dit moderne qu’il court à sa ruine. Nous nous souvenons des articles sévères mais jamais désespérés qu’il nous donnait régulièrement dans Aspects de la France puis L’Action Française hebdo dans les années 80-90, ainsi que des conférences passionnantes qu’il prononça à l’Institut d’Action française, à Paris. Jamais il ne refusa d’apporter son concours au combat que nous continuons de mener envers et contre tout.
Au carrefour de l’Est et de l’Ouest
Cet observateur attentif des idées et des mœurs était né à Budapest le 26 juin 1921, avait passé sa jeunesse en Transsylvanie, puis en Belgique, et avait dû s’exiler aux États-Unis où il enseigna dans plusieurs universités dont celle de Long Island et de Yale. Grand ami de la France dont il parlait impeccablement la langue, il avait épousé une Allemande, aimait passer ses vacances en Espagne, et participait à des colloques dans le monde entier. En 1969, il donna des cours à l’université de Transvaal, et devint en 1985 docteur de l’université de Mendoza en Argentine. Cet homme ouvert à l’universel était tout le contraire d’un mondialiste. En disciple brillant de Joseph de Maistre et de Charles Maurras, cet ami de Georges Bernanos savait quel trésor représentent pour l’humanité entière les apports enracinés profondément dans chaque nation historique. Dès qu’il put rentrer dans sa Hongrie natale libérée du joug du communisme, il accepta avec joie d’enseigner à l’université catholique de Budapest, tout en gardant sa chaire à l’université de Yale.
C’est durant ces années qu’il se manifesta comme un combattant intrépide de la tradition catholique, dénonçant à chaque occasion l’esprit de la Révolution et ses conséquences dans la société et dans l’Église elle-même : on le lisait alors, outre L’Action Française, dans Itinéraires, Monde et Vie, Rivarol, plus tard dans Catholica… et ses articles aidaient à toucher du doigt les contradictions dans lesquelles se perdent, hors de tout fondement dans la tradition, les faiseurs de systèmes. La liste de ses ouvrages publiés entre 1970 et 2000 est en elle-même tout un programme d’assainissement des esprits. En voici quelques uns : La Contre-Révolution (coll. 10/18), L’Animal politique (Table Ronde), Le Socialisme sans visage (PUF), Le Modèle défiguré – L’Amérique de Tocqueville à Carter (PUF), Le Dieu immanent – La grande tentation de la pensée allemande (Le Cèdre), L’Éclipse du sacré – Entretiens avec Alain de Benoist (Table Ronde), L’Europe entre parenthèses (Table Ronde), L’Américanologie, triomphe d’un modèle planétaire ? (L’Âge d’homme), L’Hégémonie libérale (L’Âge d’homme), Du mal moderne : symptômes et antidotes ( Le Beffroi, Québec), Moi Symmaque suivi de L’Âme et la Machine (L’Âge d’Homme).
Contre l’esprit de modernité
Thomas Molnar avait vu s’établir et s’écrouler les grands totalitarismes, le national-socialisme et le communisme, qu’il avait courageusement combattus. Il ne souhaitait pas pour autant que vînt les remplacer le libéralisme sur le modèle américain qu’il avait chaque jour l’occasion d’analyser. L’individualisme forcené ne libère pas l’homme, il limite son horizon à ses intérêts particuliers, affairistes et bassement matériels, et réduit le fondement de son être à l’égoïsme et au conflit, empêchant toute ouverture vers le surnaturel. Les fardeaux imposés jadis par des supérieurs, tirant leur légitimité d’au-dessus d’eux, ont été remplacés par de nouveaux fardeaux bien plus écrasants, ceux de l’argent, ceux de la masse, ceux des conformismes, ceux des systèmes idéologiques refermés sur eux-mêmes. Mais l’homme post-moderne commence à comprendre qu’il gît dans une prison, que ce monde désenchanté n’est pas le sien, il appelle cruellement de nouvelles réponses à ses angoisses, des discours sortant des sentiers battus du conservatisme ordinaire. En ce sens Molnar n’était ni de droite ni de gauche. Il souffrait de voir les puissances intellectuelles et même religieuses trop absorbées par l’esprit de la modernité et par les sirènes du nivellement universel, pour opérer cette révolution dans les esprits.
Le marché des valeurs
Il constatait dans L’Hégémonie libérale que l’État, dans nos sociétés, n’est plus qu’un outil de gestion aux mains des lobbies, et que trop souvent l’Église se laisse réduire à un groupe de pression parmi d’autres qui propose son produit sur le marché mondial des valeurs. La société civile a commencé de tout envahir depuis la cassure de la chrétienté au XVIe siècle et elle impose à l’ère industrielle ses valeurs fondées sur les exigences de la mécanique comme le fondement d’une nouvelle morale, utilitaire et sans issue. Il importe donc de restaurer le politique et le sacré, l’État et l’Église, pour que la société puisse respirer dans l’ordre, dans le respect des hiérarchies, dans la soumission à l’ordre créé par Dieu.
C’est, disait-il, « l’objectif de la réflexion sur les grandes institutions archétypales, mais ce n’est pas là œuvre purement humaine ». L’homme a trop longtemps oublié « sa condition de créature ». Tel est le message que laisse Thomas Molnar à tous ceux qui ont à cœur l’avenir de la civilisation. Nous ne devons pas l’oublier. •
Action Française 2000 du 2 septembre 20
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