La crise économique actuelle – ou les crises successives : économique, financière, politique – doit conduire chacun à examiner les raisons de son développement et à tirer les enseignements qui découlent des enchaînements auxquels on assiste. Sinon, il est vain de vouloir essayer d’en sortir, on ne pourra, au mieux, que retarder l’échéance. Il est difficile, dans un espace restreint d’exposer une analyse détaillée d’un phénomène complexe et ancien, c’est pourquoi il faut se contenter ici d’évoquer quelques grandes lignes.
La première cause de la crise actuelle est politique. Elle résulte de la facilité qui a conduit les hommes politiques à réduire le fondement de leur pouvoir à une simple question financière. Depuis le triomphe américain aux lendemains de la Seconde guerre mondiale et surtout depuis l’effondrement du monde communiste, il est admis que celui qui a l’argent a le pouvoir. Dès lors, tout le discours politique contemporain a été orienté vers l’augmentation du pouvoir d’achat immédiat et son corollaire : l’achat – direct ou indirect – des voix aux élections !
L’élection la plus chère de l’histoire : deux milliards de dollars, c’est le montant cumulé de l’argent levé par tous les candidats (primaires y compris). A ce petit jeu, le roi s’est appellé Barack Obama. Il a accumulé à lui seul près de 700 millions de dollars, dont 500 juste pour le dernier round. C’est parce qu’il avait le plus d’argent; c’est parce que – oui – l’élection s’achète, qu’il l’a emporté haut la main…..
Pendant tout le XIXe siècle et au début du XXe, à l’époque du triomphe des idéologies, les élections mettaient aux prises des candidats qui avaient des projets politiques et philosophiques différents. Dans ces conditions, on a enregistré une « prime aux sortants » ; le suffrage universel était essentiellement conservateur. Les électeurs savaient ce qu’ils avaient, ils avaient du mal à imaginer ce qu’ils auraient s’ils décidaient de changer d’équipe… que celle-ci gagne ou perde, et l’électeur avec !
Autrefois conservateur, le suffrage universel est devenu facteur d’alternance… et d’insatisfaction permanente
Depuis la deuxième moitié du XXe siècle, tous les candidats, à quelque élection que ce soit, cherchent simplement à capter le plus d’argent possible pour se présenter avec les meilleures chances de succès envisageables. Les projets qu’ils peuvent avoir passent au second plan. L’important n’est plus le contenu – le programme – mais le contenant – les slogans de campagne. Tout candidat a donc désormais recours à des « communicants » professionnels, à des agences de publicité qui, telles des savonnettes, les parent de toutes les vertus auxquelles personne ne croit mais auxquelles tout le monde rêve. Comme il faut, dans une telle compétition médiatique, que chacun se distingue, l’on assiste à un emballement des promesses suivi d’un cumul de déceptions. De conservateur, le suffrage universel est devenu le premier facteur de l’alternance… mais aussi de l’insatisfaction permanente. Sauf en cas de situation extrême, nul candidat ne peut se faire élire sur une réputation d’austérité relative. Les efforts demandés sont toujours moins populaires que les subventions promises.
Or, cette primauté de la question financière a évolué au cours des cinquante dernières années. Au sortir de la seconde guerre mondiale, les populations occidentales n’avaient qu’une seule envie : reconstruire leur domaine et se survivre. Peu importait alors l’inflation, puisque, de toute façon, les lendemains seraient meilleurs. Cela a duré jusque vers les années soixante-dix ; le temps d’un changement de génération. A partir de ce moment là, les nouveaux détenteurs du pouvoir ont commencé à se préoccuper de leur propre retraite, d’autant que la démographie n’était pas favorable. Elevés comme des dieux par les survivants de la guerre, ayant bénéficié d’une période d’euphorie comme il n’y en a pas eu beaucoup dans l’histoire du monde (les « trente glorieuses »…), ils ne pouvaient pas imaginer un instant que le progrès ne soit pas indéfini. Dans leur soif de profiter pendant leur jeunesse des sollicitations toujours plus nombreuses de l’offre de consommation, ils n’avaient pas voulu avoir d’enfants, pour ne pas avoir à partager avec une progéniture encombrante. L’âge avançant, ils ont constaté que demain non plus ils n’auraient pas d’enfants pour payer leur retraite et accepter que celle-ci augmente au gré de l’inflation. D’où leur décision de développer des systèmes tels que les fonds de pension dans le monde anglo-saxon ou l’assurance-vie dans le monde latin. L’envol de la dette publique et l’explosion du crédit à la consommation en sont directement issus (1) : les populations européennes vieillissantes ont une nette préférence pour l’immédiateté et ne veulent plus envisager des sacrifices présents pour assurer le futur.
Dans un tel contexte, le moteur de l’action est devenu la possession de la richesse immédiate et, avec la griserie des succès obtenus, chacun ne compte plus que sur lui pour obtenir le pouvoir d’achat immédiat qui lui permet de commander des biens ou des services à tout l’univers. Ce pouvoir paraît d’autant plus grand que, dans la « grande maison commune », le langage devient de plus en plus uniforme. Mais à force d’user des mêmes mots dans des contextes différents, ceux-ci finissent par prendre des sens de plus en plus divergents. L’incompréhension menace. Ainsi, lorsque les Allemands demandent à leurs partenaires de faire un effort de rigueur dans la gestion de leur économie, ils peuvent avoir économiquement raison, ils ont politiquement tort. Ils expliquent l’intérêt qu’ils ont à prôner la rigueur et développer ainsi – au détriment des autres – leur commerce international. Les autres considèrent simplement qu’ils ont contracté une tendance névrotique (2) liée à la grande dépression qu’a connue l’Allemagne entre les deux guerres mondiales et dont personne ne se prive de leur rappeler qu’elle a précédé – sinon causé – l’un des plus grands drames de l’histoire. Les arguments allemands sur le fait que nul ne peut indéfiniment vivre au-dessus de ses moyens sont devenus inaudibles à force d’être décalés par rapport au passé immédiat de l’Europe. Tout comme un agent économique qui fait de la cavalerie (3) vit dans l’euphorie jusqu’au jour où le montant des intérêts accumulés devient tel que le système qu’il a mis en place s’effondre, entraînant dans sa chute celle de ses créanciers.
La mondialisation a engendré des « grands feudataires » d’un nouveau genre : comment leur adapter la politique capétienne ?
Avec la libéralisation des lois financières qui a été mis en place depuis maintenant près de quarante ans, on a vu apparaître de nouveaux pouvoirs. Au fur et à mesure que les responsables politiques ont plus ou moins consciemment lutté contre leur propre pouvoir pour donner accès aux populations qui les avaient élus à de nouveaux produits venus de partout, ils ont favorisé le développement des multinationales apatrides qui sont les grands feudataires d’aujourd’hui.
Ce que l’histoire de France nous apprend, c’est que le seul à avoir pu apporter aux populations ballotées entre ces divers caprices une unité bienfaisante, a été Hugues Capet, comte de Paris. Après lui, ses héritiers ont su limiter leur pouvoir à celui qu’ils exerçaient sur des populations qui, adhérant à leurs vues, n’avaient aucune prétention à l’empire : à la différence du monde de Babel, elles n’aspiraient pas à la mise en place du « village planétaire » et de la tour orgueilleuse qui escaladerait le ciel. Aujourd’hui où l’Europe est devenue le principal vecteur de la mondialisation et où les pouvoirs indépendants les uns des autres, mais toujours égoïstes, des grandes entreprises se disputent la clientèle de populations sans maître et sans idéal, comment ne pas songer à la descendance de Robert Le Fort ?
Pourtant, la tâche n’est pas la même, et cela pour au moins trois raisons. La première, la plus simple, est que, comme nous l’avons vu, les grands feudataires de ce jour ne sont plus des personnes physiques faciles à identifier et localiser mais des personnes morales installées un peu partout et qui peuvent susciter l’émergence d’une nouvelle tête dès qu’on leur en coupe une ancienne. La seconde est, qu’à l’époque d’Hugues Capet, d’un point de vue juridique, le choix avait été fait d’accepter le droit du lieu géographique (le droit français en France) plutôt que le droit de la personne, contrairement à ce qu’impose aujourd’hui l’Europe avec le droit du pays d’origine, celui du prestataire de service, du marchand ! La troisième et dernière raison est que toute disposition nouvelle est immédiatement soumise à une présentation et à un jugement médiatiques. A l’époque d’Hugues Capet, cela était déjà vrai, sauf que ceux qui assuraient cette médiatisation étaient moins nombreux, que leur influence immédiate était géographiquement moins étendue, et que tous partageaient plus ou moins les mêmes valeurs, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Cependant, par rapport à cette époque, le monde actuel dispose de plus de moyens. Il lui faut seulement une volonté ou, plus exactement, une rencontre de volontés : la volonté de celui qui accepte de relever le défi de servir ainsi des peuples définis et la volonté de ceux qui acceptent de se mettre à son service. Car, en donnant la primauté à l’économie, ce que notre monde a oublié, c’est que la politique est un moyen de servir et non de se servir, que c’est un service et une solidarité.
1 La lutte contre les discriminations aussi.
2 Selon une formule de Roland Hureaux (Le Figaro, 24 mai 2010).
3 Celui qui emprunte non seulement pour rembourser ses dettes, mais aussi payer les intérêts qui leur sont liés.
Cette note, rédigée à la demande du prince Jean de France, est extraite de la Lettre n° 19 de Gens de France.
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ASSEMBLEE GENERALE GENS DE FRANCE.pdf
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