Coup sur coup, le 27 janvier et le 4 février, nous avons pu relever la très intéressante évolution d’Edgar Morin : au micro de France inter, d’abord, le 27 janvier dernier (où il n’a pas hésité à citer Maurras…); puis, sur Public Sénat/Bibliothèque Médicis, cette fois, où il passe avec Henri Guaino et Marcel Gauchet, interrogé par Jean-Pierre Elkabach, le 4 février.
Sur France inter, le 27 janvier, Edgar Morin déplore qu’il n’y ait plus, dans nos sociétés, de pensée politique d’envergure, comme il y en eut aux XIXème et XXème siècles. Et il cite celles qui comptent : la pensée de Marx, pour la Révolution, celle de Tocqueville pour le courant libéral, celle de Maurras, pour la pensée réactionnaire. Ce dernier terme n’a, d’ailleurs, dans ce cadre, aucune connotation péjorative. Simplement, pour Edgar Morin, l’absence de toute pensée politique contribue à cette « réduction du Politique à l’Economique » qui est, pour lui, comme pour nous, l’un des vices profonds de la modernité. En somme, Edgar Morin appelle de ses vœux, tout simplement, la renaissance de la pensée politique. C’était aussi, on le sait, l’objectif de Pierre Boutang lorsqu’ii écrivait, il y a quelques trente ans, son « Reprendre le Pouvoir ».
Ensuite, sur Public Sénat, Edgar Morin liquide en quelques phrases le concept de révolution, le mythe du progrès, le tout-économique, la mondialisation, en ce qu’elle affaiblit « le local, le régional, le national », la réduction de nos sociétés au quantitatif, au chiffre, au calcul …. Pendant trente ans, aux Baux, lorsque nous y faisions nos rassemblements royalistes, Gustave Thibon ne disait guère autre chose.
Ce sont des bombes à retardement qu’Edgar Morin, volens nolens, vient de semer sur les terrains divers de la pensée révolutionnaire, de gauche ou de droite. Et si l’on considère l’évolution d’Alain Finkielkraut ou de Régis Debray – comme exemples parmi d’autres – l’on peut en conclure qu’il s’agit là d’un courant venu « des profondeurs ». Aussi que nous ne sommes plus des « parias » ; que nous ne sommes plus seuls à penser comme nous le faisons. Enfin que les intellectuels dits « de droite » n’auront pas eu le premier rôle dans ces « révolutions » salutaires…..
Voici les deux vidéos (suivie, pour la seconde, qui est plus longue, d’une sorte de mini résumé des passages les plus importants….) :
Rapide résumé des propos d’Edgar Morin sur Public Sénat :
1 : il ne veut plus entendre parler du mot de révolution, auquel il préfère, maintenant, celui de métamorphose. Car, explique-t-il, une métamorphose signifie une transformation, une évolution à partir de ce qui est, à partir de ce qui pré-existe, alors que la révolution signifie la table rase, la destruction et l’oubli de ce qui a précédé. De plus, ajoute-t-il (on croirait entendre Soljénitsyne…) ce terme de révolution est maintenant trop connoté, et trop attaché à des images d’horreurs qu’il rejette : on a vu avec le Goulag ce que c’était…..
2 : la mondialisation, il faut en prendre les bons côtés, mais il faut aussi maintenir et renforcer les échelons de protection que sont l’Etat et la Nation, le local, le régional, le national; par exemple, retourner au commerce de proximité, à l’artisanat local, aux cultures vivrières…
3 : la politique s’est mise à la remorque de l’économie, l’oeil fixé sur la croissance; de toutes les crises que nous connaissons, la crise de la pensée politique est la plus grave de toutes; on appelle des experts de tout et pour tout mais plus personne ne voit les problèmes fondamentaux et globaux, la complexité (complexus = ce qui est tissé ensemble…); il faut en finir avec cette vision fausse et absurde d’un progrès linéaire indéfini, d’une évolution constante vers le bien……
Voici le scripte de quelques uns de ses propos illustrant ces trois points de vue (il s’agit évidemment de langage parlé…) :
1 : « …Le mot révolution, il a subi deux souillures, la première c’est qu’il a été identifié à la table rase du système soviétique, du passé on fait table rase, alors que on ne peut penser l’histoire que dans des ruptures mais aussi une continuité que nous avons besoin de conserver, pas seulement la nature, on s’en rend compte aujourd’hui avec les problèmes écologiques, mais disons les trésors de notre culture qui nous permettent de nous ressembler. Et puis, c’est d’identifier la révolution à la violence sanglante, ce qui en général a créé une chaîne ininterrompue de violences et puis finalement l’échec, aussi bien de la révolution bolchévique que communiste…
-Et la Terreur en 1793 – demande Elkabbach – avec la suite militaire ?…
…Alors que ce que je crois c’est qu’il y a toujours, bien entendu, une opposition entre réforme et révolution mais que le réformisme est quelque chose qui s’est beaucoup aplati et … qu’il y a plusieurs voies de réformes concomitantes dans tous les domaines, qui à un moment peuvent converger vers quelque chose que j’appelle la métamorphose. Pourquoi ? Parce que la métamorphose signifie la transformation en même temps que la continuité….
2 : « …Si vous pensez que la mondialisation est à la fois la pire et la meilleure des choses, la pire parce que tout le processus actuel dont on vient de parler qui est en même temps occidentalisation, une formule techno-économique qu’on applique indifféremment à des réalités tout à fait différentes les unes des autres, il est sûr que tout ce processus conduit à des catastrophes… aggrave les inégalités… Mais c’est la meilleure des choses aussi, car c’est la première fois que l’espace humain se trouve inter-solidaire, et peut rêver d’être quelque chose d’autre…..
– Autrement dit – dit Elkabbach – il ne faut plus penser « ceci ou cela » mais ceci et cela »
« …Bien sûr, il faut mondialiser, il faut continuer tout ce qui favorise l’inter-solidarité, la compréhension multiple, enfin tous ces processus… mais dé-mondialiser, c’est-à-dire redonner au local, au régional, au national une vitalité qu’il a perdue. Cela veut dire aussi bien l’alimentation de proximité, l’artisanat, l’agriculture fermière etc… et la démocratie participative locale. Donc il faut mondialiser et dé-mondialiser… »
3 : Henri Guaino dit que le G20 est, au moins symboliquement, l’affirmation que le politique est au-dessus de l’économique..
« …Il y a eu la réduction du politique à l’économique; il ne faut plus penser au meilleur des mondes, mais simplement à un monde meilleur. C’était une folie que de penser qu’un monde parfait était possible. Et, en même temps, c’est un acquis d’avoir renoncé au mythe que le progrès était une loi de l’Histoire irréversible qui nous conduirait… La réduction à l’économie a été une réduction au quantitatif, au chiffre, au calcul…. »
4 : Annexe, les propos de Guaino sur la demande d’Etat par les peuples :
« …Je trouve Marcel Gauchet très optimiste quand il dit « je n’imagine pas que les sociétés puissent se replier sur elles-mêmes »; eh bien, moi, je l’imagine très bien ! De deux choses l’une : ou nous donnerons aux peuples, aux citoyens le sentiment qu’ils sont raisonnablement protégés, qu’ils sont raisonnablement libérés du déterminisme qui menace toujours de les asservir, ou bien ils se replieront sur eux-mêmes… La crise actuelle est d’abord une crise de l’individu qui se sent seul au monde, qui se sent abandonné à des forces qu’il ne maîtrise pas… et donc, soit il trouve la solidarité et le partage dans la nation, soit il trouvera la solidarité et le partage dans le clan, dans la Tribu, dans des solidarités étroites, dans des enfermements très forts et probablement très hostiles. Si nous voulons avoir demain des sociétés politiques ouvertes, des Nations ouvertes, travaillant les une avec les autres, encore faut-il que nous soyons capables d’inventer des règles, de reconquérir le politique tous ensemble, au niveau de l’humanité… »
Bon, bon, vous en aviez déjà parlé ! (Oui, bon, le 27 janvier dernier …). Mais ce n’est vraiment pas ce qui est important. « Ce qui est important, c’est la chose même ».
Et puis, Edgar Morin ne s’est pas contenté de « citer Maurras », ce qui n’a pas grand intérêt car il n’y a plus, aujourd’hui, que quelques royalistes timorés pour craindre de s’y référer. Non, Edgar Morin, sur France Inter, a exprimé une idée beaucoup plus importante : il déplore qu’il n’y ait plus, dans nos sociétés, de pensée politique d’envergure, comme il y en eut aux XIXème et XXème siècles. Et il cite celles qui comptent : la pensée de Marx, pour la Révolution, celle de Tocqueville pour le courant libéral, celle de Maurras, pour la pensée réactionnaire. Ce dernier terme n’a, d’ailleurs, dans ce cadre, aucune connotation péjorative. Simplement, pour Edgar Morin, l’absence de toute pensée politique contribue à cette « réduction du Politique à l’Economique » qui est, pour lui, comme pour nous, l’un des vices profonds de la modernité. En somme, Edgar Morin appelle de ses vœux, tout simplement, la renaissance de la pensée politique. C’était aussi, on le sait, l’objectif de Pierre Boutang lorsqu’ii écrivait, il y a quelques trente ans, son « Reprendre e Pouvoir ».
Sur Public Sénat, à Bibliothèque Médicis, Edgar Morin ne « récidive » pas, et ce qui importe, là encore, ce n’est évidemment pas notre « plaisir ». Non, l’affaire est d’importance. Rien à voir avec le « plaisir ».
L’important c’est qu’Edgar Morin (de son vrai nom Edgar Nahoum, 89 ans), penseur de première importance, venu de la gauche révolutionnaire, y développe encore sa pensée et qu’il liquide en quelques phrases, venues d’une réflexion que l’on sent toujours aussi profonde, intense et passionnée, le concept de révolution, le mythe du progrès, le tout-économique, la mondialisation, en ce qu’elle affaiblit « le local, le régional, le national », la réduction de nos sociétés au quantitatif, au chiffre, au calcul …. Et cetera … Pendant trente ans, aux Baux, lorsque nous y faisions nos rassemblements royalistes, il me semble que Gustave Thibon ne disait guère autre chose.
Oui, l’affaire est d’importance. Ce sont des bombes à retardement qu’Edgar Morin, volens nolens, vient de semer sur les terrains divers de la pensée révolutionnaire, de gauche ou de droite. Et si l’on considère l’évolution d’Alain Finkielkraut ou de Régis Debray – comme exemples parmi d’autres – l’on peut en conclure qu’il s’agit là d’un courant venu « des profondeurs ». Aussi que nous ne sommes plus des « parias » ; que nous ne sommes plus seuls à penser comme nous le faisons. Enfin que les intellectuels dits « de droite » n’auront pas eu le premier rôle dans ces « révolutions » salutaires ..