Nous avons déjà parlé, ici, de Thomas Legrand. Chaque matin sur France Inter, son éditorial politique est, à ce que l’on dit, l’un des plus écoutés de France.
Il n’est pas ami de nos idées. Il en est même l’antithèse : pour nous, la France est historique et charnelle ; la sienne est purement idéologique. Est Français, pour lui, quiconque, d’où qu’il vienne, adhère aux principes de 1789 et aux dogmes de la République.
Il n’en a pas moins le goût et le sens des nuances, de la logique ou, simplement, du bon sens. Avec de si mauvais principes, il faut beaucoup d’efforts pour tenter d’être cohérent. Il s’y essaie.
C’est une réflexion qui relève des qualités que nous lui reconnaissons, qu’il a livrée, hier matin, sur France Inter et il a eu raison, nous semble-t-il, d’avoir souligné cette contradiction de la politique française qui consiste à avoir voulu et attisé ce que l’on appelle, bien naïvement, le printemps arabe et à combattre sa conséquence, pourtant prévisible, c’est-à-dire un afflux insoutenable de nouveaux immigrés, aux frontières de l’Europe. En somme, nous avons mangé des raisins verts ; nous en avons les dents agacées.
D’une part, c’est comme si, du Maroc à la Syrie ou au Yémen, nous avions soufflé sur les braises toujours rougeoyantes des sociétés arabes. Nous les avons confondues ou fait semblant de les confondre avec une soi-disant aspiration à la démocratie, bien entendu comprise à notre manière, alors que ces braises, tiennent bien plutôt à des oppositions ethniques ou religieuses, très anciennes, très profondes, et toujours prêtes à s’enflammer, à rallumer, partout, les incendies et la violence. Les grands médias « occidentaux » ont donné à quelques réseaux sociaux locaux l’écho planétaire sans lequel rien, sans-doute, n’aurait pu se produire, en tout cas atteindre l’ampleur que l’on sait. Le lyrisme révolutionnaire s’est déversé à flots sur les ondes et les politiques ont imprudemment suivi, dans la précipitation et l’improvisation. En Libye, l’ingérence est manifeste. Elle vise à renverser son dirigeant. La diplomatie française ne s’est pas honorée en reconnaissant, comme seul représentant légitime du peuple libyen, le Conseil National de Transition, dès que Bernard Henri Levy eût amené à l’Elysée quelques uns de ses représentants, dont on ne sait à peu près rien, si ce n’est que son président aurait été, en son temps, un tortionnaire et un terroriste aux ordres de Kadhafi …
D’autre part, les conséquences ont, naturellement, suivi. L’anarchie qui règne encore, et peut-être pour longtemps, en Tunisie et en Egypte, le blocage de leurs économies, surtout l’arrêt du tourisme qui les prive de leurs revenus, la guerre en Libye, l’instabilité de l’ensemble de la région, provoquent un nouvel afflux de migrants que les opinions européennes, et des gouvernements affaiblis par la montée des réactions populaires et des partis politiques qui s’en réclament, partout en Europe, ne sont plus en mesure de soutenir….
Nous sommes, sans-doute, encore loin du jour où l’on se rendra compte, que le village planétaire, que l’on avait cru tout proche, n’est pas pour demain. Et que la France, les Européens, et, a fortiori, les Américains, feraient mieux de s’occuper de leurs affaires, déjà pas si brillantes, plutôt que d’intervenir, y compris militairement, dans celles des autres, notamment celles de l’Orient compliqué.
En la circonstance, le seul élément positif pourrait être, mais encore faut-il attendre et voir, que la France et l’Europe soient amenés, presque par obligation, à réorganiser leurs institutions et à revoir leurs politiques non plus sous l’empire des idéologies utopiques, mais de leurs intérêts réels, depuis si longtemps ignorés.
L’intervention en Lybie, avant d’être une opération
cautionnée par l’O.N.U. pour ne pas laisser à la France, la
seule initiative, est avant tout une aventure franco
française menée par deux personnes, Nicolas Sarkozy et
BHL dont les intérêts ne sont pas nécessairement ceux de
la France.
C’est une affaire grave et mal engagée dont les auteurs
ont négligé d’en mesurer toutes les conséquences, si tant
est qu’ils aient eu une réelle analyse des enjeux plutôt
qu’une vision étroite, et en espérant pour Nicolas Sarkozy,
qu’il n’ait pas utilisé, comme à son habitude, une
opportunité de se refaire une virginité dans le domaine
diplomatique, à des fins électoralistes.
Seul, l’avenir nous dira les dessous de l’affaire, dont la
seule motivation de protéger des populations en proie à la
guerre civile paraît un peu courte, si l’on regarde ailleurs,
en Syrie ou au Tibet, qui ne bénéficient pas des mêmes
égards.
Personnellement, je serais assez étonné que l’on touche à la Syrie. Je crois plutôt que l’on se contentera, à son endroit, de paroles verbales, de condamnations de pure forme, de déclarations où l’on qualifiera ce qui s’y passe d' »inacceptable », que, bien-sûr, on acceptera ensuite. C’est que la Syrie n’est pas la Libye. On ne s’amusera pas avec elle de la même façon. Ce serait, en effet, une autre paire de manches… Et, outre que nous n’aurions aucun intérêt à nous y risquer, il y faudrait un peu de courage et des moyens. Et nos dirigeants n’en ont pas à revendre.