Voici l’intégralité du discours prononcé par Vladimir Volkoff aux Rassemblement Royaliste des Baux-de-Provence de 1986. Il est intitulé « L’Héritier » ou « Du Prince Royal ».
Il clôture la réflexion de Volkoff sur la trinité royale, après Du Roi comme Père, puis De la Reine, ces trois textes ayant été réunis par Julliard (collection L’âge d’homme) – avec d’autres textes courts – dans un opuscule intitulé Du Roi.
Si la Royauté a la capacité de s’inscrire si profondément dans les cœurs, c’est, entre autres, que ses structures sont à l’image des structures fondamentales de l’homme.
De l’homme physiologique d’abord : notre corps est une monarchie dont le cerveau est le roi.
Inutile, sans doute, de montrer que notre corps n’est pas une démocratie : imagine-t-on nos organes fomentant une révolution pour élire, à la place du cerveau, le pancréas ou la prostate ?
Mais il est bon de préciser qu’il ne s’agit pas non plus d’une dictature totalitaire : le cœur pompe, le foie sécrète, les cellules se renouvellent sans que le cerveau s’en mêle le moins du monde.
En revanche, dans les domaines où il y a une résolution à prendre, il décide en maître, après avoir consulté les sens. C’est, très exactement, le roi dans ses conseils.
La Royauté reproduit aussi la cellule sociale de base : la famille. Les parents, les enfants d’un président de la République n’ont aucune présence politique ; sa femme ne sert, dans le meilleur des cas, que pour la décoration. Au contraire, sans sa famille, le roi n’est rien. Sans son père, il n’est pas roi ; sans sa reine, c’est un roi stérile ; sans son héritier, c’est – contrairement à l’adage selon lequel le roi ne meurt pas – un roi mort.
C’est sur l’héritier que je voudrais réfléchir ici.
Novembre 2010 : le prince Jean, la princesse Philoména et le prince Gaston sont au Liban, hôtes de la Croix Rouge : « la Royauté reproduit aussi la cellule sociale de base : la famille. »
Le langage ne sépare pas par hasard l’héritier des autres enfants du souverain : le Dauphin, le Naslednik, le Kronprinz, le Diadoque, le Prince de Galles – le Prince Charles d’Angleterre a même été couronné pour souligner ce que sa fonction a de spécifique – ce n’est pas n’importe quel fils de roi : c’est ce que j’aimerai appeler, faisant allusion en toute piété à une autre structure fondamentale, la deuxième personne de la trinité royale.
L’Ecriture illustre ce point, quand elle compare l’histoire religieuse de l’humanité à un banquet auquel nous sommes invités et auquel beaucoup d’entre nous négligent de se rendre. A quelle occasion, ce banquet, dans la parabole rapportée par Saint Matthieu ? Pour le mariage du prince. L’évangéliste le dit expressément : « Le Royaume des cieux est semblable à un roi qui fit un festin de noces pour son fils » (Mt. XXII, 2). Car si, en tant que Père, Dieu règne sur l’humanité, en tant que Fils, il l’épouse. Les royaumes terrestres aussi ont cette double relation avec la famille royale : le roi est le père de la patrie, mais le prince en est le fiancé, avec tout ce que ce mot porte de poésie et de gaieté grave.
La tradition orthodoxe propose quelques enseignements à ce sujet. Dans plusieurs prières de la messe, nous nous adressons au Christ en lui demandant de bénir non pas son royaume mais son héritage, ce qui montre que nous voyons en lui un héritier. Lors de la cérémonie du mariage, les époux portent chacun une couronne, et on les appelle le couple princier. Ils sont princes parce qu’ils sont époux, de même que le prince est l’image de l’Epoux, parce qu’il est le prince.
Le sentiment populaire ne s’y trompe pas. L’étrange prénom de Charmant que les contes donnent à l’héritier du royaume le dit assez. Combien d’entre eux ont pour sujet cette fête des fêtes : le mariage d’un prince ? La marraine, la citrouille, la pantoufle n’ont pas d’autre but. Et le sentiment de plénitude qui s’empare de nous à la fin du conte n’a pas d’autre justification : oui, ils seront heureux et ils auront beaucoup de petits… princes.
L’intérêt passionné que montrent les lecteurs les moins royalistes lorsque les magazines populaires leur présentent le mariage de tel prince n’est pas d’un autre ordre, encore qu’il soit d’une autre qualité. Si le même intérêt se dégrade jusqu’aux vedettes du spectacle, cela ne change rien à notre argument : ces vedettes sont perçues comme des princes, et il n’y a pas là de quoi nous émouvoir. Il faudrait admirer plutôt que nos vrais princes, sans couronne, sans terres, sans puissance effective d’aucune sorte, conservent assez de magie pour être perçus comme ce qu’ils sont.
Senlis, 2 mai 2009
A quoi tient cette magie ? A ce que l’héritier est un futur roi ? Je ne le pense pas. Je pense que la magie du prince est propre au prince en tant que tel.
Le roi détient le sceptre pesant d’aujourd’hui ; le prince dessine sur le sable avec la badine de demain. Le roi se collette avec le réel ; le prince effeuille la gamme des possibles. Le roi, c’est ce qui se passe après que le roman est fini ; le prince, c’est le roman lui-même. Le roi, c’est midi, le prince, c’est l’aurore. Le roi est le roi de ce qui est ; le prince est le prince de ce qui devient. Et, puisque le roi administre et protège un territoire tandis que le prince poursuit un apprentissage, le roi est le roi de l’espace et le prince est le prince du temps.
« Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur », chantaient les Juifs lorsque Jésus-Christ entra à Jérusalem. « Celui qui vient », c’est le prince, car le roi, s’il y a un roi, est déjà là. J’aime, pour ma part, que le Christ-Roi n’ait jamais été un roi terrestre, mais que Jésus ait bel et bien été un prince de la maison de David.
Tout le charme gai et pimpant des commencements appartient au prince ; or, rien n’est plus gai qu’un commencement : celui d’une journée, car c’est le matin ; celui d’un amour, car c’est la rencontre ; celui d’une vie, car c’est la jeunesse.
La liberté et la responsabilité qui. d’ordinaire, doivent être inséparables, ont, à ces moments là, la bride sur le cou : la responsabilité est minime, la liberté plus grande qu’elle ne le sera jamais. On dispose d’une traite si riche sur la banque du bien qu’on peut s’autoriser quelques dettes sur la banque du mal. Les maîtresses qu’on prend ne sont pas encore des rivales de la reine, les amis qu’on se donne ne comptent pas encore être ministres, les ennemis qu’on se fait ramperont bientôt. C’est le printemps de l’année, c’est l’ouverture de l’opéra. On rêve d’être Titus ou Alexandre, Saint-Vladimir ou Saint-Louis. Le Paradis sur terre n’est pas encore hypothéqué.
Le temps viendra assez tôt où l’héritier accédera à l’exercice ambigu du pouvoir.
Il est vrai que, d’une certaine manière, il sera transporté à un niveau supérieur de sérénité. Le roi de France ne pourra pas ne pas oublier les querelles du duc d’Orléans. Mais oublier ne va pas sans renier.
Qu’on revoie la scène où, à la fin de la seconde partie d’Henry IV, Sir John Falstaff aborde le prince Henry qui vient de devenir roi. Henry et Falstaff se sont saoulés ensemble, ensemble ils ont troussé les filles et détroussé les voyageurs. Falstaff, qui aime ingénument, Henri, s’imagine que leurs relations vont continuer comme par le passé : « Que Dieu te garde gentil garçon ! » Mais Henry « Vieillard, je ne te connais pas… Ne va pas t’imaginer que je suis la chose que j’étais. Dieu le sait déjà et le monde va s’en apercevoir : je me suis détourné de mon ancien moi-même. » C’est cela, devenir le roi. C’est, pour reprendre la terminologie de Saint-Paul, déposer le vieil homme et revêtir le nouveau.
Mais le nouveau n’est pas, dans ce cas, un Adam régénéré qui aurait retrouvé son innocence c’est plutôt un David qui va tenter d’exorciser la violence du pouvoir.
Certains aiment à répéter cette bourde anglo-saxonne : « Le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument ». Il n’y a aucune raison de penser que le pouvoir corrompe des âmes qui ne sont pas basses au départ. On voit même comment il pourrait ennoblir les plus hautes. Mais, s’il ne corrompt pas, il souille. Dans le cortège du roi, il n’y a pas que des évêques, des maréchaux et de belles dames : il y a aussi le bourreau en tablier de cuir et l’indicateur de police en manteau couleur muraille, qui se cachent au dernier rang de la photographie de groupe, mais sans qui le roi ne serait apte à gouverner que des elfes, et la Royauté ne serait rien de plus qu’un idéal.
Le Roi, qui décide de la vie et de la mort, ne peut pas être Oberon. Le prince, oui. Et, mieux qu’Oberon, il peut, pendant quelque temps, être Antigone, lui qui passera sa vie à être Créon.
La royauté a ceci de spécifique qu’elle nous permet de nous reconnaître en elle. Que pourrions-nous reconnaître de nous dans, mettons, le président de la République ? Tout au plus un certain besoin d’ordre et d’organisation, un de ces meubles que nous plaçons sur notre bureau pour y ranger les trombones d’un côté et les agrafes de l’autre.
Au contraire, dans le roi, nous nous reconnaissons nous-mêmes, notre libre arbitre, la seigneurie d’amour que nous prétendons exercer sur nos proches, notre famille, notre métier, cette manière que nous avons d’affronter le destin, de puissance à puissance.
Dans le prince, nous reconnaissons nos enfances, cet instant privilégié où rien n’est encore joué, et, plus profondément encore, cette chose essentielle : tout comme lui, et malgré que nous en ayons, avant d’être ce que nous nous faisons nous-mêmes, nous sommes des héritiers.
Au cours du règne de Jean le Bon, le Dauphiné est rattaché par donation à la couronne. Désormais, l’héritier présomptif de la couronne recevra ce territoire et portera le titre de Dauphin. Le premier dauphin sera donc Charles V. Par la suite, ce titre servira à désigner l’héritier du trône de France, fils aîné du roi.
VERDU sur Éloquence : Tanguy à la tribune,…
“Il est bon !!”