Il est vrai que Théodre Zeldin s’exprime dans le cadre étroit et contraignant d’un article malgré tout assez court. De plus, il est normal et logique qu’il parle des choses comme il les voit, lui, en tant qu’anglais, et non comme nous les voyons, nous. Ou comme nous aimerions qu’on les voie….
Ceci étant dit, et pour conclure ces quelques réflexions/réactions, il reste une dernière remarque à faire, sur un propos de Théodore Zeldin. Elle concerne ce qu’il dit de Louis-Philippe – mais qu’on peut étendre à Charles X – presque à la fin de son entretien :
« …Louis-Philippe a été le roi le plus habile, le plus malin de tous. Roi des français et non de France (1). Admirateur du régime britannique qu’il a pris pour modèle. Il n’a pas été renversé en 1848. Face à l’insurrection il a eu peur. Il a abdiqué et s’est enfui. Comme on dit en Angleterre, « il n’a pas eu les nerfs »; et il a gagné l’Angleterre sous le nom de Mr. Smith… »
Deux des fils de Louis-Philippe étaient « maîtres absolus des armées de terre et de mer » (Maurras): pourtant, comme Charles X, il n’a pas affronté l’émeute, c’est vrai…
Dit sans tact et sans élégance, ni sans prendre de gant – un peu surprenant, pour un britannique… – c’est, hélas, la pure vérité. Et c’est la même chose pour Charles X. Si ces deux rois s’étaient battus, s’ils avaient affronté l’émeute, ultra-minoritaire et essentiellement parisienne, en s’appuyant sur l’immense masse du pays (qu’on songe à l’expression d’Alain Decaux, parlant des « vingt-six millions de royalistes » que comptait la France en 1789…) il est plus que probable qu’ils auraient conservé leur trône. C’est vrai, ils ne se sont pas battus, ils sont partis. Et pourtant, comme le disait Maurras, les fils de Louis-Philippe étaient maîtres absolus des armées de terre et de mer. La république naissante, en 1870, n’aura pas ces scrupules et n’hésitera pas une seconde à écraser la Commune, et ne laissera pas, une nouvelle fois, Paris dicter sa loi à un pays qui n’en voulait pas; elle trouvera d’ailleurs, dans cette fermeté, sa légitimité, comme l’a très bien expliqué Jacques Bainville dans son Histoire de France…
Alors, faut-il employer les mots de « peur », de « lâcheté » de « fuite » ? Et cultiver de vains regrets ? Il faut, c’est certain, établir la vérité pour ceux qui croiraient qu’il y avait une marche irrésistible des choses, et une majorité de citoyens pour la République et la Révolution : la masse du peuple français, jusqu’en 1870, est demeurée fortement – et, par endroits, très majoritairement… – royaliste. Et, si l’on cédait à l’uchronie, ou à la tentation courante, chez les anglais, du « What, if ?… », on pourrait certainement avancer que, de Louis XVI à Louis-Philippe, le suffrage universel aurait non seulement sauvé mais consolidé la royauté. Alain Decaux a raison de dire que, s’il l’avait institué, Louis-Philippe aurait fini ses jours en Roi…
A la décharge de ces souverains, qui méritent donc, certes, ce reproche de n’avoir pas affronté l’émeute, on peut peut-être rappeler – comme seule « excuse » – les horreurs qu’ils avaient connues, et tout ce à quoi, fût-ce de loin, ils avaient assisté durant les années monstrueuses de la Révolution. Le simple mot de Terreur en dit long…
Zeldin semble n’en tenir strictement aucun compte, et préfère donc tout mettre – tous échecs et toutes périodes confondues – sur le compte, pour les uns, de la stupidité, et pour les autres, du manque de nerfs. C’est son point de vue, et c’est son droit, comme c’est le nôtre de marquer notre réserve, en disant simplement que cette façon de voir les choses surprend, et constitue un raccourci qui paraît un peu rapide (2)….
(1) : Là, Zeldin joue sur les mots, car, pour ne prendre qu’un seul exemple, il est arrivé à Louis XIV – mais oui, Louis XIV… – de se faire appeler « roi des français » : sur l’inscription qu’il a ordonné de graver sur le Fort Saint Nicolas de Marseille :
« De peur que la fidèle Marseille, trop souvent en proie aux criminelles agitations de quelques-uns, perdît enfin la ville et le royaume, ou par la fougue des plus hardis, ou par une trop grande passion de la liberté, Louis XIV, roi des Français, a pourvu, en construisant cette citadelle, à la sûreté des grands et du peuple ».
Il faut donc se méfier des formules, et ne pas vouloir leur faire dire trop de choses…..
(2) : De toutes les façons, et même si l’on s’éloigne, là, du sujet, on pourrait faire remarquer une dernière chose. Zeldin n’y fait même pas allusion dans cette sorte de rapide vision d’ensemble des souverains et du royalisme français qu’il propose, dans son entretien : historiquement, des trois types de Régime qu’a connus la France – Royauté, République et Empire – le seul qui ait reçu la consécration populaire, si l’on peut dire, sous forme de soulèvement armé en sa faveur est la Royauté, alors que les deux autres Régimes – les deux Empire et les quatre République – ont été bien incapables de susciter, lors de leur chute respective, une telle adhésion populaire. Et cela, d’une façon ou d’une autre, signifie quelque chose….
Nul ne s’est levé pour défendre Napléon III, en 1870, pas plus que Napoléon Premier en 1814 et 1815. Tout au plus la caste militaire (par réflexe corporatiste ?…) s’est-elle ralliée à lui, au moins en partie, lors des Cent jours : on sait ce que cela a donné… Quant aux différentes Républiques, on sait les cris de joie qui ont salués Thermidor et comment s’est passé la fin de la Première; l’indifférence qui a accompagné la fin de la Deuxième; pour la Troisième, le désastre et la fuite éperdue, sans nulle gloire ni dignité, de ses représentants légaux, trop heureux de confier le pouvoir à un vieil homme de plus de quatre vingts ans, afin de fuir plus rapidement pour tâcher d’enfouir leurs responsabilités; enfin, pour la quatrième, le discrédit total, confinant au mépris, dans lequel elle disparut…
Henri sur Journal de l’année 14 de Jacques…
“D’abord nous remercions chaleureusement le Prince Jean de ses vœux pour notre pays et de répondre…”