Ce court texte, d’où ne sont absents ni l’esprit ni l’humour de Volkoff, constitue la Préface ou l’Introduction de son opuscule intitulé Du Roi, paru chez Julliard (collection L’Âge d’Homme) en 1987.
Dans ce texte, Vladimir Volkoff fait la distinction entre monarchie et royauté. Il voit dans l’une un système de gouvernement, dans l’autre un phénomène historique fondé sur trois facteurs : le pouvoir monarchique, le corps du roi et l’onction sacrée.
La royauté lui apparaît moins comme une institution politique que comme un humanisme, car elle reproduit non seulement les structures de la famille, mais celles de l’homme lui-même : notre cerveau à la tête de nos organes, c’est proprement « le roi dans ses conseils ».
En outre, la royauté est le seul régime bisexué : la reine n’est pas que la femme du roi; elle a sa fonction propre.
Vue sous un autre angle, la royauté est un moyen de connaissance analogique : entre le macrocosme de l’univers et le microcosme de l’individu apparaît le médiocosme de la société traditionnelle dont le roi est sûrement la clef de voûte, mais peut-être aussi la clef tout court….
Sacre de Charles X
Si toute Royauté est monarchie, l’inverse n’est pas vrai : designée par l’Histoire, et distinguée par le Sacre, la Royauté française n’est en rien une quelconque monocratie…
Il ne faut pas s’appauvrir en faisant de monarchie et royauté des synonymes.
La monarchie est un système de gouvernement où un seul commande. Rien de plus.
Elle présente des avantages et des inconvénients. Elle peut être héréditaire ou non, d’inspiration religieuse ou non. On l’attaque au nom de certains principes, on la défend au nom de certains choix. La monarchie est une idée politique comme une autre. La monarchie se discute.
La royauté, qui ne sert qu’entre autres à gouverner les hommes, n’est en aucune sorte une idée, mais une réalité inséparable de ses coordonnées historiques et géographiques. Elle plaît ou elle déplaît. Elle ne se discute pas plus qu’une montagne ou un météore. Au mieux, elle se contemple. Ou, si on a le tempérament jugeur, elle se juge.
La royauté est un ensemble organique d’institutions – dont l’une, la centrale, est monarchique -, de corps constitués, de traditions, de lois écrites et non écrites, et surtout de personnes humaines groupées dans un certain ordre.
Il s’ensuit que la monarchie peut s’instaurer du jour au lendemain, par le moyen d’un référendum ou d’un coup d’état, tandis que la royauté suppose un mûrissement plutôt qu’une victoire, un consensus plutôt qu’un plébiscite.
Même en distinguant la monarchie de la dictature – qui peut être celle d’un parti et non pas d’un homme – on observe des monarques qui ne sont pas rois – mettons le Régent – et des rois qui ne sont pas monarques dans la mesure où ils ne commandent pas : mettons la reine Elisabeth II.
La royauté peut avoir un dosage plus ou moins fort de monarchie : Louis XIV fut monarque plus que Saint Louis, mais il ne fut pas plus roi.
Il arrive que la monarchie tende vers l’absolu. La royauté est limitée par définition, parce qu’elle est un organisme vivant. La monarchie peut être constitutionnelle. La royauté est à elle-même sa propre constitution.
Certains royalistes ne sont pas monarchistes : bien des belges et des anglais ne souhaitent pas que leurs prince, qu’ils révèrent, accèdent à des responsabilités de gouvernement. Certains monarchistes ne sont pas royalistes : la Phalange en a produit, qui suivaient Franco partout, sauf dans sa piété royale. Certains monarchistes deviennent royalistes à leur corps défendant : il y en a à l’Action française. Certains monarchistes se font royalistes en se forçant : il y en eut dans l’entourage de Louis XVIII.
Des questions incidentes se posent. Par exemple, que se passe-t-il – à supposer qu’il se passe quelque chose – quand un monarque qui portait un autre titre choisit de devenir, expressément, roi, comme le sultan du Maroc, qui s’est fait malek ? Voulait-il monter en grade ? Paraître plus occidental, plus moderne ? Poursuivra-t-il une union plus intime avec son pays ? L’Histoire le dira un jour.
Autre question : les empereurs sont-ils des monarques ou des rois ?
Ci dessus, Charlemagne en Imperator (musée du Louvre) et, ci-dessous, les « trois modestes fleurs »
Portant un globe, symbolisant la terre entière, et – à l’origine – une épée, aujourd’hui disparue, l’ Empereur est ici représenté « à l’antique », tel un Empereur romain, conquérant universel.
Alors que – comme le rappelle Michel Mourre – « les Capétiens se distinguèrent pour la plupart par un réalisme un peu étroit mais fécond. Alors que les Plantagenêts tentèrent de construire un État franco-anglais sans avoir sûrement établi leur autorité en Angleterre même; alors que les Hohenstauffen, aux prises avec une puissante féodalité allemande, dispensèrent le meilleur de leurs forces en Italie, les Capétiens, tels des paysans arrondissant peu à peu leur champ, se bornèrent volontairement à l’idée simple de faire la France, d’être maîtres chez eux, en se gardant de toute conquête excentrique, en participant même très peu aux Croisades… »
« On a remarqué que la plupart des autres maisons royales ou impériales d’Europe avaient pour emblèmes des aigles, des lions, des léopards, toutes sortes d’animaux carnassiers. La maison de France avait choisi trois modestes fleurs… » (Jacques Bainville, Histoire de France, chapitre V : Pendant 340 ans, l’honorable famille capétienne règne de père en fils)
Il semble que le grand rêve impérial hérité des Romains par Charlemagne, Byzance, Barberousse, les Habsbourgs, la Moscovie, Pierre le Grand est d’une autre nature que la royauté. Tout empereur prétend au fond à l’empire du monde, et ce n’est que temporairement, en attendant de nouvelles conquêtes, qu’il accepte de limiter ses possessions à des territoires qui ont déjà quelquefois leur souverain local, considéré comme un vassal. C’est ce qu’annonce sans fausse modestie le globe crucifère que portent, haut dans leur main, les empereurs, mais non les rois.
Dans cet ordre d’idées, le cas de Napoléon est caractéristique et presque caricatural. Puisqu’il ne peut y avoir qu’un seul empereur au monde, Napoléon tint à entrer dans le lit de l’Autriche, à détruire Moscou et à rabaisser Rome elle-même au niveau de royaume, tout cela contre ses véritables intérêts. Et combien révélateur l’incident du sacre ! Napoléon, qui posa la couronne sur sa propre tête, au lieu de l’accepter des mains du Pape qu’il avait pourtant convoqué, ne ressemblait guère au roi de France agenouillé sur les dalles de Reims devant l’archevêque mitré qui demeurait assis.
Certains empereurs cependant se sont comportés en rois, dans la mesure où ils reconnaissaient que le pouvoir suprême leur venait d’un plus grand prince qu’eux et où ils se présentaient comme les pères de leurs sujets. Ce fut le cas en Autriche, ce le fut en Russie. Le Natiouchka Tsar et la Matiouchka Tsaritsa (notre père le tsar, notre mère la tsarine) étaient oints et couronnés selon des rites voisins des rites français, ils se considéraient responsables devant Dieu, le maintien de l’Eglise et l’administration de la justice constituaient leur premier devoirs.
Pour ma part -réglons dès l’abord cette question d’intérêt médiocre – la famille où je suis né, mes sentiments et mes goûts ont eu sur moi des effets convergents. L’aspect chatoyant de la royauté m’a toujours charmé. Enfant, j’imaginais la république – la chose et le mot – en gris et noir, alors que les royaumes m’apparaissaient avec des couleurs brillantes; maintenant encore, le mot Royauté me semble coulé dans le vermeil. J’aime qu’il y ait des rois aux cartes et aux échecs et je m’ennuie aux dames, ce jeu tristement égalitaire où chaque pion rêve d’être un parvenu.
Il y a plus. Bon ou mauvais, le roi est un artiste. Moi, plumitif, je rythme des phrases, j’équilibre des volumes, je commande tant bien que mal à des personnages de papier; le roi manoeuvre des armées et des flottes, bâtit des villes, réforme des institutions, modifie le destin de ses peuples : c’est un grand démiurge et j’en suis un petit, mais nous n’en sommes pas moins confrères. C’est pour cela sans doute que, comme le faisait remarquer José Maria de Heredia à Nicolas II,
le poète seul peut tutoyer les rois.
D’ailleurs j’aime trop la musique pour nier l’utilité du chef d’orchestre, j’aime trop le théâtre pour me passer de metteur en scène. Par là, je suis sans doute monarchiste. Cela dit, je vois bien qu’en deçà du chef d’orchestre il y a le compositeur et en deçà du metteur en scène le dramaturge. Par là, je dois être royaliste, et mon royalisme tempère mon monarchisme, car la royauté, moins présomptueuse que la monarchie, ne se conçoit que dans un ordre où elle ne tient pas le premier rang.
Peu importe. Le flou du suffixe iste m’a toujours agacé (qu’y a-t-il de commun, je vous le demande, entre un bouddhiste et un véliplanchiste ?) et l’on se tromperait en cherchant dans les pages qui suivent l’exposé d’une doctrine. Ce n’est pas une défense de la monarchie que je propose : c’est une illustration de la royauté.
Et la royauté m’apparaît – je ne sais pas si c’est à cause de mon côté scolastique ou de mon faible pour les poupées russes – comme un ensemble de trois pyramides triangulaires, la plus secrète s’emboîtant dans la moyenne et la moyenne dans la première.
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ANNEXE
Pour prolonger la réflexion, et bien que, dans sa forme, le document suivant soit très différent du texte précédent, on écoutera peut-être avec profit les propos d’Hilaire de Crémiers tenus dans cette Vidéo publiée par Le Blog d’Hilaire de Crémiers : Monocraties et Monarchies….
la monarchie, « le pouvoir d’un seul » est dans ce cas synonyme de monocratie.
Or, la monarchie souvent associée à la Royauté, mais pas seulement, a quelque chose de particulier. Plus que le pouvoir d’un seul, il s’agit plutôt du seul pouvoir ultime, à savoir un pouvoir unique, à savoir encore, détaché de tous les autres, donc indépendant et donc en mesure de rassembler.
Unique aussi, parce que sans rival possible, de part sa légitimité dynastique, à savoir dans une position hors du commun. En cela le Roi est irresponsable, inviolable et sacré, selon les termes que l’on peut retrouver dans diverses constitutions.
Aussi si l’on devait qualifier notre président actuel, il serait plus approprié de le qualifier de « monocrate » que de monarque républicain, dès lors qu’il ne respecte pas l’article 20 de notre constitution, qu’il est le chef d’un parti et d’un clan, qu’il n’exerce pas de pouvoir arbitral et qu’il ne respecte pas dans nombreux de ses actes le principe constitutionnel de séparation des pouvoirs.
Garant de la constitution, il en est pourtant le violeur permanent, ce qui, dans toute autre démocratie aurait été immédiatement sanctionné. Il y a donc une différence entre monocratie et monarchie, la première s’apparentant davantage à l’autocratie ou à la dictature, la seconde symbolisant davantage un pouvoir unique et unitaire, en qui chacun peut se sentir représenté.