Le Colloque des morts
Le Poète
I
– Les compagnons deviennent rares.
O chers témoins du souvenir,
Qu’est le destin qui nous sépare
Et saura-t-il nous réunir ?
Je ne peux plus, même à voix basse,
Implorer, de ces mots fervents
Que sut tout homme de ma race,
La charité d’un Dieu vivant
Et nos augustes conseillères
Les grandes lois de l’Etre font,
Immobiles dans leurs lumière,
Un silence qui me confond,
Mais toutes choses sont permises
Que le Tyran ne défend point :
Rien n’apparaît qui m’interdise
De rêver votre vie au loin.
II
O vous, ô vous, personnes blanches,
Pures des maux déjà soufferts,
Je vous distingue sous les branches
Du clos de myrte toujours vert.
Le long des souples asphodèles
S’éveillent de grands yeux surpris,
Je reconnais mes coeurs fidèles
Dans l’entrelas du tamaris.
Vous n’êtes pas les formes vaines
Qu’une pensée en deuil revoit :
Que la présence soit certaine,
Que le bonheur aussi le soit !
– Vous êtes là, je veux entendre
Cette houle de votre sang,
Ce battement sonore et tendre
Qui nous consterne en faiblissant.
Vous revivez tels que vous fûtes
A la fleur de vos mouvements
Dans le rayon de la minute
Où vous étiez parfaitement.
Esprits vêtus de chair ignée,
Souverains maîtres d’un beau corps,
Celui qu’usèrent les années
Dans le caveau repose et dort….
Le premier vers de ce poème n’est pas, comme on pourrait le supposer, celui d’un homme qui a perdu ses « compagnons », tout simplement parce que « le temps l’a fait vieux » et que les amis ont disparu. Maurras a connu très tôt le malheur de ce genre de séparation qui fut le lot quasi quotidien des quatre années de la Grande Guerre.
Le reste c’est la confession du silence métaphysique dans lequel il vit et, malgré celui-ci, sa « théologie » de la mort et de la résurrection.
Je trouve que vous avez bien fait de citer, aujourd’hui, ces vers qui, en dépit de la quasi plainte du début, chante ensuite une espérance qui s’apparente fort à l’espérance chrétienne.
En un sens, comme son maître, Mistral, Maurras professait qu' »on ne meurt pas ».