L’été dernier, Alain de Benoist (1) a accordé à Flash Magazine un intéressant entretien sur Maurras, le royalisme etc… (2).
De tout ce qu’il y a dit nous retiendrons quatre choses : deux, sur lesquelles nous ne sommes pas d’accord, et deux sur lesquelles – quitte à en surprendre quelques uns… – nous sommes d’acccord….
1. Commençons par les deux désaccords : le premier tombe sous le sens, et il est d’une évidence telle qu’il n’appelle pas le moindre commentaires. De Benoist redit ce que nous savons tous, à savoir qu’il n’est ni maurrassien ni royaliste, et qu’il n’a pas changé sur ce point. Nous n’avons, bien sûr, rien à lui dire là-dessus….
C’est sur la seconde chose que nous pouvons lui faire une objection : il réaffirme son attachement à l’Europe, au dépassement des Nations, dans lesquelles il ne croit pas (il ne croit plus) : il met ses espoirs ailleurs. Là, il nous semble que nous pouvons lui faire remarquer que la Crise montrerait plutôt le contraire : dans l’effondrement et l’effacement généralisé des personnalités – genre Barroso… – et institutions – genre Parlement européen, Commission de Bruxelles… – « qui » et « quoi » a surnagé, a survêcu et, finalement a agi ? Des Chefs d’Etats (essentiellement Sarkozy/Merkel), et parce qu’il s’agissait d’Etats, des « chefs de Nations », si l’on peut dire.
La Crise a donc, selon nous, et une fois de plus, montré le bien-fondé de l’analyse de Maurras sur la Nation – sa « victoire », comme dit Boutang. La Nation est et reste le seul et dernier et ultime cadre – surtout quand tout va mal, comme maintenant : alors que cela fait plus d’un siècle que les « Princes des nuées » (comme disait Maurras) pophétisent la fin des Nations : elles sont toujours, là, – et, pour nous, tant mieux; et c’est Maurras qui a eu raison….
2. Venons-en maintenant aux deux points d’accord. Amicalement, de Benoist nous fait deux reproches, à nous, les royalistes :
a) celui d’avoir trop exclusivement mis Maurras en avant, comme s’il n’y avait que lui, et de n’avoir, sinon totalement, du moins la plupart du temps, parlé que de lui….
b) et ce Maurras, de l’avoir trop idéalisé, trop pris comme un maître infaillible, ne pouvant jamais se tromper ni avoir la moindre lacune, en quoi que ce soit.
Au risque d’en surprendre certains, nous pensons que de Benoist n’a pas tort lorsqu’il nous « envoie » ces deux réflexions. Maurras doit être lu, évidemment, mais aussi commenté, poursuivi, prolongé… et sa pensée ne doit pas être considérée comme figée pour toujours : ceux qui se veulent ses disciples ne doivent pas se contenter de répéter sans cesse, au mot près, les mêmes formules. On peut et on doit poursuivre la réflexion de Maurras (comme l’ont fait, en l’enrichissant, Boutang, Thibon….).
Et on doit aussi admettre, bien évidemmment, que l’erreur étant humaine, et Maurras étant un homme, ce penseur, comme tous les autres, a forcément pu, parfois, se tromper, se montrer excessif… sur tel ou tel sujet, ou dans telle ou telle prise de décison ou de position…. Maurras ne doit pas être, car il ne peut pas l’être, l’idole qui jamais n’aurait commis la moindre erreur….
De même, Alain de Benoist nous renvoie à l’une de nos maladresses : nous avons insuffisamment « utilisé » les autres personnalités de notre école de pensée. Certes, Maurras est « un continent », mais nous disposons aussi, par exemple, de la Sagesse que recèlent les écrits de Jacques Bainville. Les avons-nous, depuis 50 ans, suffisamment exploités ?
De ce point de vue, les travaux, les actions d’un Dickès, d’un Olivier Dard etc… sont les bienvenus, puisqu’ils remettent à l’honneur quelqu’un qui a peut-être été, parfois, comme eclipsé par la place trop exclusive donnée au seul Maurras…
Pour conclure ces quelques réflexions, une information pratique, découlant en partie de ce qui précède : nous allons, dès les jours prochains, faciliter l’accès aux textes de Jacques Bainville, en créant une nouvelle Catégorie, Lire Jacques Bainville. Cette Catégorie proposera, régulièrement, un texte, difficilement accessible aujourd’hui, du moins pour beaucoup, tiré – par exemple – des quatre tomes de son Journal : c’est aussi l’un des rôles d’un Blog comme le nôtre que de mettre à la portée du plus grand nombre, d’une façon commode, la lucidité, la pertinence, l’intelligence que l’on trouve dans les analyses et les réflexions de Bainville….
(1) : Les lecteurs de ce Blog connaissent Alain de Benoist, et savent qu’on trouve, dans notre Catégorie Vidéo, l’intégralité du remarquable dialogue qu’il a eu avec Gustave Thibon, lors d’un Dîner-débat d’anthologie, organisé par la Fédération Royaliste provençale. Vous le retrouvez ici : https://www.jesuisfrancais.blog/2011/01/29/debat-de-benoist-thibon.html
(2) : Pour ceux qui voudraient lire l’entretien :
Une chose me rassure : Bainville lui-même ne souscrirait pas aux « deux points d’accord »…
La principale difficulté de la pensée politique royaliste est paradoxalement son extrême jeunesse. Pourquoi en effet traiter de ces questions dans un monde ordonnancé où le Roi, lieutenant du Christ en terre de France, apparaît comme « naturel » dans sa position et sa fonction?…
La politique est née de l’opportunité donnée à chacun de briguer la magistrature suprême: la direction de l’État.
Là, pour asseoir sa « légitimité », pour assurer son pouvoir, la seule solution de l’impétrant est de devoir – et cela à chaque instant – apparaître épaulé par un consensus populaire…D’où les partis, les alliances, l’intervention des groupes de pression, les combines, les marchandages, l’explosion des ambitions personnelles et de l’arrivisme: tout ce qui constitue le lot habituel de nos « activités politiques » actuelles démocrasseuses…L’art politique, « tout ce qui a trait à l’exercice du pouvoir » – au sens où nous le voyons empoisonner notre existence aujourd’hui – est donc une notion quasiment sans objet en régime monarchique.
Pourquoi le Roi devrait-il justifier de l’existence un pouvoir qu’il tient de Dieu?
On comprend dès lors la difficulté à laquelle Charles Maurras s’est trouvé confronté à une époque où l’idée monarchique ne pouvait plus s’imposer qu’à travers une Restauration dans une France républicanisée et laïcisée, déjà tiraillée par des factions diverses.
En ce sens Maurras fut novateur…et il fut bien isolé: la mouvance royaliste n’était pas coutumière de ce genre de démarche intellectuelle…
Et c’est tellement vrai que l’Action Française fut le seul parti politique royaliste d’importance pendant quasiment un siècle, même si, avec des fortunes diverses, d’autre s’y sont essayés après lui…
Je dirai que pour la France, après la mort du Comte de Chambord, Charles Maurras a été au royalisme ce qu’Alexis de Tocqueville à été à la démocratie: un théoricien pionnier…
Ceci explique donc cela…
Ajoutons une légitime répugnance des royalistes à entrer dans ce « jeu » politique effectivement futile avec lequel ils n’étaient pas familiarisés et on comprendra mieux pourquoi une doctrine politique royaliste a tant de mal à paraître exister médiatiquement aujourd’hui face aux partis républicano-démocrasseux qui se répandent en logorrhée médiatique…
l’ouverture, la ré-ouverture d’un débat passionnant et surtout nécessaire, sur Maurras…et les autres, que l’on pourrait (devrait) même élargir encore à « hors les maîtres de l’AF », et même à « hors les royalistes ». Par exemple, Philippe Muray. Une brillante et nombreuse génération d’AF (justement auto-nommée « génération Maurras ») des années 8à-92 à peu près, s’y était essayée. Mal lui en avait pris, les gardiens du temple avaient grondés. Une part non négligeable d’entre elle, que j’ai rejointe (je suis moi génération 75-82) poursuit des coupables activités politiques ou « méta-politiques »(SYLM, GAR, ASC, GLR) dans un esprit et une pratique (nombreux contacts) d’ailleurs « oecuméniques « . Une occasion d’approfondir?
En ce qui concerne Charles MAURRAS, sa pensée est trop riche pour être enfermée dans le formol.
Il est bon que des intellectuels, de nos jours, en l’actualisant, prenant en compte le contexte différent, prolongent la pensée du Maître de l’A.F.
Il est vrai que les gens d’AF ont souvent « figé » la pensée du Maître en oubliant qu’il était, justement à cause de ses principes, l’empirisme né, l’empirisme organisateur. Jean Ousset, qui l’avait bien connu (en même temps que Jean Arfel -notre cher Madiran-) se donnait comme règle, avant toute action: « combien ça coûte, combien ça paye ». Il se souvenait de la phrase de Maurras qui protestait avec sa voix de sourd que la pensée sans l’action n’avait pas d’intérêt: « J’ai voulu fonder une action, une action, une action Française »
Pourquoi ne pas exploiter également la pensée de Joseph de Maistre ?
Il fut un penseur majeur de la contre-révolution.
Comme il y a des gens qui se disent aujourd’hui marxiens et non marxistes, nous sommes maurrassiens et non maurrassistes.D’ailleurs Maurras n’aimait pas que l’on parle de maurrassiens et certainement encore moins maurrasistes.
Bref, nous sommes maurrassiens et exerçons notre devoir d’inventaire de l’héritage du Martégal.
Beau de Loménie n’a pas eu tort d’écrire que « son prestige fut dû, dans une grande mesure, auprès de ses disciples, moins à ses thèses elles-mêmes qu’à l’éclat verbal avec lequel il les exprimait, et aux perspectives poétiques et exaltantes dont il les entourait ».
Ses écrits de jeunesse le proclament, le reste de sa vie en témoigne indirectement : Maurras le raisonneur fut d’abord un sensible.
Le commentaire de Thulé me rappelle en premier lieu l’énoncé de Valéry qui s’applique si bien à Maurras : « Tout classicisme suppose un romantisme antérieur ». Et antérieur ne doit pas être pris en un sens purement chronologique : ce romantisme perdure; simplement, il est ordonné.
Il me rappelle en second lieu les deux vers de Maurras que Thibon aimait à citer lorsqu’il évoquait sa poésie, qu’il aimait entre toutes : « J’ai renversé la manœuvre du monde et l’ai soumise à la loi de mon cœur ».
Je ne crois pas beaucoup, pour ma part, à la théorie des deux Maurras – qui a, bien-sûr, sa part de vérité mais, si on la pousse à l’extrême, sa part d’erreur. Dans son fond, la poésie de Maurras, comme le reste de son œuvre, est, à mon avis, surtout marquée, à travers les années, par une remarquable unité.