(Voici l’Analyse économique de François Reloujac, parue dans le numéro 102 de Politique magazine, décembre 2011)
S’il n’est pas possible de détourner les yeux des Français de la crise, le gouvernement espère pouvoir le faire pour le plan de rigueur.
Lorsque le président Sarkozy a présenté à la télévision le plan qui devait sauver la Grèce et l’euro, avant que le Premier ministre grec ne vienne bousculer ses plans, il a annoncé à la France « une politique rigoureuse » et non pas « une politique de rigueur ». La plupart des commentateurs ont expliqué qu’il s’agissait de la même chose, mais que seul le mot « rigueur » faisait peur ; il convenait donc de ne pas l’employer dans un tel exercice de communication. C’est avoir une bien piètre opinion du Président français. Non, le budget présenté par François Fillon au lendemain du G 20 ne relève pas de la « politique de rigueur » mais bien uniquement d’une « politique rigoureuse ». Elle est rigoureuse car elle va encore une fois peser sur les forces vives du pays, les ménages les plus actifs – ceux qui payent déjà le plus d’impôts ; mais ce n’est pas « une politique de rigueur », notamment parce que le train de vie de l’État ne va pas sérieusement en être affecté ; parce qu’aucune des subventions électoralistes ne va être supprimée.
Depuis quelque temps déjà, les experts économiques à la solde des hommes politiques en place et les journaux spécialisés préparaient le terrain, répétant que la crise économique que nous connaissons aujourd’hui n’est pas, comme on le pense trop souvent, une crise de la dépense mais une crise des recettes. En clair, l’État et les collectivités publiques ne dépensent pas trop ; ce sont les Français qui ne payent pas assez d’impôts ! À l’appui de leur démonstration, ils rappellent que les impôts n’ont pas vraiment augmenté au cours des dernières années alors que les dépenses publiques et para-publiques représentent désormais plus de 55 % du produit intérieur brut (PIB). Nous sommes pourtant prétendument en régime libéral. Il est bon de rappeler que le président Pompidou considérait que lorsque ces dépenses publiques atteignaient 30 % du PIB, tout pays basculait de facto en régime « communiste » ! Il est vrai qu’à son époque les deux premiers budgets de la nation étaient celui de la Défense et celui de l’Éducation nationale.
Aujourd’hui le premier budget est la charge de la dette, autrement dit le montant des intérêts payés chaque année sur les dettes accumulées. Il faut désormais payer ce qui a été collectivement consommé à crédit pendant les années passées.
Les conséquences terribles de la perte du AAA
Mais les dépenses publiques ont été et sont encore le moyen imaginé par les hommes politiques pour acheter la paix sociale. Elles sont devenues l’unique soupape qui permet à la société de ne pas exploser. D’où cet œil rivé sur le « triple A ». Car, si les agences de notation émettaient des doutes sur la capacité de la France à rembourser ses dettes – c’est-à-dire à lever plus d’impôts – elles baisseraient la note de la France. Il s’en suivrait deux conséquences fâcheuses : une augmentation immédiate des taux d’intérêt sur la dette existante – comme l’ont connue, pour d’autres raisons, les collectivités locales – et une plus grande difficulté à souscrire de nouveaux emprunts. La première conséquence se traduirait par l’explosion du premier poste budgétaire, celui de la charge de la dette ; la seconde déboucherait inéluctablement sur une catastrophe économique encore plus grande puisque la France, à leur échéance, ne rembourse pas ses emprunts, elle les renouvelle… en plus grand ! Si la France perd son fameux AAA, non seulement son déficit public se creusera un peu plus, mais encore son handicap vis-à-vis de l’Allemagne, qui emprunte déjà à un taux moitié moindre que celui exigé de la France, se durcira, accroissant d’autant plus les dégâts dus à l’euro. Dans un second temps, cela aura inexorablement pour conséquence d’augmenter un peu plus la charge de la dette tandis que l’activité économique sera de plus en plus déprimée.
La politique conjoncturelle rigoureuse de François Fillon a essentiellement pour objet de mettre un terme aux avantages fiscaux que son gouvernement avait lui-même accordé à certaines catégories de la population en début de quinquennat, ruinant par le fait même les espérances mises à l’époque dans cette politique. Comme le même gouvernement compte toujours sur les dépenses de consommation pour soutenir la « croissance », ce sont donc les ménages qui vont être incités à emprunter. Cela est sans importance, répèteront les thuriféraires sarkozistes, les ménages français sont moins endettés que ceux du Royaume-Uni ou des Pays-Bas. Cette politique paraît sans risque pour nos dirigeants : si elle ne porte pas les fruits médiatiquement annoncés et ne répond donc pas aux attentes officielles, on pourra toujours en imputer la faute aux banques qui n’auront pas assez prêté ou à des taux trop élevés. Le bouc émissaire est tout trouvé ; il n’attend plus qu’on le charge un peu plus. Mais cette politique est de courte vue car ce sont les dépenses de consommation qui sont les plus porteuses de gaspillage et donc de pollution, qui sont les moins porteuses d’activité sur le plan national et qui, actuellement, dégradent le plus la balance des paiements, accentuant ainsi encore plus la distorsion avec l’Allemagne.
reculer pour mieux… chuter ?
Tout ceci n’est qu’un mauvais calcul. Plus les impôts vont augmenter et plus l’activité économique va se contracter, augmentant le nombre des laissés pour compte qu’il faudra bien aider, se répercutant à nouveau sur le niveau des dépenses publiques. Ce double mouvement pèsera inexorablement fort lourd sur les entreprises dont les plus puissantes chercheront leur équilibre économique dans de nouvelles délocalisations. Comme il est toujours très difficile de restreindre son train de vie, il y a fort à parier que le climat social va se détériorer. Mais il sera de plus en plus délicat de répondre aux mécontentements de tous par des avantages catégoriels de plus en plus onéreux. Arrivera un moment où l’accroissement des recettes deviendra quasiment impossible, il faudra bien alors s’attaquer sérieusement au train de vie de l’État et aux prébendes camouflées en subventions. Cette politique aura, certes, des conséquences néfastes sur ceux qui, aujourd’hui, en bénéficient directement ou indirectement mais elle pèsera sur tous.
Or les peuples n’acceptent pas facilement une véritable politique de rigueur. Ils le font lorsqu’un intérêt supérieur est en jeu : la paix ou l’indépendance de la nation par exemple. La nouveauté de ce début de xxie siècle est que cette politique de rigueur aura simplement pour but de permettre de payer les dépenses passées et l’argent gaspillé. Le gouvernement qui saura le faire accepter devra être fort et reposer sur quelqu’un qui inspire confiance, pas simplement jusqu’à l’échéance des élections suivantes. Il devra commencer par redonner à tous l’espoir dans l’avenir car ce n’est que pour ses enfants que l’homme accepte vraiment tous les sacrifices. ■
Anne sur Journal de l’année 14 de Jacques…
“Très beau commentaire en vérité. Je suis d’ailleurs persuadée que Bainville vous approuverait !”