Molière et la Fontaine étaient très amis. Molière mourut le premier. Aujourd’hui, leurs deux tombes s’élèvent côte à côte au cimetière du père Lachaise (ci-dessous). Sur celle de Molière, on peut lire le petit épigramme que La Fontaine composa pour lui, après sa mort :
« Dans ce tombeau gisent Plaute et Térence / Et, cependant, le seul Molière y gît : / Leurs trois talents ne formaient qu’un esprit / Dont le bel art réjouissait la France. / Ils sont partis, et j’ai peu d’espérance / De les revoir. Malgré tous nos efforts / Pour un long temps, selon toute apparence / Térence et Plaute, et Molière sont morts. »
On semble loin de Bainville ? Et pourtant, si l’on y réfléchit…
On semble loin de Bainville ? Et pourtant, si l’on y réfléchit…
N’y a-t-il pas eu un miracle permanent, à L’Action française, pendant près de trente ans : celui de faire vivre vivre côte à côte, dans les mêmes locaux et, pour Bainville et Daudet, dans le même bureau, à la même table de travail, trois esprits aussi dissemblables que Bainville, Daudet et Maurras ? Et – Bainville et Daudet l’ont précisé -sans la moindre dispute ! D’eux trois, réunis sur la même Une prestigieuse de L’Action française, ne peut-on dire – nous voilà à notre point de départ – ce que dit La Fontaine : « Leurs trois talents ne formaient qu’un esprit / Dont le bel art réjouissait la France… « ?
Elu à l’Académie française, en 1935, Jacques Bainville explique les raisons de cette exceptionnelle amitié dans une très belle allocution – très émouvante, si l’on songe que, atteint d’un cancer, il lui reste moins d’un an à vivre… – au cours de la petite fête organisée dans les locaux du journal, alors rue du Boccador :
Ce que fut pendant 28 ans la « Une » de l’Action française, réunissant ces « trois talents ne formant qu’un esprit, dont le bel art réjousissait la France », Marcel Proust l’a expliqué (1) :
« ….Ne pouvant plus lire qu’un journal, je lis, au lieu de ceux d’autrefois, L’Action française. Je peux dire qu’en cela je ne suis pas sans mérite. La pensée de ce qu’un homme pouvait souffrir m’ayant jadis rendu dreyfusard, on peut imaginer que la lecture d’une « feuille » infiniment plus cruelle que Le Figaro et Les Débats desquels je me contentais jadis, me donne souvent comme les premières atteintes d’une maladie de coeur. Mais dans quel autre journal le portique est-il décoré à fresque par Saint-Simon lui-même, j’entends par Léon Daudet ? Plus loin, verticale, unique en son cristal infrangible, me conduit infailliblement à travers le désert de la politique extérieure, la colonne lumineuse de Bainville. Que Maurras, qui semble détenir aujourd’hui le record de la hauteur, donne sur Lamartine une indication géniale, et c’est pour nous mieux qu’un voyage en avion, une cure d’altitude mentale…. »
(1) : Marcel Proust, « Un esprit et un génie innombrables : Léon Daudet », La Pléiade, Essais et articles, page 603.
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