(Analyse économique de François Reloujac, parue dans le numéro de février -104 – de Politique magazine)
En cette période pré-électorale, le gouvernement à court d’imagination doit faire face à une crise sans précédent dont personne ne sait comment sortir. Mais, voulant prouver qu’il maîtrise toujours la situation, il a annoncé la mise en place d’une « TVA sociale ». Ce nouveau slogan destiné à « vendre » aux populations désemparées une nouvelle augmentation des impôts qu’elles supportent directement, est révélateur de l’incurie politique actuelle.
Les mots ont depuis longtemps remplacé la réflexion et les idées ; ils servent de voile à l’absence de vision politique et déguisent en courage la vacuité de l’agitation réformatrice érigée en dogme. Car, si l’on y réfléchit cinq secondes, une TVA n’est ni sociale ni anti-sociale. Ce n’est ni son but, ni même une de ses qualités cachées. L’accouplement des deux termes ne poursuit qu’un seul objectif : faire croire que la purge aura bon goût !
Qu’est-ce que la TVA sinon un impôt sur la consommation ?
Probablement le plus souple et le plus efficace inventé jusqu’à présent. Il suffit de faire varier le taux applicable en fonction des productions frappées pour favoriser telle ou telle d’entre elles, pour pénaliser tel ou tel secteur d’activité. Une TVA très faible – voire à taux zéro – sur les produits de première nécessité permet de donner aux populations les plus défavorisées accès à tout ce dont elles ont besoin sans pour autant les désigner à la vindicte des couches plus aisées qui finissent par avoir l’impression de travailler pour d’autres et contre leurs propres intérêts. La TVA est, dans le monde d’aujourd’hui, le seul impôt non discriminatoire puisqu’il ne dépend pas a priori d’un choix de la population à taxer, mais des choix de consommation de chacun. Cet impôt, né en France, imaginé par un banquier français, Maurice Lauré, a paru tellement intelligent qu’il a été très largement exporté dans le monde entier. Il est devenu, par excellence, l’impôt européen de base. Au point que désormais nul pays n’est plus libre d’en fixer unilatéralement le taux sans tenir compte des fourchettes imposées par l’ensemble de l’Union européenne. Hélas, ces fourchettes sont nettement trop étroites pour donner à chaque gouvernement la liberté d’action suffisante pour faire face aux besoins de sa politique et beaucoup trop larges pour assurer – sans transferts permanents de fonds entre les pays – la stabilité d’une monnaie unique.
Le défaut majeur de la TVA c’est qu’elle est un impôt trop subtil pour ne pas avoir tenté tous ceux qui ont voulu s’en servir à des fins électoralistes, quitte à le dévoyer. On a ainsi manipulé les taux de la TVA pour favoriser certains secteurs d’activité, comme la restauration, par exemple, ou les travaux effectués au sein des bâtiments à usage d’habitation. On a – il fut un temps aujourd’hui révolu – utilisé cette même manipulation du taux de la TVA pour lutter contre l’accès par Minitel à des sites pornographiques. Ces deux exemples, bien connus, mais pris parmi une multitude d’autres, montrent combien la TVA peut servir à mettre en place une politique que l’on n’a pas le courage d’assumer. Et ces politiques sont toujours votées, quasiment sans discussion, par un Parlement qui ne joue plus le rôle pour lequel il a été inventé : consentir à l’impôt, c’est-à- dire aussi refuser l’impôt si celui-ci risque de créer dans la société des désordres plus graves que les avantages qui en sont attendus.
Dernier avatar donc, de cette dégénérescence d’un impôt efficace : la « TVA sociale ». La constatation qui a conduit à en adopter l’idée est incontestable. La solution envisagée est simple à mettre en œuvre. La justification de son adoption peut être résumée en un slogan digne des grandes agences de publicité.
Sa perception est indolore car imperceptible dans la vie de tous les jours. Mais à quoi servira-t-elle vraiment ?
30 juin 2009 : Christine Lagarde, alors ministre de l’Economie et des Finances, pour le lancement de la TVA à 5,5% dans la restauration
Français : consommez plus !
Une augmentation de deux ou trois points de TVA sur les opérations de la vie courante passera inaperçue. Qu’une baguette de pain soit vendue 90 ou 95 centimes n’entraînera pas une révolution. Mais, en fin d’année, appliquée à toutes les opérations marchandes, cela finit par faire plusieurs milliards. La consommation risque-t-elle d’en souffrir ? Certes ! Mais si cela se produit, on pourra toujours accuser les banques de ne pas avoir soutenu ladite consommation en limitant la distribution des crédits à la consommation. Lors de la réforme de ce crédit à la consommation par Mme Lagarde, on a jugé indispensable de développer en même temps des mesures pour rendre les banques responsables des nouvelles situations de surendettement : c’était la seule façon de « moraliser » un système fondé sur un accroissement permanent de la consommation sans aucune augmentation corrélative des salaires distribués. Pour soutenir l’économie nationale, les Français étaient sommés de consommer plus. Mais, comme les entreprises françaises sont déjà grevées de trop de charges, elles ne devaient surtout pas risquer d’être obligées d’augmenter encore les salaires alors que ceux des concurrents étrangers – qui n’ont pas les mêmes charges, ni les mêmes contraintes, mais qui peuvent vendre librement en France – restent nettement moins élevés. Il suffisait donc qu’ils empruntent. Et comme les emprunts à la consommation ne doivent conduire qui que ce soit à l’exclusion sociale, il suffisait de rendre les banques « responsables » des situations de surendettement. Ce qui fut fait !
On s’étonne aujourd’hui que cela n’ait pas permis à l’économie de repartir, ni réduit la tendance des entreprises « françaises » – dont le capital est très largement détenu par des « opérateurs » anonymes étrangers, notamment des fonds de pension – à délocaliser leur production, poussant ainsi le chômage à la hausse et conduisant une nouvelle fois la consommation à la sta-gnation. L’équation est donc la même, mais la solution proposée a fait long feu. Il faut inventer autre chose… tout en respectant le dogme fondamental du libre-échange mondial ! Comment, donc, rendre les entreprises compétitives face à leurs concurrents qui produisent dans des pays où le salaire minimum est inférieur à 150 euros par mois et où les charges sociales n’ont pour but ni de couvrir les retraites ni les dépenses de maladie ? Il suffit de baisser les charges sociales ! Et, pour combler le trou qui en résultera nécessairement alors que les dépenses de retraite et de santé augmentent considérablement – vieillissement de la population oblige –, il suffit de substituer à ces diminutions de recettes une nouvelle source : l’augmentation de la TVA. Du coup, on peut l’affubler du qualificatif de « social » puisqu’elle a pour but officiel de faciliter les « relocalisations ».
Aucun impact sérieux sur l’économie
L’efficacité de la « TVA sociale » ne sera pas supérieure à celle de la loi ayant réformé le crédit à la consommation : elle sera nulle, dans le meilleur des cas. Non pas que l’idée ne soit pas théoriquement défendable mais, si l’on veut qu’elle atteigne véritablement son but – qui n’est en fait qu’une conséquence indirecte –, il faut d’abord une augmentation très importante des taux (de plus de cinq ou six points, voire même dix), ce qui est politiquement insupportable et, de toute façon, contraire aux traités européens. C’est même une mesure dont le seul effet serait d’achever définitivement l’euro. Il faut ensuite imposer aux entreprises qui en bénéficieraient et qui, corrélativement, verraient leurs charges sociales diminuer, soit d’embaucher à due concurrence de nouveaux salariés – ce qui ne serait pas forcément utile dans tous les secteurs de production –, soit d’augmenter à due concurrence les salaires des personnes en place. Cela ne se fera pas. C’est pourquoi l’opposition déclare, dans son langage courant, qu’une telle mesure relève de « l’ultra-libéralisme » ! Quoi qu’il en soit, cette décision n’aura aucun impact sérieux sur le fonctionnement de l’économie ; mais son but ne sera- t-il pas atteint si les entreprises qui en seront les premières bénéficiaires soutiennent, y compris financièrement, la campagne de tel ou tel candidat à l’élection présidentielle ? Finalement, d’un point de vue politique, le candidat qui, sur cette question, a eu le mot le plus juste est François Bayrou : « Le gouvernement d’un grand pays, ça ne se fait pas en improvisant à la dernière minute ce qu’on n’a pas fait pendant cinq ans ». ■
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“Il est bon !!”