On n’est pas toujours d’accord, loin s’en faut, avec lui, mais dans notre quête constante des convergences, fussent-elles inattendues, ce qu’a dit Michel Onfray dans cet article que nous reproduisons aujourd’hui est, de toute évidence, intéressant, et mérite que l’on s’y arrête, et qu’on y réfléchisse.
Car il en dit long sur le délabrement du Système, sur le désenchantement qu’il provoque, et son corollaire inévitable, le désamour… Dans bien des cas, on emploie l’expression « Grandeur et décadence de, ou des… » : le regard, lucide, d’Onfray sur l’état actuel de notre Système, c’est, sans contestation possible, « la décadence » qu’il retient…
C’est dans Le Monde du 17 avril 2012 (Michel Onfray a fondé en 2002, faut-il le rappeler, l’Université populaire de Caen…)
L’élection présidentielle au suffrage universel direct représente une formidable fête pour les passions tristes. Rappelons ce qu’elles sont pour Spinoza : haine, honte, mépris, douleur, mélancolie, horreur, aversion, dérision, désespoir, dédain, crainte, humilité, déception, respect, pitié, appréhension, indignation, pudeur, envie, stupeur, colère, vengeance, blâme, cruauté, repentir, dépréciation de soi, jalousie…
Qui ne reconnaît là ce qui mène le bal depuis des mois qu’on dissimule cette foire aux vanités, cet exhibitionnisme des ego, sous les grands mots : le peuple, la nation, la justice, la liberté, l’égalité, la fraternité, la laïcité ?
L’extrême gauche veut exproprier, déposséder, interdire, défendre, proscrire, elle décoche ses flèches à un troupeau de boucs émissaires : le propriétaire, le bourgeois, le capitaliste, le patron, l’employeur, le banquier, le journaliste.
Sans sourciller, le Front national cite Robert Brasillach et le Front de gauche Robespierre, deux fanatiques qui mettent la Terreur à l’ordre du jour, l’un justifiant l’envoi des enfants dans les chambres à gaz nazies, l’autre légitimant Jean-Baptiste Carrier qui assassine lui aussi les enfants lors des massacres de Nantes au nom de la République jacobine. Peu ou prou, ces deux fronts-là ne sont pas loin de faire eux aussi des ennemis de l’extrême gauche leurs adversaires de prédilection.
Les libéraux, de droite et de gauche, ont moins proposé positivement une vision, que critiqué négativement le programme d’en face qui, hormis des détails de style, de forme et d’emballage, de personnages, d’acteurs, sinon de comédiens, reste le même : le marché qui fait la loi, l’Europe en horizon indépassable, l’euro en vérité de l’économie, le renoncement à la souveraineté nationale au profit du gouvernement technocratique de Bruxelles, la France devenue chambre d’enregistrement de la bureaucratie européenne avec un pouvoir de décider pour elle-même devenu peau de chagrin.
La bipolarisation aidant, faute de programmes les distinguant vraiment sur le fond, deux personnes se sont présentées comme antinomiques, non pas en insistant sur leurs valeurs propres ou leurs vertus singulières, mais en stigmatisant les vices de l’autre : l’énergie de l’un devient énervement pour le camp d’en face, en retour la pondération du premier est transformée en mollesse ; l’action de droite passe pour précipitation à gauche, l’idéal généreux de gauche pour utopie irresponsable à droite. Celui qui est au pouvoir fustige l’incompétence de celui qui n’y est pas ; celui qui n’y est pas pointe l’incompétence de celui qui s’y trouve.
L’humour a manqué, mais pas l’ironie, le cynisme, le sarcasme, la raillerie, le quolibet, la dérision ; le débat a fait défaut, mais pas l’insulte, le mépris, la stigmatisation, l’offense, l’affront, l’outrage ; la grandeur a été invisible, mais nullement la petitesse, la mesquinerie, la médiocrité ; les arguments se sont faits invisibles, mais pas le déni, la mauvaise foi, la dénégation.
L’idéal a manqué chez ceux qui savaient pouvoir accéder au pouvoir ; la responsabilité a fait défaut chez ceux qui savaient ne pas y parvenir : les premiers étaient sans éthique de conviction et n’ont renvoyé qu’à l’éthique de responsabilité ; les seconds enflammaient la conviction avec une rhétorique spécieuse sans aucun souci de la faisabilité. D’un côté, des projets chiffrés sans horizon désirable ; de l’autre, des promesses destinées à briller éternellement dans le ciel des idées.
On peut préférer les passions joyeuses, celles qui augmentent la puissance d’exister, qui créent, assemblent et rassemblent, fédèrent. Elles ne se trouvent pas dans la politique politicienne, mais dans la politique citoyenne. Voilà pourquoi on peut ne pas voter ou voter blanc. Jamais je n’ai eu autant l’impression que Pierre-Joseph Proudhon était d’actualité…
Henri sur Journal de l’année 14 de Jacques…
“D’abord nous remercions chaleureusement le Prince Jean de ses vœux pour notre pays et de répondre…”