(Paru dans le numéro 108, juin 2012, de Politique magazine).
Les deux mots ont dominé l’actualité politico-économique du mois de mai, à Paris comme à Berlin, à Bruxelles comme à New York.
L’austérité est nécessaire parce que les États-Unis d’Amérique, comme tous les pays européens, ont vécu à crédit depuis plus de quarante ans et qu’il faut bien un jour purger ses dettes ou accepter que sa monnaie fasse faillite. La croissance est indispensable car, sans elle, il est vain de penser atteindre le plein emploi. C’est, du moins, le discours officiel. Selon que l’on se trouve avec un excédent de trésorerie, comme l’Allemagne, ou avec un taux de chômage insupportable, comme l’Espagne, on a intérêt à mettre l’accent sur l’assainissement des finances publiques ou sur la nécessaire relance de l’activité économique. Or, s’il est facile d’imposer l’austérité – surtout aux autres –, il est plus compliqué de rétablir la confiance, sans laquelle il est vain d’espérer renouer avec la croissance. La confiance ne se décrète pas, la saine croissance non plus. Car le mot croissance est chargé d’ambiguïté.
L’emploi sert la croissance
C’est une faute grave de prétendre que le plein emploi dépend de la croissance. C’est l’inverse qui est vrai. Si toute la population travaille, dans un emploi productif, alors l’économie sera en croissance. Créer artificiellement des emplois non productifs (les 60 000 fonctionnaires promis par le nouveau gouvernement) n’augmentera pas la croissance de l’économie. Certes, en cas de crise purement conjoncturelle, lorsque l’augmentation du chômage est due à un accident de parcours ou à un ralentissement passager, l’État peut intervenir en « dopant » le système. Dans ce cas, la machine économique peut se remettre en route à condition que ce « dopage » rende confiance aux agents productifs, que les revenus distribués par l’État soient utilisés pour acquérir des produits de l’économie ainsi relancée et que le système ne soit pas maintenu sous « produit dopant » pendant trop longtemps. Le sevrage doit être rapide, sinon il faudra sans cesse augmenter les doses. Au bout du compte, le système économique est détruit de l’intérieur et les « remèdes » n’ont plus aucune efficacité. Ils ne sont plus bons qu’à être jetés ; c’est bien ce qui se passe avec les monnaies dont il convient de rappeler qu’elles n’ont plus aucune valeur intrinsèque objective depuis que Richard Nixon a détaché le dollar de l’or.
La nécessaire consommation nationale
À l’issue du G8, François Hollande s’est félicité que celui-ci ait « été utile et fructueux car il a permis de porter un double message de confiance et de croissance »… Ce ne sont que des mots qui ne permettent pas d’entrevoir l’ombre d’un début de solution ! Angela Merkel, pour sauver la face, a, quant à elle, expliqué que « la consolidation des budgets et la croissance sont les deux faces d’une même médaille »… Pour un peu on aurait cru entendre Jean-Claude Trichet ! Certes, la production économique est une condition nécessaire à la consolidation des budgets. Mais elle n’est pas suffisante. Quant à la consolidation des budgets, elle ne permet pas en soi de relancer la croissance. La consolidation des budgets repose essentiellement sur le fait que l’on ne vit pas au-dessus de ses moyens, que l’on consomme, en valeur, ce que l’on a produit. Chaque fois qu’un individu choisit un produit fabriqué à l’étranger de préférence à un produit équivalent fabriqué sur le sol national, il contribue au déséquilibre des budgets et au ralentissement de l’économie nationale. Si son intérêt individuel le conduit, pour des raisons de prix par exemple, à privilégier le produit importé, il porte, par le fait même, atteinte au bien commun national. Il est possible que, pour l’Allemagne, l’affirmation d’Angela Merkel soit vraie puisque son économie est excédentaire. Mais elle est égoïste. En effet, en contribuant à accroître le déficit budgétaire de ses partenaires européens grâce à un euro dont la valeur relative lui est favorable, l’Allemagne contribue aux difficultés de ses partenaires qui se trouvent dès lors contraints à l’austérité, sans croissance.
François Hollande, en dehors d’apporter indirectement son soutien à la politique d’intégration européenne préconisée par José Manuel Barroso (renforcement des fonds propres de la BEI, redéploiement des fonds structurels…), s’est rallié à l’idée d’un grand emprunt obligataire européen. Il s’agit là d’un constat de faillite de l’euro puisque, voici maintenant plus de dix ans, on nous expliquait qu’avec l’euro tous les pays pourraient emprunter au même taux, le « taux allemand ». Comme on constate aujourd’hui qu’il n’en est rien, on cherche un nouvel artifice : substituer à chaque emprunteur surendetté l’association de ces surendettés… en espérant qu’ils trouveront sur le marché un taux préférentiel. Mais on n’a jamais vu que dans un panier où l’on mélangeait des fruits sains et des fruits pourris, tous les fruits redevenaient sains ! Pour ne pas trop mécontenter les Allemands qui sont hostiles aux « euro-obligations » (« euro-bonds »), François Hollande propose de créer des « project-bonds ». Derrière ce barbarisme – qui vient un peu plus torturer la langue française – se cachent des emprunts affectés à des grands travaux d’infrastructure… sans se soucier du fait que l’Europe est déjà la région du monde où les infrastructures sont les plus développées. Mais ses partenaires font semblant de ne rien remarquer car, comme le remarquait Pierre Rousselin dans Le Figaro du 23 mai, « ils savent que les choses sérieuses commenceront fin juin, au lendemain des scrutins en France et en Grèce ».
Comme les marges de manœuvre vis-à-vis des autres pays sont faibles – on ne peut se passer ni des dollars américains, ni du gaz russe, ni du pétrole du Golfe persique, ni des machines-outils allemandes, ni des jouets chinois – François Hollande se raccroche à l’idée qu’il faut, en France, augmenter la productivité, et, pour cela il la met en « maison de redressement » – appelée de « redressement progressif » dans le Journal officiel du 22 mai 2012. La productivité de l’industrie française ne mérite pas cela. Au nombre d’heures travaillées égal, la productivité des ouvriers français est une des plus fortes du monde. Ce qui plombe la production française, ce n’est pas la productivité du travail mais les charges et contraintes administratives de toutes natures qui pèsent sur les entreprises françaises et sur leur personnel. De ce point de vue Nicolas Sarkozy avait eu raison, mais un peu tard et un peu timidement, d’augmenter le taux de la TVA.
Le problème, c’est qu’aucune politique de long terme ne peut être menée tandis que la répétition des campagnes électorales est propice à la multiplication des promesses démagogiques fort onéreuses. La dernière fut un modèle du genre et parmi les premières décisions du nouveau gouvernement il y a eu, par exemple, la promesse d’abroger, avant sa mise en œuvre, l’augmentation de la TVA. ■
VERDU sur Éloquence : Tanguy à la tribune,…
“Il est bon !!”