Nous étant publiquement étonnés, courant juin, de l’absence totale de cérémonies officielles, en France, à l’occasion du tricentenaire de la naissance de Rousseau, nous avons d’abord reçu un message de la revue Eléments, que nous avons porté à la connaissance de nos lecteurs. La revue nous signalait qu’elle avait publié (dans son n° 143, Avril/Juin 2012) un dossier, effectivement fort intéressant, sur Rousseau (1).
Aujourd’hui, dans un tout autre registre, c’est dans Royaliste que nous trouvons du grain à moudre. On y lit toujours avec profit la page « Idées », brillamment tenue par notre ami Gérard Leclerc, depuis des lustres : c’est parfois ardu, difficile; c’est toujours enrichissant et stimulant…
Elle est consacrée, cette fois-ci à « Jean-Jacques, l’éternel incompris ».
C’est peu dire que de rappeler, comme le fait Gérard Leclerc au début de sa réflexion, combien le « climat » a changé, entre le bicentenaire de 1912 et aujourd’hui. La revue Eléments rappelle d’ailleurs, à ce propos le discours « anti-Rousseau » de Barrès à la Chambre, s’élevant contre la célébration officielle de la naissance du genevois (célébration officielle qui a eu lieu, il y a 100 ans, à la différence d’aujourd’hui) : « profondément imbécile » (pour le Contrat social) et « demi-fou » (pour Jean-Jacques), Barrès n’y était pas allé de main morte !… Comme Jules Lemaître qui, peu auparavant, en 1907, écrivait : « (Rousseau) qui, semble-t-il, ne savait pas bien ce qu’il écrivait.. ». Sans parler bien sûr de « Charles » (Maurras) et son « misérable Rousseau »…
« Énigmatique » revient plusieurs fois sous la plume de Gérard Leclerc pour évoquer Jean-Jacques et son oeuvre. C’est d’ailleurs sur une question que s’achève l’article, excellent, après nous avoir invités à lire Jean Starobinsky ou Karl Barth…. :
(1) : Éditorial : « Rousseau, célèbre inconnu », par Robert de Herte et « Dossier Rousseau parmi nous » comprenant : « Introduction » (par Michel Marmin); « Rousseau le littéraire », par Eric Werner; « Rousseau l’anti-Lumières », par Alain de Benoist; « Rousseau le révolutionnaire conservateur », par Alain de Benoist.
J’ai toujours tenue cette dévotion à Jean-Jacques pour un des grands mystères de nos études de lettres à côté de la dévotion à Saint Just dans nos études d’histoire. Un des plus talentueux imposteurs du XVIII ème, ne sachant que faire de sa protectrice mme De Warens, un jour maman, un jour maîtresse (je me souviens que notre professeur de lettres nous avait lâché qu’il avait l’impression de faire un inceste ; et c’était avant Mai 68 …). Je lui reconnais un don pour disserter sans fin sur des sujets dont il ignorait tout. Je ne retiens que cette lettre de Voltaire, tellement juste qu’elle n’en est même pas cruelle en réponse au Discours sur l’Inégalité « J’ai reçu, monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain… On n’a jamais employé tant d’esprit à vouloir nous rendre bêtes ; il prend envie de marcher à quatre pattes quand on lit votre ouvrage … votre santé est bien mauvaise ; il faudrait la venir rétablir dans l’air natal, jouir de la liberté, boire avec moi du lait de nos vaches, et brouter nos herbes. … ». Visitant un jour le tombeau maçonnique de la République, un certain Panthéon, j’y ai découvert le cénotaphe de ce personnage avec l’allégorie de sa main tenant un flambeau. Explication : la main de JJR éclairant le Monde. En toute modestie. On connait la suite … Et Gérard Leclerc est connu comme un homme particulièrement charitable !
La théorie de Rousseau sur sur l’ »homme naturellement bon » vise d’abord à répondre à la question classique que pose l’existence du mal dans un monde censé avoir été créé librement par un Dieu infiniment bon et tout-puissant.
Ce problème ne peut apparemment se résoudre que de deux façons : soit on disculpe Dieu en expliquant le mal par la faute originelle, c’est-à-dire par le mauvais usage que l’homme aurait fait de sa liberté avant son entrée dans l’histoire ; soit on disculpe l’homme, et l’on est alors obligé de douter de la bonté ou de la toute-puissance de Dieu.
La position de Rousseau est plus originale. Rousseau milite pour la » justification de Dieu ». Contre l’Église, il conteste l’idée de péché originel, qui représente l’homme comme naturellement mauvais. En affirmant que le mal ne vient ni de l’homme ni de Dieu, mais d’un tiers, en l’occurrence de la société, Rousseau n’entend nullement plaider en faveur d’un individu irresponsable, qui attribuerait à la « société » la responsabilité de tous ses actes, ainsi qu’on le lui fait dire couramment. Il vise bien plutôt à répondre à un problème théologique fondamental, auquel toute réflexion spéculative se trouve immédiatement confrontée.
Bien que je trouve les commentaires de Jean Louis FAURE toujours extrêmement intéressants, y compris celui-ci, je ne suis pas très sûr que Gérard LECLERC, soit, au fond, si charitable qu’il y paraît avec Rousseau,
Je viens de relire, dans Bons et Mauvais Maîtres, ce qu’en dit MAURRAS. Et finalement, les imprécations en moins ; en moins, aussi, la grande clarté d’expression, la puissance des idées et des analyses, j’oserai dire, aussi, du « sentiment » qui caractérisent ce texte de Maurras, les mêmes nuances, la même critique fondamentale sur l’égotisme obsessionnel et le subjectivisme, tout en contradictions, de Rousseau, se retrouvent dans l’article de LECLERC.
Maurras est, naturellement, surtout sensible au fait que ce soit essentiellement chez Rousseau que les chefs révolutionnaires ont puisé, à bon ou mauvais droit, le fond de leur inspiration et aux immenses dommages qu’il en est résulté pour la France.
Mais il est vrai, je crois, que d’autres destructions, plus fondamentales encore que strictement « politiques », se sont produites, depuis, à quoi l’influence de Rousseau n’est pas étrangère. Elles atteignent l’essence même de l’homme français et européen. Elles sont d’ordre anthropologique. D’ou, à mon sens, l’objection de fond que Gérard LECLERC maintient envers Rousseau. Elle n’est pas mince !
Ainsi exposée, la position de Rousseau, politiquement, est peut-être originale, mais à quoi mène-t-elle ? A quoi sert d’inculper la société ? Quel sens peut bien avoir cette mise en cause ? Il n’y pas pas d’hommes sans société. Et cette dernière en est la réunion, non contractuelle, mais organique. Inculper la société ne revient-il pas à inculper les hommes qui la composent ?
Sur la question de la « justification de Dieu », qui dépasse, bien-sûr, le domaine politique, où nous prétendons, ici, seulement, à quelque compétence, j’ai, un jour, entendu René Rémond répondre à une question analogue : « la vérité est que Dieu n’est pas tout-puissant ».
Dieu, en effet, n’avait-il pas le pouvoir de créer un monde d’où – à la fois – le mal serait absent et où l’homme serait libre ? Si la question – contraire au Credo des Chrétiens – leur paraît digne d’attention, les « théologiens » y répondront.
En fait, mon cher Anatole, pour Rousseau, l’homme à l’état de nature n’est ni bon ni mauvais, pour cette raison élémentaire qu’il n’y a pas en lui de moralité. Plus que « bon », l’homme est naturellement innocent; il n’est ni bon ni mauvais (ou à la fois bon et mauvais).
La pitoyable réponse de René REMOND que cite Anatole est criante de vérité. Il était imprégné de MRPisme. Sa classification des droites françaises est primaire et superficielle, mais elle a enchanté les universitaires qui aiment enfermer l’Histoire dans des schémas simplistes.
Un jour de 1985, je lui avais pronostiqué que le Front National aurait une trentaine de députés aux élections de l’année suivante. Le fameux politologue s’est esclaffé : « Mais vous n’y pensez pas ! Le Front National n’aura AUCUN député ! Ou alors peut-être un à Marseille… » Il en a eu 33, si ma mémoire est bonne.
Je n’ignore pas que le sujet du débat est ROUSSEAU et non pas REMOND, mais le second appartient à la progéniture du premier.
Voici le portrait que dresse Charles Maurras du » misérable Rousseau » : » Ni l’esprit de famille, ni l’esprit de parti, ni cet intérêt politique qui aurait modéré tout autre Genevois n’étaient capables de tempérer la rage mystique de ce batteur d’estrade malheureusement né, fouetté de travers par une vieille demoiselle, et gâté jusqu’aux moelles par ses premiers amis. Capable de tous les métiers, y compris les plus dégoûtants, tour à tour laquais et mignon, maître de musique, parasite, homme entretenu, il s’est instruit à peu près seul : comme le capital intellectuel, le capital moral lui fait défaut […] Né sensible et versatile, tout à fait impuissant à s’attacher avec force à la vérité, ses raisonnements différents ne concordent jamais qu’à la cadence de sa plainte, et l’on trouve chez lui, à doses presque égales, l’homme criminel, l’homme sauvage et le simple fou ». Un tantinet exagéré peut-être ?