Notre République idéologique adore donner des leçons de morale : à la terre entière, à l’extérieur comme à l’intérieur; elle adore juger, moraliser, condamner (1); mais si elle balayait un peu devant sa porte, au lieu de ne pas être gênée du tout par ses profondes contradictions internes ? Si elle regardait un peu ce qu’ont dit – et fait … – ses grands hommes, ses grands ancêtres ? Car c’est, plus que souvent, très édifiant !
Ainsi, on ne compte plus les Rues, Places, Lycées, Bâtiments et Edifices divers portant le nom de Jules Ferry; un « grand ancêtre » qui, pourtant, dans les extraits du texte suivants, explique, développe, justifie tranquillement rien moins que… le colonialisme et le racisme !
De Jules Ferry, Discours sur la colonisation (28 juillet 1885, extraits) :
« …On peut rattacher le système (d’expansion coloniale, ndlr) à trois ordres d’idées : à des idées économiques, à des idées de civilisation… à des idées d’ordre politique et patriotique ».
(1) : le cas le plus emblématique étant la condamnation de Maurras pour « Intelligence avec l’ennemi », alors qu’un Otto Abetz déclarait : « L’Action Française est l’élément moteur, derrière les coulisses d’une politique anti-collaborationniste, qui a pour objet, de rendre la France mûre le plus rapidement possible, pour une résistance militaire contre l’Allemagne ».
Ce qui manque à notre grande industrie… ce qui lui manque le plus, ce sont les débouchés… La concurrence, la loi de l’offre et de la demande, la liberté des échanges, l’influence des spéculations, tout cela rayonne dans un cercle qui s’étend jusqu’aux extrémités du monde… Or, ce programme est intimement lié à la politique coloniale… Il faut chercher des débouchés.
Il y a un second point que je dois aborder… : c’est le côté humanitaire et civilisateur de la question… Les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. Je dis qu’il y a pour elles un droit parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures.
Il n’y a pas de compensation pour les désastres que nous avons subis… Mais est-ce que le recueillement qui s’impose aux nations éprouvées par de grands malheurs doit se résoudre en abdication ? … je dis que la politique coloniale de la France s’est inspirée d’une vérité sur laquelle il faut rappeler votre attention : à savoir qu’une marine comme la nôtre ne peut se passer, sur la surface des mers, d’abris solides, de défenses, de centres de ravitaillement.
Rayonner sans agir, en regardant comme un piège, comme une aventure toute expansion vers l’Afrique ou vers l’Orient, vivre de cette sorte pour une grande nation, c’est abdiquer… »
(Jules Ferry, alors Président du Conseil, prononce ce discours devant les députés français. Chargé des affaires étrangères depuis 1883, il a entraîné la France dans une politique de conquêtes coloniales. Quelques mois après la défaite de Lang-Son, en Indochine (28 mars 1885), qui a grossi le camp des adversaires de sa politique coloniale, Ferry s’exprime donc à l’Assemblée dans le but de convaincre les députés de la nécessité de poursuivre l’expansion coloniale).
– Il est incontestable que la République est un système idéologique. K. Marx a démontré que tous les systèmes institutionnels le sont nécessairement, et aucune République n’a pu éviter de censurer une pensée marxiste qui énonce que l’Etat, monarchique ou républicain, à lui seul suffit à prouver l’aliénation légale de la majorité par une élite. Et que la puissance d’un Etat est proportionnelle à l’aliénation de l’individu.
Le gadget idéologique de la démocratie républicaine a exactement le même rôle que celui, équivalent, de la monarchie de droit divin : il sert de couverture aux entreprises de l’oligarchie, même si c’est bien sûr plus malin d’accorder la souveraineté théorique au peuple qu’à un soi-disant représentant de dieu sur la terre ; plus malin, et mieux adapté aux nouvelles formes de la propriété bourgeoise. La bourgeoisie s’est servie du prolétariat comme la monarchie auparavant s’était appuyée sur la paysannerie.
– Vous ne pouvez pas nier que l’essor de l’Etat a eu lieu sous la monarchie et que sous la Régence de Louis XV cet essor de l’Etat est lié à l’aventure coloniale. La monarchie a donc préparé son dépôt de bilan et la reprise de l’entreprise France par la bourgeoisie, suivant l’adage : tel est pris qui croyait prendre. L’idéologie est comme la tapisserie : de temps en temps il faut la changer, et on ne peut pas reprocher à la bourgeoisie d’avoir renouvelé le cérémonial.
– L’idéologie propre à Maurras est celle-ci : il dit son dégoût de l’argent, mais jamais n’explique comment le sacro-saint pouvoir politique peut se passer de pognon, jetant le manteau de Noé sur l’assassinat quasi rituel des créanciers de la monarchie par ses sbires. Maurras n’est pas très loin de Rousseau, puisque celui-ci ne dit pas non plus comment la société peut se débarrasser de la propriété d’où vient toute corruption. Rousseau a d’ailleurs une connaissance bien moins idéologique de la monarchie que Maurras, puisqu’il y a vécu et qu’il a fréquenté une partie de son élite intellectuelle.