(Comme tous les textes publiés dans cette catégorie, celui-ci, aussitôt paru, est incorporé à notre album Maîtres et témoins…(II) : Jacques Bainville. – 121 photos)
Dès que certaines questions sont posées, elles exigent impérieusement une réponse. L’esprit n’a plus de repos jusqu’à ce qu’il ait reçu une explication qui le satisfasse. Et les livres qui offrent un aliment à cette curiosité après qu’ils l’ont fait naître sont toujours sûrs de retenir le lecteur.
L’ouvrage de M. Louis Madelin, la Contre-Révolution sous la Révolution est de cette nature. Que dit l’auteur dès les premières pages ? Des choses qui ne sont pas nouvelles ni inconnues mais qu’il rapproche et dont le rapprochement suscite un problème.
Tout le monde sait qu’en 1789 la France ne désirait à aucun degré une révolution dans le sens que le mot a pris par la suite. Dans le vieux langage révolution signifiait changement et, en quelque sorte, changement périodique. Montesquieu parlait des révolutions qui se produisent tous les dix ans dans les sociétés. Il en parlait comme un astronome. Lorsque le chancelier Maupeou avait dissous les Parlements, on avait dit « la révolution de Maupeou ». Quand on prononçait le mot de révolution au moment de la convocation des États généraux, personne n’entrevoyait des échadauds ni toutes les choses terribles que le même vocable a représentées depuis. Si l’on se fût douté alors de ce qui allait se passer, il est probable qu’on eut dit « éversion », terme employé d’ailleurs aussi bien par les écrivains contre-révolutionnaires que par les écrivains révolutionnaires à la chute de la monarchie.
C’est devenu un lieu commun de dire que, la chute de la monarchie, la France ne la voulait pas et que, selon le mot d’Aulard, il n’y avait pas dix Français pour désirer la République ni pour la croire possible. Les Cahiers en font foi. Marat et Robespierre sont témoins comme David et la Sibylle. On a du reste découvert que Marat dans ses violences appelait un dictateur et que ses frénésies préfiguraient une sorte de national-socialisme. Quant à Robespierre, il est un de ceux dont la disparition a laissé le plus d’énigmes.
C’est également devenu un lieu commun de dire que les Français, en 1789, aspiraient à l’égalité et non pas à la liberté. Ils ont toujours fait bon marché de la liberté politique. Être libre c’est surtout être égal. Louis XVI, et ce fut son énorme erreur, ne comprit pas que la nation, loin de se plaindre d’un excès d’autorité, était prête à accorder au roi, pour accomplir les réformes, beaucoup plus de pouvoirs qu’il n’en avait et qu’il n’était capable d’en prendre, si d’ailleurs son esprit n’eût été rempli d’idées contradictoires et qui, en se heurtant, provoquèrent la catastrophe. Car il avait bien convoqué les États généraux avec l’intention de se servir du Tiers contre les deux autres ordres réfractaires, tandis qu’il restait fidèle au système fénelonien, aux Tables de Chaulnes, au pot-pourri du libéralisme féodal et à la mythologie d’une prétendue constitution de la monarchie française, ce qui annulait les actes du malheureux souverain et lui avait fait commettre la première faute d’où les autres découlèrent, c’est-à-dire le rappel des Parlements, véritable cassation du testament de Louis XV, accomplie au nom du respect dû aux vieux corps de l’Etat. Si l’on cherche la raison pour laquelle le Comte de Chambord a manqué le trône, peut-être la trouve-t-on dans son mot : « Quand vous voudrez, nous reprendrons le mouvement de 1789. » Il lui semblait que ce mouvement avait dévié. Ainsi Louis XVI croyait ramener la France à un état historique purement imaginaire.
Louis XVI devenu roi avait, nous venons de le dire, rétabli les Parlements et appelé au ministère Turgot avec un programme de réformes que les Parlements combattirent comme ils devaient les combatttre, c’est-à-dire avec fureur. En 1789, il recommença exactement la même faute en vertu des mêmes principes. C’est ainsi que la monarchie fut conduite à une chute dont personne ne voulait et nous revenons après ce détour nécessaire au sujet du livre de M. Madelin.
La France, en 1789, est toute royaliste. Les convulsions arrivent par les erreurs énormes du gouvernement. L’ensemble du pays reste conservateur et modéré. Il ne réprouve pas seulement les excès. Militante ou non militante, la contre-révolution se manifeste pendant tout le cours de la Révolution. C’est elle qui donne au 9 Thermidor le caractère d’une réaction. Pour se défendre contre elle, les régicides se forment en syndicat et, à la fin, se font protéger par Bonaparte que le pays accepte parce qu’il ramène l’ordre et met fin à la République. En dix ans tout est fini. Le « mouvement de 1789 » a renforcé l’autorité. Mais, sous le nouveau régime, la monarchie bourbonienne garde de telles racines qu’en 1814 elle peut être restaurée. On doit continuer d’ailleurs cette histoire. La France au dix-neuvième siècle, malgré 1830, malgré 1848, reste foncièrement modérée. Elle absorbe toutes ses révolutions. En tenat compte de la permanence de ce phénomène, comment expliquer que la Révolution française ait duré dix ans au lieu de se terminer, comme elle l’aurait dû, après quelques mois d’une frénésie réprouvée par l’ensemble de la nation ? (à suivre)
C’est chez Fénelon, auteur du Télémaque et des Tables de Chaulnes – dont parle ici Bainville – que Louis XVI puisa une bonne part de sa formation; ou dé-formation puisque, dans l’un comme dans les autres, Fénelon propose de toutes façons, comme modèle d’organisation politique, une sorte d’âge d’or, de monde idéal qui n’a jamais existé, en tous cas en France.
Plutôt que d’observer froidement les réalités, comme le faisaient les Rois depuis mille ans avant lui, Louis XVI agit donc, d’une certaine façon, comme un idéologue, et par idéologie : ainsi s’explique son suicidaire rappel des Parlements, « la première faute d’où les autres découlèrent… véritable cassation du testament de Louis XV, accomplie au nom du respect dû aux vieux corps de l’Etat.. », comme le note si justement Bainville…
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