Mardi matin, sur France Inter, Patrick Cohen (à gauche) reçoit l’économiste Daniel Cohen (à droite).
Suivant le conseil de notre titre, écoutez cet enregistrement étonnant. Et dans les propos de Daniel Cohen, identifiez ceux qui recoupent assez exactement certaines des analyses que nous avons publiées, ici, sur ce blog.
Etonnant, n’est-ce pas ? Nous vous épargnerons les redites !
Effarant;Du Blabla et du Blabla de plus sur France inter annoncé comme une revelation.
Là je ne comprends plus rien.
Sur votre recommandation,je me suis coltiné 16mn56 de discours sirupeux truffés de convenance avec une conclusion typique France inter;
Tout va bien la BCE va nous sauver,Mario Draghi a tout compris.
France Inter est par definition l’organe du systeme Ripoublikhain qui nous manipule depuis si longtemps avec une derniere phase intensive depuis 35 ans (le commencement de la fin).
France inter est le modele meme de la propagande UMPS
de la bien pensance .
Je croyais etre sur un blog thematique « royaliste ».
Ce que vous dites sur France Inter n’apporte rien. Tout le monde le sait.
Si vous avez un minimum d’esprit critique, vous distinguerez sur quels points nous sommes d’accord avec Daniel Cohen et sur quels autres nous ne le sommes pas.
Nous ne pouvons pas échanger seulement avec nous-mêmes. Le face à face Machin – Elec33, ça ne va pas très loin.
Nous devons nous intéresser à tout ce qui se dit, s’écrit, se pense dans notre pays, si nous voulons amener à nos idées, un jour, une large frange de Français.
L’esprit de secte ne mènerait à rien.
Sans pouvoir faire état des différents tableaux et graphiques venant à l’appui de cette démonstration, faute de place, la note ci-dessous de Jacques SAPIR est claire et significative sur ce qui nous attend.
Jacques SAPIR
Septembre 2012
La crise, ses causes, ses dilemmes et ses solutions.
La crise de la zone Euro est largement analysée comme une crise des dettes souveraines. Cette analyse conduit à donner une priorité à la réduction des déficits et de la dette, ce qui mène à l’adoption de politiques d’ajustement plus ou moins brutales suivant les pays. Or, aujourd’hui, il est clair que ces politiques ne fonctionnent pas et, en réalité, aggravent la situation à la fois dans les pays considérés mais aussi dans l’ensemble de la zone Euro. En réalité, c’est l’analyse de base qui est en cause. La crise de la zone Euro n’est pas une crise de la dette mais une crise issue des décalages accumulés de compétitivité, en raison de l’impossibilité, depuis 1999 de compenser ces dits décalages par des dévaluations. Ces décalages ont conduit les pays à accumuler des dettes excessives dans le long terme (depuis 1999) même si des causes conjoncturelles ont aussi joué.
Dans ce texte, nous analyserons ces politiques, les raisons de leur inefficacité et leurs conséquences, avant d’aborder la question de l’avenir à court et moyen terme de la zone Euro.
I. Des politiques qui « ne marchent pas ».
Des mesures, souvent extrêmement brutales d’ajustement structurel ont été mises en place, soit par décision du gouvernement soit dans le cadre d’accords de refinancement par les institutions européennes (FESF puis MES), dans les différents pays qui connaissent des problèmes importants pour refinancer leurs dettes. Ces politiques sont par ailleurs en passe d’être consolidées par le nouveau Traité Européen qui devrait être ratifié d’ici à cet hiver.
Ces politiques sont largement comparables à celles qui ont été mises en œuvre au début de la Grande Dépression des années 1930 (en particulier en Allemagne) et dont il est acquis qu’elles ont aggravé dans des proportions considérables cette crise.
On constate cependant aujourd’hui, avec désormais de 2 à 3 ans de recul que ces politiques ne donnent pas les résultats escomptés. Une analyse des rentrées fiscales menée sur 3 pays (Grèce, Espagne et Italie) le montre éloquemment.
Le montant du déficit budgétaire pour les 6 premiers mois de 2012 est équivalent à ce qu’il était en 2011 (Grèce) voire 2009 (Espagne et Italie) et ce en dépit des coupes sauvages réalisées dans les budgets.
La raison s’explique par un effondrement des recettes, consécutif à la contraction du PIB dans ces pays, contraction du PIB qui, elle-même, résulte des politiques d’ajustements budgétaires.
En effet, la TVA, qui représente la principale ressource fiscale, tend à se contracter plus que proportionnellement que le PIB. Les autres impôts n’ont que des rendements aléatoires dans un contexte de récession ou de dépression généralisée.
À cela, on peut ajouter des causes spécifiques dans les différends pays, comme la faible efficacité de l’administration fiscale en Grèce, les conséquences des impayés publics en Espagne, etc…
Cette situation entraîne un dérapage à la hausse des déficits publics dans divers pays.
Les divers centres de recherches en économie (dont le CEMI-EHESS) sont ainsi amenés a estimer l’ampleur probable du déficit, que ce soit pour 2012 ou pour 2013. Les différences sont ainsi significatives avec les chiffres indiqués par les gouvernements, et devraient atteindre en 2013 l’équivalent de 3 points de PIB pour l’Espagne et la Grèce, 2,5 points pour l’Italie, 1,5 points pour le Portugal et la France.
Le cas de la Grèce est particulièrement tragique. Des mesures tant fiscales que budgétaires (recettes et dépenses) drastiques, dont les conséquences sont clairement dramatiques, ne ramèneront le déficit que de -9,1% du PIB en 2011 à -7,9% en 2013.
Pourtant, les efforts fiscaux réalisés par ce dernier pays sont loin d’être négligeables, comme le démontre le tableau suivant.
Les données indiquent donc clairement que les politiques d’ajustement budgétaire aujourd’hui mises en place ne fonctionnent pas.
II. Pourquoi ces politiques ne fonctionnent-elles pas ?
Il faut alors s’interroger sur la raison de l’inefficacité, voire de la perversité, de ces politiques d’ajustements.
Elles sont fondées sur une erreur de perspective.
L’erreur de perspective est induite par les comparaisons qui sont fréquemment faites. En effet, des politiques d’ajustement budgétaires ont été menées avec succès dans certains pays, comme le Canada ou les pays Baltes. Mais, la volonté d’en extrapoler des recommandations pour les pays européens a produit l’oubli des conditions spécifiques qui ont pu expliquer leur succès à un moment donné.
Dans le cas du Canada, si la politique d’ajustement a porté ses fruits, ce fut grâce à l’effet de traction assuré par l’économie des Etats-Unis et, secondairement, de l’Europe. La baisse de la demande intérieure a pu être compensée par la hausse de la demande extérieure. De plus, il ne faut pas oublier que le Canada est un producteur de matières premières (énergie, bois, métaux), et que la hausse des prix de ces dernières, pour une partie du cycle d’ajustement budgétaire, a fortement joué.
Pour les pays baltes, la taille microscopique de ces économies a permis aux économies extérieures de jouer pleinement le rôle de « tracteur » lors des politiques d’ajustement. Notons que le commerce entre la Russie et l’UE passe pour partie par les Pays Baltes, et que ces derniers ont largement profité du rétablissement de la Russie de 1998 à 2008.
Les politiques d’ajustement qui ont été menées tant au Canada qu’aux Pays Baltes n’ont donc été possibles qu’en raison de phénomènes extérieurs importants, et de la petite taille de ces économies relative à leur environnement. Vouloir isoler ces politiques de leur contexte ne peut que conduire à des erreurs importantes de perspective, et induire des catastrophes quand on essaye de les imiter.
Elles sont fondées sur une erreur de contexte.
De plus, des erreurs tout aussi importantes ont été commises quant au contexte extérieur qui accompagne la mise en œuvre de ces politiques européennes d’ajustement.
Tout d’abord, le poids des économies soumises à l’ajustement fiscal et budgétaire au sein de la zone Euro est très loin d’être marginal.
Si l’on considère les pays appliquant les formes les plus brutales des politiques d’ajustement, ils représentent déjà 35% de la richesse de la zone Euro. Si l’on y ajoute des pays appliquant (pour l’instant) des formes plus modérées, on atteint 65%, soit les deux tiers.
On voit que l’un des problèmes du contexte vient de la simultanéité de ces politiques dans des pays représentant une part importante de la richesse de la zone.
Mais, le problème du contexte ne se limite pas celui de la simultanéité. Ces politiques sont appliquées alors que l’économie mondiale, y compris les pays émergents, connaît sa crise la plus grave depuis celle des années trente. Dès lors, l’ajustement budgétaire et fiscal réalisé dans ces pays vient ajouter des effets à ceux de la crise mondiale. En d’autres termes, ces politiques se révèlent brutalement pro-cyclique dans une période de récession qu’elles contribuent à aggraver, ce qui permet de comprendre pourquoi elles contribuent à empirer la situation.
Elles sont fondées sur une erreur de jugement.
Ces politiques contiennent, de plus, de nombreuses erreurs théoriques.
D’une part, elles supposent que l’on peut couper dans les dépenses, ou accroître les impôts, sans effets sur la croissance, ce qui est faux, à l’évidence. Plus subtilement, elles sont fondées sur des hypothèses et des calculs qui n’intègrent pas ou peu les effets de contexte sur les agents. Or, ces effets sont importants avec le changement des règles tant fiscales qu’en matière de dépenses publiques. Pourtant, on sait depuis longtemps qu’une remise en cause des prestations de retraites, par exemple, produit une modification immédiate des comportements d’épargne (propension à épargner), qui implique que la contraction de la consommation est proportionnellement plus importante. De même, des modifications à répétitions du cadre fiscal induit une incertitude extrêmement dommageable pour les entreprises. Ces dernières vont alors réduire plus qu’il n’est nécessaire le niveau de leurs investissements.
D’autre part, ces politiques prennent pour constant le « multiplicateur des dépenses publiques » qui lie les dépenses publiques au PIB, sans prendre en compte le fait que selon la nature des dépenses qui seront réduites, il peut augmenter, ou au contraire diminuer, très fortement. On le constate actuellement avec le cas de l’Espagne, mais aussi de la Grèce. En fait, ces politiques s’appuient sur une analyse agrégée des politiques fiscales et budgétaires et elles négligent les transformations, tant dans les comportements que dans les mécanismes de transmission des effets de ces dites politiques, à l’échelle sectorielle. Elles oublient que le « multiplicateur » correspond en réalité à une moyenne, et que ses composants sont susceptibles de fluctuer de manière importante. Elles raisonnent de manière quantitative quand l’importance des ajustements qui sont tentés suggère que des modifications qualitatives importantes se manifestent. La vieille erreur de l’économie standard, le raisonnement « ceteris paribus » (toutes choses étant égales par ailleurs) se manifeste ici dans toute son ampleur.
Elles sont fondées sur une erreur d’analyse.
Enfin, ces politiques reposent sur une erreur d’analyse. La crise actuelle n’est pas une crise des dettes souveraines, mais une crise de la compétitivité relative des économies fonctionnant au sein de la monnaie unique. Il faut le dire et le redire : c’est l’ouverture des écarts de compétitivité qui a provoqué la crise de la dette et non l’inverse. Il en résulte qu’à vouloir traiter une maladie par les symptômes, il n’est pas étonnant de voir l’état du malade se détériorer toujours plus.
Ces écarts de compétitivité, qui peuvent être mesurés par les indices du coût salarial réel (salaire/productivité) ont éclaté depuis 2002.
C’est l’existence de ces écarts qui oblige les pays ne pouvant plus dévaluer depuis 1999, soit à déprimer leur demande intérieure et par là leur croissance (cas de l’Italie) soit à subventionner leurs entreprises ou leurs ménages, aboutissant ainsi au gonflement d’une dette soit publique soit privée. La distinction entre les deux formes de dettes est largement artificielle, comme on l’a vu dans le cas de l’Espagne, car dès que les problèmes rencontrés par ces économies deviennent véritablement sérieux, il y a un mouvement de compensation des dettes privées vers la dette publique.
De plus, il y a un lien quasiment circulaire entre la productivité et la dépression. Au départ, des gains insuffisants en productivité (par rapport à l’accroissement des salaires) détériorent la compétitivité et conduisent à l’accroissement de la dette par le mécanisme décrit. Mais, une fois les politiques d’ajustements fiscales et budgétaires mises en place, et la forte contraction de l’économie, on se rend compte que les gains de productivité ralentissent, voire s’inversent, au contraire de ce que prétend l’économie dominante.
Ce phénomène est lié aux rendements croissants qui existent dans l’industrie, mais aussi à des rigidités techniques qui font que l’emploi ne peut se contracter aussi vite que la production. Cette baisse, relative ou absolue, de la productivité détériore encore un peu plus la compétitivité du pays et dégrade, bien entendu, les résultats des entreprises. Ces dernières, soumises par ailleurs à une instabilité du cadre fiscal (politique d’ajustement fiscal) réduisent plus qu’il n’est nécessaire les investissements, ce qui provoque un surcroît de contraction de la production.
III. Le risque d’une « grande dépression ».
Dans la situation que nous connaissons actuellement, le risque d’une « grande dépression » à l’échelle européenne apparaît de plus en plus probable si les politiques d’ajustement ne sont pas interrompues. Cette « grande dépression » qui nous menace n’aura pas que des effets économiques et sociaux. Politiquement, elle fera disparaître l’Europe comme acteur important à l’échelle mondiale et provoquera la remontée dramatique des facteurs de conflits au sein de l’Europe. Les divers antagonismes, dont l’antagonisme franco-allemand, se réveilleront inévitablement.
Les conséquences de l’ajustement budgétaire et fiscal.
D’après les prévisions que l’on peut faire il faudra une réduction supplémentaire du déficit public pour que les engagements des gouvernements soient tenus. À multiplicateur budgétaire constant, hypothèse qui s’est avérée fausse, la correction budgétaire supplémentaire pour atteindre les objectifs en matière de déficit budgétaire devrait engendrer une nouvelle contraction de la croissance qui pourrait atteindre 0,9% du PIB en France en 2013, 1% au Portugal, 1,5% en Grèce, 1,7% en Italie et 10% en Espagne. Pour ce pays, les experts ont cependant recalculé le multiplicateur des dépenses publiques, afin de tenir compte de la divergence importante entre les précédentes prévisions et la réalité. Il en découle que, pour 2013, les taux de croissance devraient être largement différent des prévisions, comme on peut le constater sur le tableau 5.
Ce dernier présente les prévisions établies par trois institutions internationales, sur la base des données fournies par les gouvernements (FMI, OCDE et Commission Européenne), des données rassemblées auprès de nombreux prévisionnistes, mais qui datent d’avant juillet 2012, les prévisions du service des recherches de NATIXIS, et enfin les chiffres corrigés à partir des nouvelles données.
On voit que l’Espagne subirait une dépression impressionnante, et que les résultats de l’Italie, du Portugal et de la Grèce sont appelés à être très mauvais. La France, quant à elle, serait « officiellement » en récession, après une croissance quasi-nulle sur une partie de 2012.
Ces chiffres appellent les commentaires suivants.
Les chercheurs de NATIXIS, dans le cadre de leurs « nouvelles estimations » ont probablement surévalué le « multiplicateur » en raison des erreurs commises au précédent. En fait, il est probable que la baisse du PIB ne devrait pas excéder, si la politique de rigueur est appliquée dans sa totalité, les – 8% pour 2013, mais qu’une correction plus importante devrait être faite sur 2012 (et peut-être 2011)[2]. Par contre, ils sous-estiment très probablement le phénomène de dislocation de l’économie grecque, qui devrait connaître une baisse plus importante que les -2,8% prévus.
Globalement, et à l’exception de l’Espagne, on devrait avoir un écart de 3 points environ entre les prévisions de la Commission Européenne et la réalité pour 2013 pour l’Italie, le Portugal et la Grèce, et d’au moins 1,5 points dans le cas de la France.
Les conséquences du point de vue de l’accroissement du chômage peuvent être imaginées. On devrait connaître un nouveau bond de ce dernier en Espagne, et une forte augmentation dans le cas de la France et de l’Italie.
Pour la France, les prévisions de 500 000 chômeurs supplémentaires de juillet 2012 à juin 2013 qui ont circulé depuis la fin du mois de juin 2012 sont très probablement inférieures à ce que sera la réalité. Il faut ainsi s’attendre à une hausse sur ces douze mois d’au moins 600 000 chômeurs et peut-être de 750 000 si le gouvernement renforce l’ajustement tant fiscal que budgétaire.
L’illusion de la « relance européenne ».
Dans ces conditions, que pourrait signifier une hypothétique « relance européenne » ?
Il faut commencer par faire un sort au « codicille » concernant la croissance, rajouté à la sauvette au nouveau « Traité Européen ». Les sommes sont dérisoires par rapport aux besoins : 120 milliards d’euros, qui plus est étalés sur trois ans. Cela ne représente même pas, par année, 1% du PIB des pays considérés.
À l’échelle française, le même constat peut être dressé concernant les diverses mesures pour l’emploi, soit la création de 50 000 emplois aidés pour 2013 (150 000 sur trois ans) et la mise en place des « contrats de génération ». Avec des hypothèses optimistes, ces différents dispositifs devraient aboutir à la création de 120 000 emplois « aidés » en 2013. Ceci ne représenterait que l’équivalent de 3 mois d’accroissement du chômage !
Plus sérieusement, dans le cas d’une relance « symétrique » (autrement dit affectant de même manière tous les pays) que l’on imagine alors pouvoir être financée par la Banque Européenne d’Investissement, le problème des écarts de compétitivité se posent immédiatement. Admettons que des sommes suffisantes (probablement de l’ordre de 300 à 450 milliards d’euros par ans) soient engagées. Cette demande supplémentaire profiterait massivement à l’Allemagne, et détériorerait d’autant la balance commerciale de pays comme l’Espagne, le Portugal, la Grèce ou la France. Il faudrait alors financer ces déficits. Admettons que la BCE y consente, et rachète alors massivement les obligations émises par les pays en difficultés. Une « pyramide » de dettes se constituerait à l’échelle européenne. Or, dès que les programmes de relance seraient interrompus, les problèmes que nous connaissons aujourd’hui se manifesteraient à nouveau. Nous n’aurions alors pas d’autre choix que de renouveler ces programmes et de faire grandir cette « pyramide » de dettes. La croissance ne serait maintenue qu’à ce prix et toute interruption ferait immédiatement ressurgir le spectre de la déflation.
Il est excessivement peu probable que l’Allemagne accepte un système d’accumulation des dettes de cette ampleur.
Le cas d’une relance « asymétrique » apparaît, en théorie, comme plus intéressant. Dans cette hypothèse, on mettrait des barrières douanières provisoires entre l’Allemagne et les pays du Sud de l’Europe afin de compenser en partie les écarts de compétitivité. La relance bénéficierait alors aux pays qui en ont besoin. Mais, dans une telle hypothèse, il faudrait que ces barrières douanières soient adaptées à chaque pays pour compenser des écarts de compétitivité qui sont loin d’être uniformes. Outre la complexité du système, ici encore on constate qu’il ne peut être de courte durée. Pour que la réindustrialisation engendre des gains de productivité suffisants pour rétablir la compétitivité avec l’Allemagne, il faudrait faire perdurer ce système sur longue période (de 7 à 12 ans). Il est très peu probable que l’Allemagne consente dans la durée à une telle situation qui est, en réalité, la négation de l’acte unique européen.
Le mythe des « réformes structurelles ».
Devant l’urgence de la situation, et les blocages évidents en matière de relance concertée à l’échelle européenne, on reparle de plus en plus de « réformes structurelles ». Il y a, sous ce vocable, le meilleur et le pire : les réformes structurelles, telles qu’elles ont été appliquées depuis plus de 25 ans ont très souvent signifié des pertes importantes de pouvoir d’achat pour une majorité de la population sans contrepartie. De plus, on peut douter que ces mesures soient capables de produire des effets positifs à court ou moyen terme.
La première piste explorée (y compris par un syndicat comme la CFDT) est celle de la flexibilisation du travail. Mais, dans une conjoncture de récession, et peut-être de dépression, cela signifierait surtout faciliter les licenciements et donc aggraver la crise. La flexibilisation du travail, avec de très sérieuses garanties pour la sécurisation des revenus des travailleurs, peut être une solution en période de croissance. On constate d’ailleurs qu’au Danemark, pays qui fut le champion de la « flex-sécurité », depuis deux ans la dimension « sécurité » s’est effondrée et seule ne demeure que la facilité de licencier. Si la mobilité sur le marché du travail doit être améliorée, c’est bien plus par l’adaptation des compétences aux demandes.
Ceci constitue alors la deuxième piste explorée. Il est parfaitement exact qu’un nombre important de demandes d’emploi restent insatisfaites alors que le chômage est important. Ceci indique la permanence de problèmes concernant la formation professionnelle, mais aussi la reconnaissance de cette formation par les entreprises. Il est justifié d’explorer une telle voie. Mais, en période de forte contraction des offres d’emploi, l’efficacité de ces mesures ne pourra être que très limité. En fait, améliorer les compétences ne peut fonctionner que si les offres d’emploi sont en expansion. Autrement dit, oui la France a un problème avec la formation professionnelle, et non, ce n’est pas en améliorant notre système que nous résoudrons le problème d’emploi que nous connaîtrons dans les 18 prochains mois.
Une troisièmes piste concerne la hausse de la valeur ajoutée par produit que devrait viser l’industrie française. Ceci correspond à une « montée en gamme » de nos productions. C’est la tarte à la crème depuis la fin des années 1970. En fait, les différents pays (et industries) se sont positionnés sur des spécialisations productives, tant dans le choix des produits que dans le choix de gamme à l’intérieur d’une ligne de produit. Une modification de cette spécialisation est une entreprise ardue, qui prend entre quinze et vingt-cinq ans. Si l’on doit tendre vers des productions dites « haut de gamme », il faut aussi comprendre que ceci n’implique pas d’abandonner les autres productions, car l’innovation en matière de techniques de production est au moins aussi importante que l’innovation en matière de produits. De toute façon, ce n’est nullement une réponse aux problèmes actuels.
Une quatrième piste porte sur la réforme de l’État. Ici encore, il faut comprendre que c’est une entreprise de long terme (au moins quinze ans) et dont on ne doit pas attendre une baisse immédiate du coût de fonctionnement de la puissance publique, même si – à terme – on peut s’attendre à une amélioration de l’efficacité de l’action publique. Les baisses immédiates de coûts se traduisent en réalité par des pertes importantes d’efficience de l’action publique, qui font surgir des coûts cachés qui compensent les gains obtenus. Assurément, la charge de ces coûts n’est pas supportée par les mêmes agents. Le plus souvent, la « réforme de l’État » signifie le transfert de charges vers les plus pauvres au profit des plus riches, par baisse de la qualité des services publics. Les pertes en productivité générale (relatives ou absolues) engendrées par ces mesures sont susceptibles de compenser les hausses de compétitivité immédiate enregistrée initialement par ce transfert de charges.
On le voit, les différentes pistes explorées n’offrent aucune alternative à la montée de la récession et de la dépression à l’échelle européenne.
IV. Quelles perspectives à court et moyen terme ?
Les pays de la zone Euro se sont engagés dans une spirale de politiques d’ajustement à cause d’une erreur fondamentale faite quant à l’identification des causes de la crise. Il faut le répéter, cette dernière est engendrée par la crise de compétitivité qui a explosé depuis les années 2002. C’est cette crise qui a produit le gonflement des déficits, tant privés que publics, et l’accumulation de la dette.
En l’état actuel, il y a de fortes probabilités pour que la zone Euro s’enfonce un peu plus dans la récession, pour 2012 et 2013. Le risque d’une dépression généralisée deviendra important à partir du second semestre 2013, surtout si les objectifs de réduction des déficits budgétaires sont maintenus, conduisant inéluctablement à de nouveaux durcissements des politiques d’ajustement fiscales et budgétaires. Ces durcissements menacent de précipiter la zone Euro de la récession vers la dépression. La comparaison avec les perspectives de croissance des pays européens non-membres de la zone Euro (Suède et Royaume-Uni) et des pays non-européens de l’OCDE (États-Unis, Japon, Australie, Canada) marque un cruel contraste avec la situation des pays de la zone Euro, à l’exception de l’Allemagne.
La dynamique de ce dernier pays s’appuie certes sur des avantages connus mais aussi sur le profit qu’il tire de l’existence de l’euro, et qui serait en réalité amplifié dans le cas d’une relance dite « européenne ».
La possibilité que la BCE mette en place un programme de rachat massif des dettes n’amènera de répit qu’à très court terme : entre 6 et 8 mois, au plus. La morphine, certes, soulage les douleurs du malade, mais ne soigne pas la maladie, et le traitement aujourd’hui prescrit, l’ajustement fiscal et budgétaire, contribue en réalité à aggraver celle-ci. De plus, il est clair que des pays comme la Grèce, le Portugal ou l’Espagne ne pourront pas rembourser les titres achetés par la BCE. Ces pays sont durablement insolvables, au niveau de parité actuel dans la zone Euro.
On va d’ailleurs voir la situation de l’Italie et de la France continuer à se détériorer dans le cours de 2013. L’accroissement du chômage, qui est aujourd’hui déjà très important avec plus de 40 000 chômeurs supplémentaires tous les mois, devrait s’accélérer à partir du second semestre de la prochaine année.
Pour surmonter cette crise, qui n’a pas d’équivalent sauf la dépression des années trente, la zone Euro n’a que deux solutions :
– soit procéder à une relance dite « asymétrique », mais qui poserait des problèmes politiques nombreux et difficiles, surtout si elle doit être, comme il est hautement probable, maintenue pour une longue période ;
– soit procéder à la dissolution de la zone euro, en profitant du répit temporaire qu’apportera l’intervention massive de la BCE, afin de faire en sorte que cette dissolution soit concertée et ordonnée.
À ne pas vouloir choisir, les dirigeants européens s’exposent à subir l’équivalent de la « grande dépression », dont les conséquences politiques seront bien évidemment dramatiques, tant pour eux que pour les peuples qu’ils auront entraînés dans le chaos.
[1] Ces nouvelles estimations ont été communiquées par le service des recherches de NATIXIS à la fin du mois d’août 2012.
[2] Le service espagnol des statistiques a d’ailleurs déjà été amené à corriger ses estimations sur 2010 et 2011, et il est probable que d’autres corrections seront annoncées d’ici à la fin de l’année 2012.