(Comme tous les textes publiés dans cette catégorie, celui-ci, aussitôt paru, est incorporé à notre album Maîtres et témoins…(II) : Jacques Bainville. – 123 photos)
Il y a environ quinze ans, désireux de se purifier pour entrer à l’Académie, M. Emile Zola s’assit à sa table et résolut d’écrire un « bon roman ». Ce fut mystique, ce fut religiosâtre. Cela s’appelait Le Rêve. Et jamais il n’avait rien fait de plus inconvenant. Sous prétexte de peindre l’innocente piété, de montrer l’exaltation de l’idéal catholique dans une jeune âme, M. Zola mit au jour une caricature qui inspira autant d’éloignement aux gens de goût que d’indignation aux hommes de foi. On a souvenir que M. Anatole France en lettré, en écrivain français, en historien qui connaît et qui aime nos traditions, en moraliste qui a le respect de tout ce qui touche à la vie spirituelle, fit entendre dans un journal calviniste une vive protestation contre ce profanateur.
Un besoin pathologique de souiller tout ce qu’il approche possède M. Emile Zola. Charcot soignait de tels malades. Et l’on peut lire dans les revues cliniques des cas qui ne sont pas fort éloignés du sien. Les enfants, ces petits sauvages, ne sont poussés par leur instinct qu’à briser les objets. La brutalité même des foules ne les entraîne qu’à des actes de violence. Le noyer de la route, qui gémissait des injures du passant, se plaignait seulement que l’on cueillît ses fruits ou qu’on brisât ses branches. Il n’est qu’un malade pour trouver de la volupté à salir ce qui est beau et ce qui est pur. M. Emile Zola est un « sujet » extraordinaire : il lut un jour Jacques de Voragine et La Légende dorée fut polluée pour avoir été traduite par sa plume.
Aujourd’hui M. Emile Zola, qui n’est plus candidat à l’Académie, ne travaille plus dans la religion. Plus de concessions à « la calotte ». On voit, dans ses derniers romans, des anarchistes porter des bombes dans les églises; elles n’éclatent pas encore à la vérité, par scrupule humanitaire. Plus hardi, un de ses élèves, M. Maurice Montégut, les fait partir. Que restera-t-il à son autre disciple, M. Paul Brulat ?
Personne n’a regretté que M. Zola eût renoncé à écrire des « contes de vitrail ». Quant à lui, il n’a pas abdiqué ses prétentions à édifier ses contemporains. Après Dreyfus lui-même, c’est M. Zola qui est le plus grand martyr du dreyfusisme. Il occupe maintenant la place de prophète dans le parti de la révolution, il y a porté son mysticisme singulier. Et le voilà qui met en roman l’illusion socialiste avec le même coeur que Pot-Bouille et Le Rêve.
Ce nouvel « évangile », comme il dit en propres termes, s’appelle Travail. Il y peint sept cent pages des beautés de la cité future. C’est un livre enfantin et qui répand un ennui dense. Tous les procédés littéraires déjà usés dans la longue série des Rougon-Macquart y sont répétés jusqu’à la nausée. C’est la plus basse combinaison de naturalisme et de romantisme qui se puisse concevoir. Il y en a assez pour faire prendre en dégoût à une intelligence un peu pure les théories sociales que Travail prétend exprimer. Bref, ici comme ailleurs, M. Zola a obéi à sa fonction naturelle qui est de corrompre tout ce qu’il touche.
Ce n’est point qu’il ait gâté l’idée socialiste par ses imaginations ordinaires. On en retrouve encore (le contraire n’étant pas possible), mais elles ne sont pas comme dans Le Rêve attachées au sujet même. C’est d’une autre façon qu’il a rabaissé une conception dont il faut reconnaître que certaines parties ont honoré l’esprit humain. Tout ce qu’il y a dans le collectivisme de réféléchi et d’organisé, M. Emile Zola l’a sacrifié à de vieilles rêveries anarchiques, à des impulsions sentimentales. Il a ramassé les oripeaux défraîchis que portaient depuis un siècle les libéraux et les démocrates. Il a enfilé bout à bout les centons quarante-huiteux. Il a enfin réusii à faire regretter le bon Cabet et cette Icarie qui fut, en sa fleur, la République seconde.
Les évènements récents viennent de montrer qu’il y a des socialistes qui s’accordent assez bien de ce pathos. M. Jaurès estime que la vocation du parti révolutionnaire est de faire retentir ces sons creux et ces vaines romances :
Telle la peau d’un vieil onagre / Qui résonne au tympanon
comme chante le poète de Galatée. M. Eugène Fournière, qui croit à « l’idéal social », vient, dans un Essai sur l’individualisme, de rééditer la métaphysique révolutionnaire. Citerons-nous encore les Viviani, les Rouanet ? On reconnaît les chefs de la troupe qui, pour mieux servir la religion dreyfusienne, n’ont pas hésité à diviser les forces de leur parti et, ce qui est bien autrement grave, à décomposr la doctrine. Le roman de M. Zola et le congrès de Lyon ont la même fin : servir le « socialisme sentimental », opprobre de l’esprit contemporain.
Les sympathies et le respect du théoricien vont à ces guesdistes, à ces blanquistes qui n’ont pas voulu sacrifier à du romantisme et à de la métaphysique l’unité logique de leur système. Car, abstraction faite du sophisme fondamental qui est au point de départ, toutes les parties en sont fortement liées et irréprochablement déduites. Rien n’y est concédé aux fantaisies de l’imagination. Aucune part n’est faite aux caprices des tempéraments individuels. On peut dire qu’il n’y reste presque plus rien de révolutionnaire. Tout ferment anarchique est soigneusement élimnié. D’un mot, c’est une discipline.
Dans un temps où des monarchistes eux-mêmes condescendent à se réclamer des « immortrels principes », ce sont des collectivistes qui ont commencé contre eux la juste réaction. Ils les ont soumis, dans leurs journaux, à la critique la plus sévère. Les premiers ils ont affiché sur les murs du territoire républicain la réfutation des droits de l’homme. En 1893, au moment du renouvellement des Chambres, on put lire dans les rues cette exacte peinture de la démocratie : « Une société actuellement divisée contre elle-même, jouet d’une anarchie qu’elle a déchaînée dans son sein et qu’elle nous donne pour la liberté. » Trois ans plus tard, le Parti ouvrier français repoussait toute solidarité avec les « enfants naturels et gâtés de l’individualisme bourgeois » et déclarait : « l’anarchisme n’entre pas ici, sous quelque déguisement qu’il se cache. »
Voilà de curieuses affinités avec les partisans de la réorganisation politique. Voilà ce qui faisait la force et la dignité du collectivisme. On peut dire que c’est là ce qui lui a valu les meilleures de ses recrues. Des jeunes hommes aussi intelligents que M. Léon Parsons, Lagardelle, de la Porte ne se laissent pas gagner par des déclamations et par des métaphores.
M. Jaurès et ses amis du congrès de Lyon en jugent autrement. Ils abandonnent la « lutte des classes » non pas, comme ils le laissent croire, par habileté tactique, mais pour rester fidèles aux principes de 1789 qui sont censés n’avoir créé qu’une seule catégorie de citoyens (1). Ils font une large part à l’individualisme. Enfin, ils se bornent à être « les plus avancés » dans le vieux parti républicain.
La rêverie romantique et humanitaire de M. Emile Zola a été accueillie avec faveur par ces socialistes sentimentaux. Travail doit servir à hâter la décomposition de la doctrine collectiviste, et à la rabaisser au rang des vulgaires divagations libérales. Encore une fois, M. Emile Zola a joué son rôle de corrupteur.
(1) : C’est une des plus claires démonstrations de Proudhon, qui ne les fit pas toujours telles, que la suppression des corporations, où maîtres et ouvriers étaient unis par un lien intime, divisa le tiers état en deux castes bien tranchées : patrons, d’une part, salariés de l’autre (Capacité politique des classes ouvrières).
La Gazette de France, 7 juin 1901.
« Tant qu’il n’aura pas dépeint complètement un pot de chambre plein, il n’aura rien fait.« , disait Hugo de Zola, qu’il détestait. C’est pourtant au Panthéon que la République idéologique a choisi de placer Zola, pour son dernier sommeil.
Dans la crypte sépulcrale de cette église qui fut belle, avant d’être dénaturée par sa »ré-affectation », Zola-le-scatologique côtoie donc, maintenant, dans cet invraisemblable bric-à-brac idéologique, véritable inventaire à la Prévert, un « criminel contre l’humanité », Lazare Carnot, organisateur et planificateur du premier Génocide des Temps modernes; ou un raciste joyeux, furieusement antisémite : Voltaire…
« …C’est ici la chambre de débarras de l’immortalité républicaine et révolutionnaire. On y gèle, même en été, et la torche symbolique au bout d’une main, qui sort de la tombe de Rousseau, à l’air d’une macabre plaisanterie, comme si l’auteur des Confessions ne parvenait pas à donner du feu à l’auteur des Misérables… » (Léon Daudet, Fantômes et vivants, Nouvelle Librairie nationale, page 156)
Ironie suprême, malgré tout : la croix de plusieurs tonnes surplombe toujours ces « beaux messieurs », pas si « beaux » que cela : lorsque Louis XVIII décida de réaffecter le Panthéon au culte, mais sans le débarasser des quelques tombeaux que la Révolution avait placés dans la crypte (Voltaire, Rousseau…), quelqu’un lui demanda s’il n’était pas inconvenant qu’un anti catholique aussi virulent que Voltaire se trouvât dans une église. Le Roi lui répondit, en substance, que ce serait une punition bien suffisante pour lui, Voltaire, que d’entendre célébrer la Messe tous les jours !
Aujourd’hui, la République idéologique a refait du Panthéon cette « chambre de débarras » dont parle Daudet : on n’y dit plus la Messe, mais sur ses « héros » veille toujours… la Croix ! Le bon mot de Louis XVIII est toujours d’actualité !…
Je ne suis pas sûr que le débat sur Zola ait encore un grand intérêt. A l’inverse, peut-être, d’Antiquus et de Pierre Builly. (La valeur de son oeuvre me semble être un autre sujet).
En revanche cet article met en lumièrte un Bainville – peut-être autoritaire – mais, en tout cas, fort peu « libéral ».
Qu’en pense Antiquus ?