(Champsaur se livre ici à une analyse fouillée de ce que l’on peut appeler « l’affaire Syrienne », et prend le recul necéssaire pour en cerner les tenants et les aboutissants; vu la densité du sujet, il sera présenté en trois parties, aujourd’hui, demain et mercredi)
Le 15 Mars 2011, la petite ville de Deraa au sud de la Syrie à la frontière jordanienne, à 100 kms de Damas, fut le théâtre d’émeutes limitées. Les forces de l’ordre ouvrirent le feu, et ce fut le début d’un engrenage conduisant à la situation d’aujourd’hui. Les observateurs français impartiaux, extérieurs à cette tourmente sont envahis d’un profond malaise devant, d’une part les options choisies par les gouvernements français successifs depuis dix-huit mois face à des évènements dramatiques qui sont en train de saccager la Syrie et de déstabiliser le Levant, et d’autre part ce que les médias du Système imposent en France avec toute leur puissance, rendant le dossier incompréhensible.
Une telle indigence incite à revenir à l’histoire de la place de la France qui a beaucoup sacrifié, ainsi qu’à l’examen de la désormais classique utilisation des moyens de télécommunication dits « multi media » comme arme de guerre.
La légende étant peu lisible, voici les couleurs indiquant chaque religion, et son importance démographique :
Vert clair : Sunnites (69,5%); Turquoise : Alaouites (12,8%); Vert foncé : Chiites (3,5%); Rose ; Druzes (3,2%); Violet : Chrétiens (9,3%); Bleu : Alevis et Orange : Yeddis…
Un peu d’histoire du milieu du 19ème siècle au printemps 2011
A la conférence de Londres en 1840, le terrible Lord Palmerston parvint à contenir la France en Egypte. Cependant un aspect intéressant du traité de Londres de 1840, était la reconnaissance de la Palestine comme partie intégrante de la Syrie. Sous l’œil attentif des Britanniques, les Français continuèrent toutefois à œuvrer en Egypte, lui donnant une place importante sur l’échiquier mondial avec l’inauguration du canal de Suez en 1869, De Lesseps ayant réalisé ce que Londres hésitait à lancer. Mais à partir de 1870 la politique de la France dans cette région manqua dramatiquement de netteté. En Juin 1882, massacre de chrétiens à Alexandrie. Pressée par l’Angleterre d’intervenir à ses côtés, la France (Freycinet) ballotée dans des majorités instables, refusa de bombarder Alexandrie et de débarquer aux côtés des Anglais. C’était abandonner la prééminence politique, économique et culturelle acquise en Egypte.
Restait alors la Syrie dans le rêve de Paris d’être présent au Moyen Orient, territoire stratégique dans l’empire ottoman. Or au congrès de Berlin de 1878, l’Angleterre (Lord Salisbury) admit que la Syrie toute entière était dans la sphère d’intérêt de la France, la contrepartie étant que Paris reconnaisse la convention passée entre la Turquie et l’Angleterre à propos de Chypre.
Comment la France a été écartée de la Palestine après la Grande Guerre sort du cadre de ce papier.
Depuis 1870, les œuvres catholiques françaises s’étaient beaucoup développées dans tout le Proche Orient, représentant autour de 70 % des œuvres étrangères (contre 10% pour les Britanniques).
La prééminence économique et culturelle de la France en Syrie du Nord et en Syrie du sud, était si importante qu’en 1912, le ministre des Affaires Etrangères, Poincaré, avait obtenu que l’Angleterre reconnût notre position. Plusieurs télégrammes entre notre ambassadeur à Londres (Paul Cambon), et le Foreign Office, confirmaient que l’Angleterre se désintéressait de la Syrie … jusqu’à l’intervention de Sir Mark Sykes, grand connaisseur de l’Orient, et surtout perspicace observateur de l’évolution des Ottomans. Et il commença à prétendre que les intérêts français en Syrie gênaient l’intégrité de l’Empire ottoman.
Par ailleurs l’aveuglement anticlérical qui habitait, les sectaires des années 1870 en France, les fit considérer la mission de la France de protection des lieux saints et des chemins de la Bible, tant en Palestine, qu’en Syrie, comme une inacceptable interférence de l’Eglise dans la politique étrangère. Ce dogmatisme fut à l’origine de beaucoup de nos échecs. Rarement mentionné, sauf par Maurras, ce fut un véritable boulet pour nos diplomates et nos militaires. Le protectorat catholique de la France commençait à être affaibli à la veille de la Grande Guerre, en particulier le rêve syrien.
Louis IX s’embarque pour la Septième Croisade… Charte de Louis IX aux Maronites.pdf
Dès Novembre 1914, et par des accords en Mars/Avril 1915, la Mésopotamie était réservée à l’Angleterre, la Syrie et la Cilicie à la France, dans le schéma d’un démantèlement de l’empire ottoman. Mais le séoudien Cherif Hussein, gardien de la Mecque et seigneur du Hedjaz ne l’entendait pas de cette oreille, et exigeait de connaître des tracés de frontières bien établis, en particulier la délimitation de la Syrie qu’il revendiquait comme territoire arabe. Notre ambassadeur Paul Cambon, proposa François Georges-Picot pour négocier avec le britannique Sykes, et formaliser un accord. Une difficulté vint de Hussein qui considérait la Syrie pays arabe entrant dans la zone qu’il souhaitait se créer comme future Arabie. Les négociations furent complexes, la Russie du Tsar était concernée, et les accords furent signés dans la plus grande confidentialité. Mais en 1917, Trotsky découvrant le document dans les archives le publia. Ce qui valut une réaction très vive de l’Américain Woodrow Wilson au nom «du droit des peuples à disposer d’eux mêmes». Et les accords Sykes – Picot ne furent jamais appliqués dans leur détail, en particulier parce qu’en même temps que les Britanniques se livraient à ces spéculations, ils promettaient au Congrès juif mondial (Lord Rothschild et Theodore Herzl), un foyer national juif en Palestine (déclaration Balfour, 1917). Ils ont toujours prétendu qu’il ne fut jamais question de créer un état juif (ce que le texte alambiqué de la déclaration pouvait confirmer), mais simplement d’une sorte de zone refuge. On sait ce qu’il en advint dès 1945 …
Dans un tel bouillonnement, les Français se trouvèrent assez vite confrontés à divers nationalismes en Syrie, dont le Congrès National Syrien, qui proclama une Syrie indépendante, le 7 Mars 1920. Cependant les accords Syke – Picot désormais publics furent confirmés à la conférence de San Remo (Avril 1920), et les territoires Liban et Syrie, placés sous mandats français, qui dura ainsi de 1920 à 1943. Ils découvrirent aussi la constellation de minorités religieuses, ce qui commença à faire parler de « l’Orient compliqué » : sunnites (majoritaires), kurdes, alaouites, chrétiens (très nombreuses obédiences), druzes, chiites, ismaéliens.
Quelques dates importantes :
– 19 Avril 1923 : Général Weygand, Haut Commissaire;
– Juillet 1925 : Révolte des Druzes;
– 9 Mai 1926 : Bombardement français sur Damas;
– 1930 : La France instaure une constitution
– 12 Mai 1930 République de Syrie;
Cet embryon de République syrienne avait commencé à se faire reconnaître par le gouvernement du Front Populaire. Les premiers pourparlers entre Français et Syriens en vue de la rédaction d’un traité d’indépendance avaient débuté en septembre 1936. Le conflit interrompit le processus.
En 1940, la Syrie était très logiquement sous administration de Vichy (Général Dentz, Haut Commissaire du Levant) mais les Britanniques le chassèrent, en plaçant des troupes françaises face à face, gaullistes contre les troupes de Dentz, cruelle situation de bien triste mémoire … Le Général Catroux lui succéda au nom de la France Libre, reconnut l’indépendance la Syrie (Juin 1941, de facto fin du mandat, mais dans les faits, l’administration française demeura, et surtout les Britanniques restèrent sur le territoire). Les quatre années de 1940 à 1944 furent catastrophiques pour l’autorité de la France au Levant, pour des raisons évidentes qu’il n’est pas utile de développer. En 1946, indépendance, les Français se retirèrent du Liban et de la Syrie, qui devint peu après membre des Nations Unies.
A partir de cette date, les Etats Unis s’installèrent dans les affaires du Levant, tant pour contrer l’influence soviétique grandissante, que pour assurer la viabilité du jeune état d’Israël. Et ce fut en Syrie une succession de coups d’état.
Le 1er février 1958, l’Égypte et la Syrie s’unirent, créant la République arabe unie, ce qui entraîna, de facto, l’interdiction des partis politiques syriens.
Mais l’union cessa rapidement d’exister. Par le coup d’État du 28 septembre 1961, la Syrie fit sécession, et rétablit la République arabe syrienne.
De 1958 à 1961, l’éphémère République Arabe Unie…
S’en suivirent d’autres coups d’état jusqu’à la guerre des six jours, perdue par les Égyptiens et les Syriens, affaiblissant du même coup le gouvernement de Salah Jedid (le président en exercice). Le 13 novembre 1970, le ministre de la Défense Hafez el-Assad fit un coup d’État. Déposant Salah Jedid, il devint grâce à sa «révolution corrective» le nouveau premier ministre, et l’homme fort de la Syrie.
La France se trouva alors face à ce personnage, au plus près, dès le déclenchement de l’atroce guerre du Liban, en 1975, qui fit jusqu’en 1990 pas moins de 150.000 morts, la plupart civiles.
Et à partir de ces dates, force est de constater que les relations entre la France et le clan Al-Assad ont suivi une sinusoïde impossible à décoder, tant les positions sont passées d’un extrême à l’autre en des temps très courts, sans la moindre logique ni ligne directrice, rendant la diplomatie française au Levant à peu près illisible. Tout se passe comme si notre pays s’était mis à obéir alors à des directives extérieures …
On notera ainsi la guerre des Services Secrets entre la France et la Syrie pendant les années 1981 :
Septembre 1981, assassinat à Beyrouth de notre ambassadeur Louis Delamare;
Avril 1982, assassinat du secrétaire radio du SDECE à Beyrouth, et de son épouse enceinte;
Octobre 1983, attentats du Drakkar à Beyrouth (ultérieurement imputé à l’Iran mais pas de certitude à ce jour);
Février 1988, assassinats à Beyrouth de l’officier de la DGSE Maranzzana;
Écheveau difficile à démêler, la Syrie ayant toujours considéré le Liban comme une extension de son propre territoire.
Mais à l’hiver 1990 la Syrie se joint à la coalition internationale qui intervient contre l’Irak pour le forcer à quitter le Koweit. Le pays est ainsi redevenu fréquentable pour Paris.
En Novembre 1999, Jacques Chirac reçoit à l’Elysée, le jeune chef d’Etat Bachar al-Assad.
L’année suivante il surprend la communauté internationale en étant le seul chef d’état présent aux obsèques d’Hafez Al-Assad (Juin 2000).
Dans le même temps il commence à parler du retrait des troupes syriennes du Liban, en décorant à Beyrouth le libanais Rafic Hariri, Grand Croix de la Légion d’Honneur (Avril 1996). Détail peu relevé à l’époque, sauf par les Syriens …
En marge du 60ème anniversaire du débarquement en Normandie, Jacques Chirac lance, avec George W. Bush, l’initiative diplomatique qui débouche sur la résolution 1559 des Nations unies dirigée contre la Syrie. Adopté le 2 septembre 2004, le texte exige le retrait des 15 000 soldats syriens du Liban et la fin de l’ingérence de Damas dans ce pays. Un tournant dans la diplomatie française. S’en suivent cinq années de gel des relations, jusqu’à la réintégration du pays dans les amis fréquentables de la France, à l’occasion de l’Union pour la Méditerranée (Juillet 2008). Bachar est l’invité de marque de Sarkozy, hôte officiel à la fête nationale française le 14 Juillet 2008. Et donc nouveau revirement, autorisant le grand connaisseur du Levant, Richard Labévière à écrire «Le chemin retrouvé de Damas», dans la revue Défense de l’IHEDN (Juillet 2008). Il rappelle que la manœuvre de Paris pour le vote de la résolution 1559, fut considérée comme un incompréhensible camouflet, sans voir (ou feignant d’ignorer) les intérêts personnels de Chirac avec le libanais Rafic Hariri.
A la lumière de ce rapide survol faut-il préciser que la France n’est pas sans une masse d’archives plus que centenaires, tant diplomatiques que militaires. Les Britanniques savent utiliser leur Histoire et en sont fiers. Chez nous les déclarations brutales du Ministre Juppé, sommaires, réductrices et caricaturales ignorent superbement ce que fut la présence française au Levant, la fascination qu’ont les levantins pour Paris, et la défiance que nous avons générée puis entretenue depuis le début de la première émeute.
Champsaur (à suivre)
Prochain sujet traité à l’international : l’Iran.
Setadire sur Trump : une victoire qui passe…
“Ce qui m’amuse ce sont les Français qui n’ont jamais mis un pied au E.U. et…”