… et sa condamnation en 1945 ?
A ce stade, final, de notre conversation, nous avons choisi d’aborder ce thème d’une façon un peu différente de la « traditionnelle », en commençant par parler d’abord… de la Guerre de 14 !
Nous avons ainsi rappelé à notre interlocuteur quelle avait été la politique de L’Action française lors de la Première Guerre mondiale : sa politique d’union nationale, ou d’union sacrée – surtout lorsque ce fut autour de Clémenceau, l’un des « ennemis de toujours » – ne fit pourtant pas l’unanimité dans ses rangs – et ne la fait toujours pas – puisque certains faisaient remarquer, avec justesse, que ce serait la France, certes, mais aussi la République qui gagnerait la guerre.
Malgré sa justesse, cet aspect des choses n’ébranla ni Maurras, ni Daudet, ni Bainville, et L’Action française soutint l’effort national, jusqu’à la victoire finale. Ce qui lui valut un prestige considérable, les remerciements officiels de Raymond Poincaré et une estime générale dans le pays, une fois la guerre gagnée.
Oui, mais voilà : après la Victoire si chèrement acquise, la France pouvait et devait démembrer l’Allemagne. Et lui enlever la rive gauche du Rhin, soit pour la « réunir » à la France, soit pour la laisser devenir une ou plusieurs républiques indépendantes. Le Système, ou le Pays légal ne le fit point et se laissa voler la Victoire par nos « chers Alliés anglo-saxons », malgré les avertissements de Bainville et de L’AF. Puis il y eut la farce de « L’Allemagne paiera » : là aussi, le Système ou Pays légal, et toujours malgré les conseils quotidiens de L’Action française, laissa l’Allemagne non seulement « ne pas payer », mais se relever, prospérer de nouveau, se réarmer, réoccuper la rive gauche du Rhin et, finalement, nous envahir vingt ans après notre Victoire, exactement comme l’avaient prévu Bainville, les grands généraux et les esprits lucides.
Quelle différence, alors, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec la fin de la première ! Malgré la justesse des analyses de L’Action française pendant les vingt ans de l’Entre-Deux Guerres, et le sabotage de la position de la France par le Régime, amenant au désatre, on vit au contraire, lorsque la Guerre s’acheva, L’Action française décapitée, le journal interdit, et le royalisme effacé d’un coup du paysage politique ! Phénoménal triturage de la réalité et de la vérité des faits; stupéfiante falsification historique, et fabrication d’une « vérité officielle » fondamentalement mensongère.
Que s’était-il donc passé ?
Pourtant, juste avant la guerre, à sa sortie de prison, en 1937, Maurras avait été acclamé dans un gigantesque meeting au Vel d’Hiv’ par 60.000 personnes; il venait d’être élu à l’Académie le 9 juin 1938; le mouvement, malgré la dissolution des ligues en 36, restait un mouvement avec lequel il fallait compter; et Maurras jouissait d’un prestige intellectuel considérable, qui dépassait de beaucoup les frontières du territoire national… Alors ?
D’abord, il faut se souvenir qu’au début de la guerre, Maurras – né le 20 avril 1868 – a plus de 71 ans (76 aux débuts de la Libération); il a perdu Jacques Bainville, le sage, trois ans auparavant; et Léon Daudet, qui mourra trois ans plus tard, en 1942 d’une hémorragie cérébrale, commence déjà à ressentir les premiers signes du mal qui l’emportera, et n’était déjà plus le flamboyant Daudet de l’Avant-guerre (de 14) ni de l’entre deux guerres… Maurras n’était donc pas seul, mais le trio historique des grandes heures de L’Action française était disloqué.
A partir de là, et Georges Bourquart en est convenu, il est facile, aujourd’hui, confortablement assis dans nos salons, et ne risquant strictement rien, de savoir ce qu’il fallait faire, ou pas; dire ou pas etc. puisque l’on sait comment les choses ont fini. Mais, à l’époque ? Si l’on a un minimum d’honnêteté intellectuelle et de connaissances historiques, on sait bien que, jusqu’à la fin, plusieurs scénarios étaient possibles. Les révolutionnaires, formidablement poussés par Staline, pouvaient prendre le pouvoir; les Américains, qui avaient imprimé une monnaie spéciale, pouvaient fort bien organiser un régime dont ils auraient tiré les ficelles (et, pourquoi pas, avec Pétain, Lebrun ou Herriot, éventualités qui furent envisagées par les Américains et les Anglais) : il y avait plusieurs sorties de guerre possibles, et ce n’est qu’à la toute fin du conflit que les choses se sont décidées.
Ce qui est certain, par rapport à la Première Guerre mondiale, c’est la nouveauté radicale que représenta l’intrusion de l’idéologie dans la Seconde. Que Maurras ait mal apprécié, mal évalué, ce fait, comme certains maurrassiens le pensent, cela ne fait de lui ni un coupable, ni un criminel. On peut dire que, d’une certaine façon, il a considéré cette Seconde guerre comme la Première, et qu’il a répété la même stratégie d’union nationale – Pétain remplaçant Clémenceau – que durant le premier conflit; rejetant « le clan des yes » comme « le clan des ya », il élabora une ligne de conduite, certes, difficilement tenable, de fait, sur le terrain, mais au moins conforme à l’idée qu’il se faisait de l’union nationale, à préserver absolument.
On peut juger irréaliste sa position, la juger périlleuse – surtout aujourd’hui… – mais, au moins, n’obéissait-elle aux pas aux intérêts partisans ni à l’esprit de division. Certes, les Allemands – victorieux et maîtres chez nous, à la différence de 14 – occupaient le territoire, accentuaient de jour en jour leur pression, manipulaient de plus en plus la fiction d’un « pouvoir » de plus en plus inconsistant, ce qui rendait chaque jour plus inaudible et plus incompréhensible le soutien que continuait d’apporter Maurras au pouvoir légal, mis en place dans la débandade générale – ne l’oublions pas – par ce qui restait alors des élus de la République.
Mais, encore une fois, même son supposé irréalisme de fait, ne suffit pas à faire de Maurras un traître, ni de son attitude, en soi, un crime ni un délit. Ni, bien-sûr, à disqualifier sa pensée, son oeuvre politique.
Le sort ne fut pas favorable à Maurras, la « fortune » lui fut contraire : revenus triomphants, les révolutionnaires ont été d’autant plus haineux et violents contre Maurras qu’ils devaient hurler très, très fort, afin que que leur vacarme assourdissant fasse oublier leur(s) trahison(s) initiale(s) :
* soutien inconditionnel à l’URSS, s’alliant avec Hitler par le fameux pacte de non agression, qui dura officiellement du 23 août 1939 au 22 juin 1941, soit tout de même près de deux ans !...
* désertion et fuite de Thorez à Moscou où, arrivé le 8 novembre 39, il restera jusqu’à son amnistie par de Gaulle, en novembre 44. Passer toute la guerre à Moscou, c’éait, évidemment, beaucoup plus « facile » et beaucoup moins périlleux que de rester en France tout ce temps-là…
* quantité impressionnante de nombreuses personnalités venues du socialisme et du communisme dans la Collaboration (les socialistes Marcel Déat et Pierre Laval, le communiste Jacques Doriot);
A partir de là, c’est Vae victis, et l’histoire offcielle écrite par les vainqueurs… On fit le procès de Maurras, mais on attend toujours le procès le plus important, celui des responsables de la défaite : ceux qui n’ont pas préparé la France à la guerre qui arrivait et qu’annonçait Jacques Bainville, dès le calamiteux Traité de Versailles, dans L’Action française « pour dans 20 ans »; ceux qui sont restés sourds aux avertissements, du sabotage de la Victoire à l’impréparation de la France face aux revanchards allemands, emmenés par Hitler.
Un Hitler que Jacques Bainville fut le premier, dès 1930, et dans L’Action française, à dénoncer, comme « l’énergumène » Hitler : voici quelques notes de son Journal (Tome III) : Bainville et l’énergumène Hitler.pdf , dans lesquelles il écrit : « Qui eût dit qu’Adolf Hitler, l’énergumène en chemise brune, recevrait un jour la visite du ministre des Affaires étrangères de Grande Bretagne ? ». Ou : « Sir John Simon sera dans quelques jours à Berlin. Il verra Hitler, c’est-à-dire le monstre lui-même… »
C’est à cette aune que doit être mesurée la condamnation de Maurras, totalement inique si l’on veut bien se souvenir de cette phrase d’Otto Abetz (tout de même, un connaisseur !) : « L’Action Française est l’élément moteur, derrière les coulisses, d’une politique anti-collaborationniste, qui a pour objet, de rendre la France mûre le plus rapidement possible, pour une résistance militaire contre l’Allemagne ».
Que Maurras ait été condamné est donc un fait.
Que cette condamnation soit juste, à l’évidence, non. Mais il eût été naïf d’attendre une juste sentence d’un procès conduit par ses ennemis.
Qu’elle signifie que ses idées n’existent plus, qu’il n’ait plus rien à nous dire aujourd’hui, et qu’il doive être rayé de la carte des penseurs, des esprits féconds, des « vivants », encore moins !
Voici donc l’essentiel de ce qui s’est dit pendant cette heure et demie de discussion courtoise, à bâtons rompus; augmenté de toutes ces choses que nous n’avons pas eu le temps d’ajouter à tel ou tel moment de la conversation, ou que nous n’avons pu qu’effleurer ou évoquer trop rapidement, donc superficiellement; mais qu’il s’impose naturellement de rajouter lorsqu’on passe à la transcription, écrite, du langage parlé.
De toute évidence Georges Bourquart n’avait pas la place – nous ignorons s’il en avait le désir ou la possibilité – pour tout rapporter; nous, oui : il nous a semblé qu’il aurait été dommage de s’en dispenser. (fin).
VERDU sur Éloquence : Tanguy à la tribune,…
“Il est bon !!”