Article paru dans La Nouvelle Revue d’Histoire.
Pierre Gourinard, un universitaire du sud-est qui a mis son érudition au service de ses fidélités et ses convictions, s’est penché sur les trajectoires des royalistes dans les départements algériens, de la conquête à l’exode de 1962.
Il ressuscite la mémoire de ces aventuriers légitimistes issus pour la plupart de la petite noblesse qui partirent à la conquête de la terre en fondant des domaines agricoles dans la Mitidja, l’oranais ou le sud de l’algérois. Grâce à lui, les noms d’Augustin de Vialar, de Dupré de Saint Maur ou de Louis de Baudicour, bien oubliés aujourd’hui, reviennent à la lumière.
Au vrai, ces hommes vont participer à tous les combats de la communauté coloniale, sans que leur position se distingue véritablement des autres courants ultramontains, et sans acquérir non plus une grande cohérence, puisqu’on y trouve aussi bien des partisans de l’autonomie berbère, de l’assimilation et même du royaume arabe. Il n’est donc pas étonnant que le courant royaliste disparaisse complètement d’Algérie à partir de la fin du Second Empire. Les terres nouvelles s’accommodent mal de la tradition.
Il faut donc attendre 50 ans pour que le royalisme refleurisse, au début des années 20, sous une forme différente avec la constitution de sections d’Action Française. Pierre Gourinard nous montre la surprenante empreinte de ces groupes parmi les fonctionnaires autochtones, notamment en Kabylie. D’une manière générale, les organes de presse de l’AF échapperont à l’illogisme et à l’hypocrisie, fréquentes sur les questions de statuts. Les ligueurs connaîtront cependant les rigueurs de l’épuration, malgré leur engagement majoritaire dans l’armée d’Afrique, et bien entendu celles de la guerre révolutionnaire.
L’auteur décrit les liens multiples des royalistes d’Algérie avec la lutte pour l’Algérie française : Henri Talmant, Robert Martel, le docteur Lefèvre et bien d’autres sont évoqués, ainsi que les tentatives ultimes de sauver ce qui pouvait être sauvé, avec Joseph Ortiz et Jean-Jacques Susini.
Enfin, Pierre Gourinard conclut par un plaidoyer posthume pour l’assimilation. Pourtant Maurras était plus dubitatif sur ce point : « L’assimilation est-elle possible dans tous les cas? [..] Est-il sage de vouloir substituer de fond en comble notre civilisation à des états sociaux aussi avancés ou, si l’on veut, aussi déterminés que ceux de l’Extrême-Orient ou de l’Afrique du Nord ? » (1).
Une pièce de plus pour ce débat.
(1) Action Française, 23 décembre 1922
Pierre Gourinard. Les Royalistes en Algérie de 1830 à 1962. Collection Xénophon. Atelier Fol’fer 2012
Présenté ainsi, ce livre paraît bien plus intéressant que la présentation qui en a été faite dans l’AF d’il y a quelques semaines par un nommé Fromentoux tout sanglotant encore comme s’il n’avait pas réfléchi depuis 1962… Rien compris et rien oublié…
Lire aussi Louis Gardel, « Fort Saganne » (« Ces gens-lçà ne sont pas comme nous, Saganne… »…
j’ai annoncé votre recension en commentaire ici:
http://charte.de.fontevrault.over-blog.com/article-pierre-gourinard-les-royalistes-en-algerie-de-1830-a-1962-de-la-colonisation-au-drame-110745419-comments.html#anchorComment
Barrès avait vu juste lorsqu’il prévoyait, au tout début de l’Action française, qu’elle formerait – non pas seulement, mais aussi – « de durs petits esprits ».
L’interrogation de Maurras que reprend, en forme de conclusion, la note de lecture de Pierre de Meuse est évidemment d’une autre trempe …
Il y a, décidément, plusieurs mondes, plusieurs niveaux, dans la mouvance de l’Action française. Ce n’est, malheureusement, pas nouveau.
J’aimerais, cher Gérard, que tu précises ta pensée….
Sur l’Algérie, Charles Maurras avait un raisonnement qui a été mis en pratique par son disciple Charles de Gaulle.
Mon cher Pierre, je reconnais volontiers que mes remarques étaient laconiques.
D’un côté, dire que l’Action française a formé « de durs petits esprits » est, finalement, plutôt banal. Elle n’en a pas eu le monopole mais il me semble évident qu’elle les a cultivés de plus en plus, au fil des temps. Comme à toi, sans-doute, l’AF m’a donné de rencontrer des hommes exceptionnels, qui m’ont beaucoup marqué, beaucoup apporté (par exemple Boutang, Thibon, Molnar) et d’autres qui, selon l’expression que j’ai entendu Vallat utiliser à propos de l’un d’entre eux – qui sévissait rue Croix des Petits-Champs – qui étaient vraiment « bas de plafond ». A la longue, ceux-là fatiguent et détruisent. (Cf. ton agacement pour l’article que tu as lu dans « l’AF »).
D’un autre côté, sur la colonisation, en général, et l’idée d' »assimilation » en particulier, je me sens beaucoup plus près du doute, en fait profond, qu’exprime Maurras (Pierre de Meuse n’a cité qu’un court extrait de son article) que des certitudes de Michel Fromentoux – qui n’est manifestement pas un spécialiste des remises en question opportunes.
Amitiés, en tout cas.
Je partage, sur l’assimilation, tes doutes et tes craintes. Il me semble que nous avons été joués par un point de vue chevaleresque et extrémiste, tout à la fois, mais en tout cas fort peu capétien, fort peu maurrassien.
Pour quelles raisons ? multiples…. L’aversion de tout « notre » camp pour de Gaulle, la vieille tendance droitière qui nous rejetait forcément dans le camp inverse du Parti communiste, la désolation de voir cet Empire, dont on nous avait chanté merveilles, disparaître inéluctablement.
Comme d’habitude, des réactions d’exaltation, et non de réflexion. Alors même qu’on nous serinait, à juste titre, que la politique républicaine (la centralisation, le décret Crémieux) rendait impossible le maintien de l’Algérie dans l’ensemble, on estimait, parallèlement, et en pleine contradiction, qu’en 58 tout pouvait changer…
Je suis demeuré glacé, en lisant « Fort Saganne » de Louis Gardel, (que j’avais d’ailleurs chroniqué pour « Je suis Français ») de tomber sur une phrase maximale, provocante, mais sans doute fondamentalement vraie : « Ces gens-là ne sont pas comme nous, Saganne… Il faut les massacrer ou s’en aller ».
Les donneurs de leçon étasuniens ou australiens, qui, eux, avaient complaisamment massacré, ne nous ont pas laissé d’autre choix que de partir. Mais au delà de ça, pouvait-on assimiler, intégrer… ou même simplement cohabiter ? Plus je vois l’évolution des choses du monde, plus je doute de notre propre doxa.
et qu’on ne vienne pas me dire que l’Algérie eût pu, si nous étions restés là-bas, demeurer « germe d’ordre au sein du chaos »…