Pierre Boutang revient ici sur L’Avenir de l’Intelligence, qu’il appelle « cet immense petit livre », publié par Maurras en 1905.
Maurras y oppose – un peu à la manière des tragédies de la Grèce antique – deux personnages allégoriques, engagées dans une lutte à mort : l’Or, c’est-à-dire les puissances d’Argent, les forces du matériel, et le Sang, c’est-à-dire l’ensemble des forces de la Tradition et de l’Esprit : politique, histoire, culture, religion, spiritualité.
La Révolution, détruisant le pouvoir royal venu du fond des âges, et qui s’appuyait sur les forces de la Tradition et de l’Esprit, a ouvert toutes grandes les portes aux forces de l’Or, qui règnent maintenant sans partage, et nous sommes aujourd’hui dans cet Âge de fer, prophétisé par Maurras, qu’ont amené les philosophes du XVIIIème siècle, mais aussi leurs prédécesseurs de la Réforme et de la Renaissance.
Cela durera-t-il toujours ? La victoire de l’Or sur le Sang est-elle définitive ? C’est, évidemment, une possibilité, et les appparences, aujourd’hui, semblent plaider en faveur de cette hypothèse.
« A moins que… », dit Maurras, dans la conclusion de son « immense petit livre ».
Disciple et continuateur de Maurras, Boutang poursuit ici cette réflexion, cet « à moins que… » : les Soviets ont disparu, dans l’effondrement cataclysmique de l’utopie messianique marxiste; certains évènements, certains personnages dont il est fait mention dans ce texte appartiennent au passé. L’essentiel, la question centrale, demeure : Qui sera le Prince de ce temps ? Elle est au coeur de notre présent.
(Extrait d’un article paru dans Aspects de la France les 21 et 28 novembre, et le 12 décembre 1952)
Qui sera le Prince ? Telle est l’unique question du vingtième siècle méritant l’examen, capable de mobiliser les volontés. La fraude démocratique consiste à lui substituer celle de la société, la meilleure possible, et le débat sur son contenu spirituel et moral. Quelle est l’organisation la plus juste, la plus humaine, et d’abord quelle est la meilleure organisation du débat sur cette organisation ? Voilà le chant des sirènes des démocrates.
Fiez-vous y ! Le vent et les voleurs viendront.
Les voleurs et le vent sont à l’oeuvre. La diversion est plus que bonne : très sûre. Pendant ces beaux débats, toutes fenêtres ouvertes, le vent apporte sa pestilence. Et sous le masque de l’opinion reine, de la liberté de jugement des Lazurick ou des Lazareff, l’or triomphe; il détient tout le réel pouvoir dont la presse a mission et fonction cher payée de cacher la nature et de divertir dans le peuple la nostalgie croissante et le désir évident.
Qui sera le Prince ? Il s’agit de l’avenir : il n’est pas de principat clandestin, de royauté honteuse de soi-même et qui puisse durer. Une société sans pouvoir qui dise son nom et son être, anarchique et secrètement despotique, sera détruite avant que notre génération ait passé. Pour le pire ou pour le meilleur elle disparaîtra. A la lumière très brutale et très franche de la question du Principat, de la primauté politique, les sales toiles des araignées démocratiques, les systèmes réformistes, les blagues juridiques, les ouvrages patients des technocrates européens; seront nettoyés sans recours. Par quelles mains ? C’est le problème… Qui tiendra le balai purificateur ? Non pas quel individu, pauvre ou riche, de petite ou très noble extrace, mais quel type d’homme ? Incarnant quelle idée ? Réalisant quel type de la Force immortelle, mais combien diverse et étrangère par soi-même au bien et au mal ?
« …quelle force réellle, capable d’extension, douée d’un sens universel, assumera le Pouvoir que l’on occupe clandestinement, mais n’incarne ni n’accomplit ? Est-ce que ce sera le Prolétaire selon Marx…
L’heure nouvelle est au moins très sévère, a dit le poète. Cette sévérité, aujourd’hui, tient à ce fait : nul ne croit plus à la meilleure structure sociale possible, la plus humaine et la plus juste. Tous voient qu’elle ne profite, cette question toujours remise sur le métier de l’examen, sans personne pour la tisser, qu’aux coquins et aux domestiques de l’argent. Les fédéralistes eux-mêmes, armateurs de débats sur les pactes volontaires, reconnaissent que la question du fédérateur est primordiale; mais les uns tiennent que ce fédérateur doit être un sentiment, la peur panique inspirée par les soviets, les autres avec M. Duverger dont les articles du Monde viennent d’avouer la honteuse vérité, que l’or américain, l’aide en dollars, est le seul authentique fédérateur de l’Europe…..
Positivement, les malheurs du temps ont fait gagner au moins ceci à l’intelligence mondiale, et la vague conscience des peuples : à l’ancienne utopie succède l’inquiétude, la question chargée de curiosité et d’angoisse – qui, quelle force, quelle espèce de volonté humaine, va garantir ou réaliser un ordre politique et social, juste ou injuste, mais qui sera d’abord le sien ? Nos contemporains savent ou sentent qu’il n’y a pas de justice sociale sans société ni de société sans une primauté reconnue, établie en droit et en fait. La réelle nature de la force publique, du Prince qui garde la cité et y exerce le pouvoir, importe plus aux hommes qui ont été dupes si longtemps, que le jeu de patience et d’impatience des réformes sociales; ces réformes sont innombrables dans le possible, imprévisibles dans leurs conséquences; ce qui compte, ce qui est digne de retenir l’atttention ou d’appeler l’espérance, réside dans la loi vivante de leur choix, dans la réalité organique, dans la volonté responsable qui les ordonne et les préfère.
Reconnaître l’importance capitale de la question du Prince, considérer les autres problèmes politiques comme des fadaises ou des diversions vilainement intéressées, tel est el premier acte d’une intelligence honnête de notre temps. Car cette question du prince est toujours essentielle, et toujours oubliée : mais elle était jadis oubliée parce qu’elle était résolue, et les utopies elles-mêmes s’appuyaient sur la réalité incontestée d’un pouvoir légitime. Depuis le dix-huitième siècle la puissance de l’or, clandestine, masquée par les fausses souverainetés du nombre et de l’opinion n’a pas comblé dans les esprits, les coeurs, les besoins, le vide laissé par la démission des Princes. Les balançoires, les escarpolettes constitutionnelles, dont les brevets continuent en 1952 d’être pris à Londres (ou dans les « démocraties royales » rétrogrades) ne satisfont pas, avec leurs recherches d’équilibre, le goût profond que gardent les peuples pour la stabilité et la connaissance des vraies forces qui soutiennent un gouvernement. L’homme du vingtième siècle n’a pas envie de se balancer à l’escarpolette démocratique et parlementaire : les expériences faites en Europe centrale lui montrent quel est l’usage probable des cordes libérales dont se soutenaient ces jolis objets et jouets des jardins d’Occident. Elles portent bonheur aux pendus…..
…ou le Sang, le principe dynastique, selon Maurras ? »
Quand on voit, quand on sait l’enjeu de cette guerre engagée sous nos yeux pour le Principat, l’inventaire des forces, des réalités naturelles et historiques, capables de répondre à la commune angoisse, s’impose rapidement. L’intellectuel, l’écrivain, disposent de l’outil du langage, dont la fonction est de distinguer des provinces de l’être. Ils font donc leur métier, lorsqu’ils dénombrent les prétendants au Principat. Ils peuvent faire leur salut temporel, en choisissant, en aidant, la force naturelle qui leur apparaît salutaire et légitime.
La recherche de l’intelligence, dans ce domaine, est libre entre toutes. Elle ne doit de comptes qu’à la vérité, et lorsqu’elle se soumet à ses lois supérieures, à la patrie. Sa liberté propre se moque du libéralisme doctrinaire. Que ses lois propres, et sa soumission la conduisent à vouloir le Principat du Prolétaire, ou celui du Sang dans l’ordre dynastique, son choix ne dépendra pas, par exemple, du retard que tel prolétaire ou tel groupe prolétarien peuvent avoir, dans leur opinion subjective, sur la réalité et la force que le Prolétaire incarne pour un monde nouveau. Les difficultés qui naissent de ces retards, de ces rétrogradations, ne sont pas inconnues des marxistes. Il eût été bien étrange qu’elle fussent épargnées au nationalisme. Leur caractère de phénomène aberrant et transitoire laisse intacte la vraie question : quelle force réellle, capable d’extension, douée d’un sens universel, assumera le Pouvoir que l’on occupe clandestinement, mais n’incarne ni n’accomplit ? Est-ce que ce sera le Prolétaire selon Marx, ou le Sang, le principe dynastique, selon Maurras ? Le reste est futilité, opportunisme naïf que l’histoire balaiera sans égards.
« Qui sera le Prince ? L’or, la puissance financière toute pure et impure ?…
Non point selon l’ordre national, mais selon l’appparence, un premier Prince apparaît, prétendant du moins au Principat : le journal, le pouvoir de l’opinion. Prétention qui n’est monstrueuse que si l’on néglige les causes et les effets : si le peuple , si le nombre ou la masse – quelles que soient les définitions matériellles que l’on donne de ce Protée – était décrété souverain, l’évidence de son incapacité, de ses faibles lumières, de son enfance, selon le dogme du progrès, imposaient la régence pratique du pédagogue. Ce pédagogue du peuple souverain devait éclairer et former la volonté générale : l’extension rapide du pouvoir de lire rendait incertaine l’action des clubs et des assemblées : la presse seule pouvait se glisser partout en renseigner l’enfant Démos aux mille têtes folles, les mettre à l’abri de la séduction des anciennes autorités, de la mainmise de l’Eglise, de la séduction des Princes ou des généraux.
Le combat du XIXème siècle pour la liberté de la presse apparaît ainsi comme le plus noble, le plus raisonnable qui pût être conduit, avec les prémisses de la démocratie. Des milliers d’hommes sont morts pour que nous ayons le droit d’accomplir, comme l’a dit Péguy, cette formalité truquée du suffrage universel. Mais la mort de millions n’eût pas été insensée pour que les conditions intellectuelles de cette formalité, la liberté de la presse, seule capable de vaincre le truquage, fût réalisée. Marx avait raison dans sa logique de démocrate radical, qui allait le conduire très loin du libéralisme formel : « La presse est la manière la plus générale dont les individus disposent pour communiquer leur existence spirituelle » (Gazette rhénane, 1842). Or, cette communication est le devoir démocratique majeur, où tout esprit doit enseigner sans cesse le peuple, innombrable héritier du Pouvoir, ayant une charge aussi certaine que celle dont Louis XIV accable un Bossuet. Il n’y a donc pas de limite démocratique à la liberté de la Presse, ce pédagogue des nations, mais dont la mission ne peut finir qu’avec la parfaite majorité de Démos.
La difficulté commence (et commença !) avec la définition de l’enseignement ainsi donné : le pédagogue se révèle innombrable, indéfini, comme l’élève. A la limite théorique, Démos qui sait ou peut écrire enseigne Démos qui sait et peut lire. Les deux données quasi matérielles et de hasard, écrire et lire, se substituent au choix humain du précepteur, et à la présence naturelle de l’élève royal.
En fait, par la simple existence d’un commerce de la librairie, une merveilleuse possibilité s’ouvrait ainsi aux forces secrètes qui disposeraient de l’or. Vainement, Marx s’écriait-il, dans la même Gazette de Francfort, à l’occasion des extraordinaires débats de la Diète rhénane qui devaient jouer un rôle décisif dans la formation de son mythe révolutionnaire « la première liberté consiste pour la presse à n’être pas une industrie ! » La presse était une industrie, ou le devenait à toute vitesse.
Si l’or ne renonçait pas, avec les organes de corruption des partis et les truquages électoraux, à gouverner directement le peuple et lui imposer des représentants, du moins les Pourrisseurs les plus scientifiques s’aperçurent très vite de l’existence d’un moyen économique et supérieur : il suffisait de tenir « le quatrième pouvoir » inconnu de Montesquieu, et d’agir sur le pédagogue de Démos. La divisibiliét infinie de l’or, sa séduction aux mille formes s’adaptaient naturellement au maître divers, au pédagogue polycéphale…. On pouvait y aller. On y alla !
…Le Prolétaire dans la dictature révolutionnaire ?
Le pédagogue de Démos ne pouvait prétendre, au départ, à un enseignement si bien assimlilé par son élève que le choix des meilleurs en résultât, automatiquement, à l’heure des votes. Était-il écouté, suivi ? Les gouvernements considéraient qu’ils avaient, eux, atteint leur majorité en obtenant la majorité; ils s’émancipaient; ils agissaient à leur tour, par des lois ou par des fonds secrets, sur la presse écoeurée de cette ingratitude. Mais il y avait une ressource : c’était la fameuse opposition. L’opposition au parlement pouvait être méconnue; elle se composait en somme de vaincus. S’appuyait-elle sur une presse vivace, expression du citoyen contre le Pouvoir du moment, éducatrice de son successeur inévitable, alors les chances de la liberté étaient maintenues, on était encore en république !
Hélas ! La presse d’opposition, précisément parce qu’ellle pouvait influer sur la décision prochaine de Démos, tant qu’elle acceptait le système et ses profits glorieux, tenait à l’or autant que l’autre. Du moins sauvait-elle les apparences.
Il fallut attendre une déclaration vraiment décisive de l’éditorialiste du quotidien Figaro, feuille conformiste à l’immense tirage, pour que cette dernière décence, cette ultime réserve et pudeur de la putain Démocratie fût gaillardement sacrifiée. Nous commentons dans la Politique de cette semaine ce texte monumental (auro, non aere, perennius !) dû à l’ingéniosité perverse de Mauriac. Citons-le ici pour mémoire :
« Je sais, on reproche souvent au Figaro d’être toujours du côté du gouvernement. Dans une démocratie, je prétends qu’un grand journal ne peut être un journal d’opposition. Un journal comme Figaro, en raison même de son audience ne peut fronder. Il a des responsabilités sur le plan patriotique. J’admire les gens qui peuvent trancher de tous les problèmes dont ils ignorent les difficultés. Or, le nom du président du Conseil peut changer, les difficultés restent les mêmes au gouvernement. »
L’abdication définitive et publique du quatrième pouvoir en démocratie entraîne la ruine de la démocratie elle-même. Le pédagogue de Démos abdique avec son élève deavnt l’idole d’un gouvernement qui a toujours raison, infaillible et sans principe, girouettte prise pour gouvernail du monde, vaine paille au vent de l’histoire consacrée comme grain des choses et substance de la Société….
La voie est libre alors pour notre dénombrement des forces qui aspirent à la primauté du Prince.
Qui sera le Prince ? L’or, la puissance financière toute pure et impure ? La technique et ses terribles dévots ? Le Prolétaire dans la dictature révolutionnaire ? Ou le Sang, la force dynastique tels que les définit le merveilleux petit livre de 1905 :
« La force lumineuse et la chaleur vivante, celle qui se montre et se nomme, celle qui dure et se transmet, celle qui connaît ses actes, qui les signe, qui en répond. »
« ….Ou le Sang, la force dynastique tels que les définit le merveilleux petit livre de 1905 : « La force lumineuse et la chaleur vivante, celle qui se montre et se nomme, celle qui dure et se transmet, celle qui connaît ses actes, qui les signe, qui en répond. »
Merci à Lafautearousseau d’avoir publié ce superbe texte, qui n’est pourtant qu’un article de journal (quelle chance en avaient les lecteurs d’alors !) mais a bien sa place parmi les « grands textes ».
Ceux qui y chercheront le nom du Prince auquel ils pensent ne le trouveront pas. Du moins pas explicitement. Peut-être en seront-ils déçus. Cette question du Prince en tant que personne (issu de quelle lignée ?), Boutang, sa vie durant, ne l’a jamais éludée ni différée. Mais, ici, ce n’est pas son sujet; ce n’est pas sa querelle.
Déjà, en 1952, comme, bien plus tard, au temps de son Reprendre le Pouvoir, Boutang se demande, presque au sens des Ecritures, quel est « le Prince de ce monde », sous quel règne nous sommes placés. Comme Maurras l’avait fait, au début du siècle passé, dans son Avenir de l’Intelligence.
Et c’est de cette réflexion que se dégage « quelque idée du Pouvoir », d’un Pouvoir qui soit digne de ce nom; digne, pour tout chrétien, de sa source divine; et pour les autres, digne de notre Histoire, de notre Civilisation, de la Tradition et du Sang qui sont nôtres.
Ce Prince est sans doute celui qui aura vocation à consacrer
son existence au service du Peuple, à oeuvrer à lui garantir
les libertés et la justice, et à pacifier, en permanence et par
tout moyen, la société. Inscrit dans une lignée dynastique qui
fait corps avec l’histoire de la France, il en retirera encore
plus de légitimité pour accomplir sa mission.
La souveraineté du Peuple et la souveraineté de l’Etat ne
peuvent être dissociées, elles s’obligent mutuellement à un
dialogue permanent, dont le Prince en est le médiateur et
l’arbitre. Le souverain n’est pas nécessairement le même,
partout et en toutes circonstances, mais le Peuple qui a
nécessairement et librement approuvé la Constitution qui fixe
la loi de succession dynastique et les pouvoirs institutionnels
est inéluctablement souverain. Le Prince en est en quelque
sorte le dépositaire permanent plutôt que le propriétaire.
Cher DC, je vois que vous profitez d’une approbation partagée pour glisser un peu de fausse monnaie dans votre obole doctrinale. Vous avez raison de dire que le Prince est le dépositaire plutôt que le propriétaire de la souveraineté. En revanche votre digression sur cette notion de souveraineté me paraît confuse. D’abord la constitution historique déterminée par l’histoire, et qui fixe la loi de succession dynastique, n’a pas à être approuvée par le peuple, puisque l’histoire et la tradition nous l’ont donnée. S’il en était autrement, elle pourrait être dénaturée, déviée ou pervertie. Je ne comprends pas comment la souveraineté peut reposer sur deux têtes, celle de l’Etat et celle du peuple, qui d’ailleurs sont tous deux des abstractions, même si elles « dialoguent ». J’en reste à mon bon vieux Bonald qui nous explique qu’on ne peut pas à la fois commander et obéir au même. La souveraineté du peuple n’est donc qu’une illusion. Même Rousseau reconnaît que « le peuple n’est souverain que pendant les élection ». Je ne comprends pas comment le peuple, une fois qu’il a désigné ses représentants (sans mandat impératif) peut « dialoguer » avec ceux qui, le scrutin passé, sont devenus ses maîtres absolus. Si dialogue il y a, il ne peut être que postiche.
Alors, où se trouve la souveraineté? Pour le savoir, il ne faut pas la chercher dans un Etat constitué et fonctionnant normalement, car là, elle est cachée, mais dans un Etat en crise. Elle se trouve alors portée par celui qui prend les décisions nécessaires dans une situation exceptionnelle.
Les royalistes dans leur ensemble demeurent liés à cet Etat Nation qu’est la France, à son histoire, à sa langue, à ses arts, quand bien même sont-ils assez lucides pour admettre qu’il portait originellement en lui le germe de son épuisement historique.
Mais une idée « généreuse » peut aussi devenir une idée folle. L’idée générale de la France, c’est à première vue l’idée d’égalité et d’universalité, et c’est une idée d’autant plus forte qu’elle répond, à une revendication imprescritible de l’esprit humain; mais c’est aussi une idée dangereuse, car elle fait le lit de Procuste, la chose à été cent mille fois démontrée.
Alors? Il faudra bien que, à l’échelon national, mais aussi à celui des grands ensembles continentaux de culture et de civilisation européenne, émerge une troisième voie, qui, dépassant cette contradiction apparemment insurmontable, satisferait à la fois aux aspirations égalitaires et aux mythes identitaires.
Cher Antiquus,
Vous dites » d’abord la constitution historique déterminée par
l’histoire, et qui fixe la loi de succession dynastique, n’a pas à
être approuvée par le peuple, puisque l’histoire et la tradition
nous l’ont donnée « .
C’est à mon tour de ne pas comprendre.
L’histoire et la tradition auraient figé une constitution
historique à un instant T (lequel) qui serait gravée dans le
marbre pour les siècles des siècles ? Mais hormis les lois
fondamentales du Royaume de quoi parlez-vous ?
Pensez-vous sérieusement qu’au XXIème siècle le
Peuple n’aura pas son mot à dire à priori, ou à postériori,
quant à ses institutions ?
Qu’il n’y aura pas de référendum à ce sujet, que le Prince
arrivera comme cela, et s’installera dans les attributs de la
Monarchie d’Ancien Régime ? L’histoire et la tradition ont du
bon, mais là il me semble que vous rêvez.
Si je vous suis Louis XVIII, Charles X et Louis-Philippe
auraient dénaturé, dévié et perverti la tradition. Vous savez
la tradition c’est quelque chose de vivant, et non une chose
morte.
En effet, la souveraineté peut reposer, à mon avis, sur deux
têtes, l’une historique qui a en charge l’essentiel, à savoir la
souveraineté de l’Etat et l’application de la loi fondamentale
(constitution), et l’autre démocratique, qui par ses
représentants, légifère.
Comme vous le faites justement remarquer, » comment le
peuple, une fois qu’il a désigné ses représentants (sans
mandat impératif) peut « dialoguer » avec ceux qui, le scrutin
passé, sont devenus ses maîtres absolus. Précisément, par la
médiation du Roi, arbitre de la vie politique, qui pourrait tout
aussi bien, demander à ce que le Parlement reconsidère un
texte de loi pour une seconde lecture, différer la loi par un
véto suspensif, soumettre un texte au référendum, dissoudre
l’assemblée, cela pour tenir compte de certaines doléances,
de la constitution, ou pour vérifier que le corps électoral est
en phase avec ses représentants. Sans oublier que le Roi
conseille, met en garde et encourage le gouvernement,
lorsqu’il préside le conseil des ministres. Quant à la politique
étrangère, l’Europe, la défense, la justice, la sécurité
intérieure, elles peuvent très bien relever de ministres
directement nommés par le Roi, responsables devant lui et le
Parlement, dès lors que cela concerne la souveraineté de
l’Etat dont le Roi est le garant.
Voilà, comment je conçois tout à fait l’exercice et l’articulation
de deux souverainetés d’ordre différents, mais non pas
distincts. Et pour tout cela, bien entendu les Français doivent
manifester leur consentement et leur volonté de changer de
« modèle » institutionnel.
« Et pour tout cela, bien entendu les Français doivent manifester leur consentement et leur volonté de changer de « modèle » institutionnel. » Vous y croyez vraiment DC?
Hormis les lois fondamentales du Royaume de quoi parlez-vous ?
– Je parle de ces lois fondamentales.
Si je vous suis Louis XVIII, Charles X et Louis-Philippe
auraient dénaturé, dévié et perverti la tradition.
– En effet, le roi de France ne pouvait abdiquer, en vertu de l’indisponibilité du trône, et la Charte permettait cette abdication.
Pensez-vous sérieusement qu’au XXIème siècle le
Peuple n’aura pas son mot à dire à priori, ou à postériori,
quant à ses institutions ?
– Il sera utile d’obtenir la confirmation de son agrément, mais elle n’est conditionnelle ni de la légitimité, ni de la souveraineté.
– La souveraineté ne s’exprime que par une seule bouche (Terrerouge). Le roi n’est pas un porteur de dépêches.
Cher Antiquus,
Votre raisonnement a sa cohérence, mais il n’est pas unique.
Vous dites en sorte que le Roi est naturellement légitime et
souverain, je partage ce point de vue selon l’histoire et la
tradition, mais la légitimité cela s’entretient également.
Qu’est-ce qu’une légitimité naturelle qui ne se met pas au
service de sa vocation (Même, si le Royaume-Uni est bien
différent, voyez Edouard VIII) ou qui n’a plus l’estime du
Peuple.
Quant à la souveraineté, elle s’exerce au nom d’un Peuple et
pour le bien commun de ce Peuple, à la fois par celui-ci et
par celui ou celle qui le représente dans son unité.
Il n’y a pas le Roi d’un côté et rien d’autre, ou le Peuple d’un
côté et rien d’autre. Cela va de pair.
La souveraineté s’exprime certes, par une seule bouche,
celle du Roi, mais elle s’exerce soit directement par le Roi
pour l’essentiel, soit indirectement en tenant compte de la
volonté générale.
Quant au Roi petit télégraphiste, vous dénaturez mon propos.
Arbitrer, ce n’est pas cela et vous le savez bien.
Cher Thulé,
Nous ne savons pas si les circonstances historiques
permettront, à priori, aux Français, de pouvoir manifester
leur consentement et leur volonté de changer de « modèle »
institutionnel. » C’est seulement ce qui est souhaitable.
Peut-être que les événements, comme cela se produit
souvent dans l’histoire, s’imposeront d’eux-mêmes, mais
dans ce cas, le moment de l’approbation viendra
nécessairement à postériori, soit pour confirmer soit pour
infirmer.
Dans tous les cas, ce que je crois vraiment, c’est que les
Français n’accepteront jamais que leur soit imposé quelque »
modèle institutionnel » que ce soit, sans leur consentement au
final.
Cher DC, je réponds à votre deuxième alinéa car pour le reste je n’ai pas trop d’observations sur ce qui n’est que nuance.
Vous dites: »Quant à la souveraineté, elle s’exerce au nom d’un Peuple et pour le bien commun de ce Peuple, à la fois par celui-ci et par celui ou celle qui le représente dans son unité. » Votre formule est défectueuse. D’abord qu’est-ce que le peuple? Si le peuple est considéré de manière holiste, c’est-à dire dans l’épaisseur de l’Histoire, d’accord. Si ce n’est qu’un instantané, non. Ensuite le roi ne représente pas mais il incarne ce qui n’est pas la même chose.
Deux conceptions de la monarchie s’opposent. DC en tient pour une monarchie parlementaire, sans relever que l’institution monarchique ramenée à ses formes extérieures se combine très bien avec ce qu’il y a de plus contestable dans la société. La monarchie constitutionnelle et parlementaire n’est qu’un simulacre de royauté.
De l’autre coté Antiquus considère que: »le roi ne représente pas mais il incarne ce qui n’est pas la même chose ». Oui, mais cela impliquerait sans doute que la souveraineté politique fût à nouveau perçue comme inséparable du sacré; avec une redéfinition de la légitimité dans un sens sans doute inacceptable pour le monde contemporain. Le débat reste ouvert.
N’ayant pas lu vos messages au moment où nous nous
sommes entretenus oralement, je souhaitais Chers Antiquus
et Thulé vous faire part des observations suivantes :
Sur la souveraineté à la fois royale et populaire, nous avons
des divergences. Vous pensez qu’elles sont nécessairement
concurrentes, je pense qu’elles sont nécessairement distinctes
et complémentaires.
Sur le fait que le Roi ne représente pas mais incarne, je suis
tout à fait d’accord. Le Roi n’a pas de mandat par définition, il
règne de manière intemporelle. Et régner n’est pas inaugurer
les chrysanthèmes, ou seulement assumer une fonction
symbolique, bien que cette fonction soit déjà en soi très
importante, pour l’unité et l’incarnation de l’Etat, et d’un pays.
J’en viens donc à la conclusion de Thulé pour laquelle
la monarchie constitutionnelle et parlementaire n’est qu’un
simulacre de royauté. Je dirais à ce propos, qu’en France, la
monarchie constitutionnelle et parlementaire, qui reste à
définir pour le XXIème siècle, ne peut être un simulacre de
royauté, selon précisément notre tradition de la monarchie
royale, qui nécessairement englobe la monarchie française
avant 1789, mais aussi après, ce que vous refusez
d’admettre mettant entre parenthèse Louis XVIII, Charles X
et Louis-Philippe (curieuse façon à mon avis de prôner la
continuité monarchique). A moins d’être plus royaliste
que le Roi, selon la formule bien connue.
Il est tout à fait concevable d’avoir une monarchie
constitutionnelle et parlementaire, où le souverain dispose de
prérogatives lui permettant d’exercer pleinement les pouvoirs
de souveraineté en matière de politique étrangère et
européenne, en matière de défense, de justice et de sécurité
intérieure dans le respect du principe de séparation des
pouvoirs, et d’être par ailleurs un véritable arbitre sur
l’échiquier de la vie politique française, s’il dispose des
pouvoirs de dissolution de l’assemblée, de véto suspensif, de
renvoi en 2ème lecture des lois au parlement, de recours au
référendum, sans parler de la présidence du conseil des
ministres et de ses pouvoirs de nomination.
Le Roi n’étant pas élu, il serait déjà considérable que dans ce
cadre constitutionnel et parlementaire, les Français acceptent
ces nouvelles institutions, qui contrairement à la Vème
République actuelle, placeraient le Chef de l’Etat en véritable
arbitre de la vie politique, garant de l’unité nationale et
de notre souveraineté. Ce qui a pu être, un temps, le
projet du Général de Gaulle, pour le Prince ou pour
lui-même, et qui s’est révélé impossible par la suite,
précisément par la contradiction, à faire dépendre l’élection
du Chef de l’Etat, de l’implication des partis politiques, même
si celle-ci est réalisée au suffrage universel direct.
Que le Prince soit chrétien, plus précisément catholique, qu’il
soit même sacré ou couronné comme l’est la Reine au
Royaume-Uni, sans que cela ne choque personne, et qu’il y
ait ce lien avec le sacré, sans qu’il faille le traduire
politiquement comme étant le lieutenant du Christ sur terre,
de sorte que le pouvoir temporel ne soit pas confondu avec
le pouvoir spirituel, ne me paraît pas si inacceptable pour le
monde contemporain, ni incompatible avec la légitimité, bien
au contraire.